Spatial : Toulouse, terre promise des acteurs du NewSpace du monde entier

ENQUETE. En moins d'un an et demi, une dizaine d'acteurs étrangers du NewSpace ont posé leurs valises à Toulouse. En concurrence avec Paris, Bordeaux ou d'autres pays européens, la Ville rose déploie les grands moyens pour courtiser les startups attirées par la richesse de l'écosystème de la capitale européenne historique du spatial mais aussi sa qualité de vie. Cette nouvelle économie spatiale pourrait aussi réduire quelque peu la dépendance de Toulouse à l'aéronautique.
En moins d'un an et demi, une dizaine d'acteurs étrangers du NewSpace ont posé leurs valises à Toulouse.
En moins d'un an et demi, une dizaine d'acteurs étrangers du NewSpace ont posé leurs valises à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

« Depuis un an, c'est vraiment non-stop », remarque Carole Crevel, chargée de mission au sein d'AD'OCC. L'agence d'attractivité de la Région Occitanie travaille main dans la main avec son homologue de la Métropole, Invest in Toulouse, pour faire venir des sociétés du monde entier. Et ces derniers mois, la Ville rose a vu arriver un afflux d'acteurs du NewSpace en provenance des quatre coins du globe.

Dans le sillage de l'implantation de la startup californienne Loft Orbital dès fin 2019 pour développer sa constellation de services partagés, Toulouse a attiré en moins d'un an et demi, une dizaine de sociétés (voir aussi notre infographie ci-dessous) : les Italiens Aiko et Zoppas, l'Espagnol Pangea Aerospace, l'Américain E-Space, le Slovaque 3IPK, l'Allemand Orbital Matter, le Bulgare Endurosat, le Canadien Connektica, le Suisse Cysec, le Japonais Astroscale... Rien que lors du salon Spacetech de Brême en Allemagne, mi-novembre, deux nouvelles entreprises ont annoncé leur installation : le Néo-Zélandais Dawn Aerospace et son projet d'avion spatial réutilisation et le Portugais Tekever qui veut faire décoller son activité NewSpace. « La dynamique s'autoalimente. Lorsque les entreprises voient que telle startup s'est installée, elles s'intéressent aussi à Toulouse. Certaines nous contactent maintenant directement », remarque Carole Crevel.

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Mais dans la plupart des cas, les agences doivent déployer les grands moyens pour courtiser les entreprises. Outre les requêtes centralisées par Business France, les candidats à l'implantation sont repérés lors de salons professionnels ou à distance lors de webinars organisés par zone géographique (l'Espagnol Pangea avait ainsi été identifié lors d'une visio consacrée à la péninsule ibérique). « Pour les entreprises intéressées, nous organisons une visite de deux jours sur place ponctuée de rendez-vous avec de potentiels clients. Nous pouvons aussi leur lister des bureaux potentiels pour leur permettre de se projeter. Pour faciliter leur implantation, nous leur présentons des avocats, des banques, des comptables, des financeurs comme BPIFrance, éventuellement Airbus Développement ou encore des agences de recrutement. Nous pouvons aussi les aider dans l'obtention des visas », relève Charlotte Voisin, responsable du développement aéronautique et spatial pour Invest In Toulouse, au sein de l'agence d'attractivité de Toulouse Métropole.

Un processus qui peut s'échelonner de quatre mois à plus de quatre ans. Et même si Toulouse est la capitale historique du spatial européen avec 14.000 emplois dédiés, soit un tiers des emplois du secteur en France et un quart sur l'Europe, la Ville rose est mise en concurrence par les candidats à l'implantation avec d'autres villes comme Paris et Bordeaux en France mais aussi avec d'autres pays européens, comme l'Allemagne qui dispose d'une solide industrie spatiale ou encore le Luxembourg pour ses capitaux financiers.

Infinite orbits

L'entrepreneur algérien Adel Haddoud dirige la startup Infinite Orbits qui emploie une trentaine de salariés de 18 nationalités différentes. (Crédits : Rémi Benoit)

Ces derniers mois, Toulouse gagne, presque, à tous les coups. Comme beaucoup de nouveaux arrivants, le Portugais Tekever a choisi la métropole « pour l'écosystème avec la proximité des clients ou des fournisseurs mais aussi la présence de talents, notamment de profils expérimentés », explique Nadia Maaref, directrice de l'activité spatiale de la société. Au-delà des applications commerciales, Toulouse s'impose comme un centre névralgique du spatial militaire avec depuis 2019 la montée en puissance du Commandement de l'espace et l'émergence du Centre d'excellence de l'Otan. « Bonne pioche pour la ville puisque ces annonces sont intervenues à un moment où l'on ne parlait pas encore de guerre aux frontières de l'Europe. Aujourd'hui, c'est une menace qui se matérialise et ces structures deviennent indispensables », analyse Jean-Claude Dardelet, vice-président de Toulouse Métropole en charge de l'attractivité.

Pour les candidats, la qualité de vie peut aussi faire pencher la balance. « Certaines entreprises américaines qui hésitent avec une ville allemande vont choisir Toulouse notamment parce que c'est une ville où dans un quartier on peut quasiment rejoindre à pied le Cnes et d'autres entreprises du secteur », mentionne Carole Crevel. Le Japonais Astroscale, qui développe des satellites pour aller récupérer des débris spatiaux, a lui acté son installation cet automne en pleine Coupe du Monde de rugby alors que que la Ville rose accueillait plusieurs rencontres de l'équipe nationale. « Cette espèce de ferveur toulousaine a aussi contribué à les faire venir », assure Jean-Claude Dardelet.

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Une aubaine aussi pour Airbus et Thales Alenia Space

Une aubaine dont se saisissent aussi les géants du spatial européen basés à Toulouse, Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space. Le premier a noué une collaboration étroite avec le franco-californien Loft Orbital pour produire plusieurs dizaines de plateformes de sa future constellation de services partagés en s'appuyant sur le savoir-faire acquis pour les 618 satellites de OneWeb. « Ce contrat marque l'alliance entre le grand maître d'œuvre de satellites que nous sommes et une startup qui nous choisit comme fournisseur. En général, c'est plutôt le contraire. Cette approche innovante montre que nous apportons à ces nouveaux acteurs de la fiabilité et l'expérience du spatial. Surtout nous avons réussi à réduire les coûts avec OneWeb de telle manière que nous devenons compatibles avec les modèles économiques de startups, ce qui est très vertueux », confiait à La Tribune Jean-Marc Nasr, directeur d'Airbus Space Systems lors de la signature du contrat début 2022.

Loft Orbital emploie désormais 80 salariés dans ses bureaux en plein centre-ville de Toulouse, soit le plus grand des trois sites de l'entreprise qui totalisent 200 collaborateurs avec l'ambition d'attirer des talents venus de toute l'Europe. « Toulouse est la capitale européenne du spatial donc on trouve déjà beaucoup de talents. Il y a une attractivité naturelle pour ce genre de profil mais c'est important pour nous d'étendre notre recrutement aux meilleurs profils européens », remarquait Emmanuelle Méric au printemps dernier la directrice générale France de Loft Orbital qui compte déjà dans ses rangs des collaborateurs venus d'Espagne, d'Italie, des Etats-Unis, des Pays-Bas, de Suède. Ambiance internationale également chez Infinite Orbits, qui emploie une trentaine de salariés de 18 nationalités différentes.

loft orbital

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Locaux de Loft Orbital.(Crédits : Rémi Benoit)

De son côté, Thales Alenia Space a choisi d'accueillir entre ses murs une poignée de startups au sein d'un nouvel accélérateur présent à la fois à Toulouse et Turin, pour faire émerger la nouvelle économie spatiale. Parmi lesquelles, le Slovaque 3IPK qui mise sur la blockchain pour créer une empreinte numérique inviolable de images satellite et éviter la prolifération de deepfakes géographiques mais aussi la jeune pousse allemande Orbital Matter qui développe un vaisseau spatial doté d'une imprimante 3D pour fabriquer depuis l'espace des morceaux de satellites ou des modules de stations spatiales ultra légers et à moindre coût. « Nous devenons le premier industriel du spatial à héberger sur site un tel programme d'accélération. Même aux États-Unis, nous n'avons pas identifié de programme équivalent chez Boeing ou Lockheed », indiquait au lancement cet été Vincent Clot, directeur Business & Open Innovation chez le géant européen. Une manière aussi pour l'industriel de rester à l'affût de ce nouvel écosystème en pleine ébullition qui a vu naître de nouveaux programmes d'accompagnement spécialisés à l'instar de SpaceFounders qui accélère depuis Toulouse les pépites du NewSpace européen et un réseau de business angels dédié, Aerospace Angels.

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 Cette dynamique inonde même des structures généralistes qui n'avaient pas prévu de devenir de hauts lieux du NewSpace à l'image du Village by CA. Installé en plein centre-ville, cet accélérateur initié par le Crédit agricole en 2017 accueille aujourd'hui cinq sociétés spatiales et deux autres du même secteur sont en liste d'attente. La pépite aixoise Prométhée ne cesse d'y étoffer ses effectifs« Leur antenne est passée en deux ans de trois à 30 salariés et dans un an, elle sera trop grande pour continuer à être hébergée au sein de nos murs », observe Sébastien Richard, directeur exécutif du Village by CA Toulouse 31. L'accélérateur accueille aussi LTU Tech, fournisseur de Prométhée, et le spécialiste suisse de la cybersécurité spatiale Cysec et bientôt le Japonais Astroscale.

Un plan régional spécifique au spatial

Pour accompagner cet essor du NewSpace français et européen, la région Occitanie a adopté mi-novembre pour la première fois un plan spécifique à la filière spatiale de 30 millions d'euros après plusieurs plans ADER communs avec le secteur aéronautique.

« Le spatial est en train de changer de dimension. Cette feuille de route régionale dédiée traduit notre ambition collective, au plus près des besoins et enjeux spécifiques de ses acteurs qui connaissent une révolution commerciale, technologique et stratégique inédite », proclame lors de l'assemblée plénière la présidente Carole Delga.

Traumatisée par l'effondrement du trafic aérien durant la crise sanitaire, avec près de 5.000 emplois perdus en neuf mois, Toulouse esquisse alors des pistes pour sortir de sa dépendance à la filière aéronautique. « Toulouse peut se relever de cette crise », affirment l'agronome Marion Guillou et l'économiste Jean Tirole lors de la remise de leur rapport à l'automne 2020. Avant d'ajouter : « Toulouse restera une grande ville de l'aéronautique. Mais nous voulons aussi qu'elle s'empare de l'ambition d'être la capitale européenne du spatial. Nous proposons également de développer un écosystème autour des nouvelles mobilités. Enfin, nous évoquons les biotechnologies et la possibilité de constituer un pôle d'excellence de la médecine du futur », préconisent-ils. Trois ans après, c'est surtout l'essor du NewSpace qui se concrétise en premier.

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Commentaire 1
à écrit le 07/12/2023 à 9:18
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La region toulousaine dispose de nombreuses ecoles ou universitees dans le domaine spatial. Cette tendance est donc naturelle pour les societes etrangeres du spatial. Ensuite il faut passer au stade de la production et la nos couts de main d'oeuvre ...

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