Le Commandement de l'espace affûte ses armes face à la montée des menaces en orbite

REPORTAGE. Alors que le conflit ukrainien a montré le rôle crucial du spatial dans les opérations militaires, en France, le Commandement de l'espace se hâte de monter en compétences pour parer les menaces croissantes en orbite. Brouillage de satellites de télécommunications, satellite patrouilleur, attaque cyber... tous ces scénarios ont été simulés à l'occasion de la troisième édition de l'exercice spatial militaire AsterX organisé à Toulouse. Mais pour se mettre à niveau dans un univers spatial faisant de plus en plus appel à des compétences numériques, la collaboration avec les industriels et des acteurs du New Space se révèle indispensable.
Pour sa troisième édition à Toulouse, l'exercice de spatial militaire AsterX a été  intégré dans l'exercice interarmées de grande ampleur Orion.
Pour sa troisième édition à Toulouse, l'exercice de spatial militaire AsterX a été intégré dans l'exercice interarmées de grande ampleur Orion. (Crédits : Rémi Benoit)

« Dans le conflit ukrainien, le premier coup de feu a été donné dans le domaine spatial », a rappelé le Général Adam, commandant de l'espace ce vendredi à Toulouse pour clore la troisième édition de l'exercice spatial militaire AsterX organisé depuis la mi-février au sein du Cnes. À l'aube du 24 février 2022, une attaque sur l'entreprise américaine de télécommunications par satellite Viasat avait marqué l'un des premiers actes de la guerre en Ukraine. Dès 2018, la ministre des Armées Florence Parly avait dévoilé depuis Toulouse une tentative d'espionnage russe ciblant un satellite français, Athena-Fidus, mettant en évidence la vulnérabilité de l'infrastructure spatiale française. D'où l'idée de créer en septembre 2019 un Commandement de l'espace pour doter la France de nouveaux outils de face aux menaces croissantes rencontrées en orbite.

Trois ans et demi plus tard, le CDE compte 350 spécialistes répartis sur quatre sites : une centaine à Toulouse dans des locaux provisoires au Cnes et le restant réparti entre les équipes du centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) de Lyon, le Centre militaire d'observation par satellites (CMOS) de Creil et l'état-major parisien. Dès 2025, le Commandement de l'espace comprendra 500 personnes, pour la plupart regroupées à Toulouse dans de nouveaux bâtiments qui doivent sortir de terre dès la fin de cette année par le biais d'un chantier à 80 millions d'euros.

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Image du futur Commandement de l'espace qui sera construit par le groupe Bouygues.

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AsterX intégré dans l'exercice interarmées de grande ampleur Orion

Pour accélérer sa montée en compétences, chaque année les militaires simulent des scénarios d'attaques lors de l'exercice AsterX. « Après une première édition en 2021, qui visait à tester notre organisation et nos procédures en nous appuyant sur le Cnes pour simuler un environnement spatial réaliste, l'édition 2022 a mis l'accent sur l'intégration des partenaires privés et a permis en effet le développement d'outils adaptés à nos besoins opérationnels et d'améliorer le partage des informations », retrace le général Mille, chef d'état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace.

L'ambition de cette nouvelle édition, qui s'est tenue du 21 février au 10 mars au Cnes à Toulouse, était de s'articuler avec l'exercice interarmées Orion. Ce dernier a mobilisé jusqu'à 7.000 militaires déployés sur 14 départements du sud de la France pour se préparer à un conflit de haute intensité. « L'objectif était d'AsterX 2023 était de concourir à la pleine intégration du milieu spatial au sein des armées au travers de la planification et la conduite des opérations en multimilieux multichamps », ajoute le général Mille.

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Le Commandement de l'espace compte aujourd'hui 300 personnes (Crédits : Rémi Benoit).

Autre nouveauté, contrairement aux précédentes éditions où les événements avaient été joués en accéléré, cette année les scénarios se déroulaient en temps réel pour faciliter la coordination avec les opérations des autres armées au sol. Pendant deux semaines et demi, 23 événements spatiaux ont été réalisés. « Un petit patrouilleur devait s'interposer face à un satellite adverse menaçant, il y a eu aussi une attaque cyber, le brouillage d'un satellite de télécommunication militaire et l'augmentation du taux de revisite sur un site d'intérêt grâce à des satellites commerciaux », cite le général Adam.

Attaque de nanosatellites

Rendez-vous dans la salle de contrôle. Des dizaines de participants ont les yeux rivés devant leur ordinateur. Le lieutenant Léa, chef d'évaluation de la menace, détaille l'un des scénarios :

« Un satellite est lancé par Mercure (puissance hostile, ndlr) et placé prématurément sur une orbite cimetière en raison d'une défaillance de ses panneaux solaires. Pourtant, son signal est toujours actif. Nous établissons plusieurs scénarios probables et dangereux. Lors de l'exercice AsterX, il s'avère que le scénario le plus dangereux proposé est celui qui a été observé. Le satellite a relâché en deux temps deux nanosatellites à proximité de satellites de télécommunications militaires (Syracuse 3a et et Sicral-2). »

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Le lieutenant Léa, chef d'évaluation de la menace (Crédits : Rémi Benoit).

Dans le conflit spatial, pas question pour la France d'aller neutraliser un satellite ennemi et risquer de générer un nombre infini de débris. Dans le cas des satellites de télécommunications, cette solution est exclue aussi pour ne pas couper la réception sur Terre des communications. L'armée a néanmoins un certain nombre d'outils en sa possession pour aider activement à protéger les satellites. Les participants d'AsterX ont par exemple testé des manoeuvres d'évitement qui permettent en s'éloignant de limiter l'impact d'un brouillage des communications. L'exercice a aussi simulé un cas de guerre électronique avec des systèmes mobiles qui viennent brouiller les terminaux au sol pour empêcher les utilisateurs d'accéder au GPS. L'option privilégiée a été de saisir le matériel impacté par le brouillage.

Dans ces scénarios de guerre spatiale, les militaires ont fait appel à une poignée d'entreprises pour les épauler. Sopra Steria a ainsi apporté son concours face à une cyberattaque et MBDA a expérimenté une solution de lancement rapide pour envoyer en orbite des objets venant au secours des satellites menacés. D'autres sociétés ont apporté des logiciels pour permettre de visualiser la situation spatiale. Et puis, le Commandement de l'espace a mis en place une cellule d'intégration commerciale composée de sept industriels de référence (Airbus Defence and Space, Safran Data Systems, Thales Alenia Space, Telespazio, Eutelsat, Hemeria, Ariane Group) pour expérimenter plus rapidement des solutions de spatial militaire.

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Exotrail et U-Space mobilisés

« L'Espace est aussi évidemment un domaine qui repose essentiellement sur le numérique. On s'appuie sur des compétences que nous n'avons pas forcément dans les armées via nos partenaires commerciaux, » glisse le général Adam. Le Commandement de l'espace se repose aussi de plus en plus sur les solutions déployées par les acteurs du New Space.

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Centre de contrôle où s'est déroulé l'exercice AsterX (Crédits : Rémi Benoit).

« Nous développons avec la startup Exotrail une solution de caractérisation, de reconstruction des orbites satellitaires à partir des données d'observation. Cela va même plus loin puisque nous simulons des manœuvres satellitaires pour évaluer à la fois les délais d'intervention et l'énergie nécessaire quand on réalise une manœuvre. Car à chaque fois qu'on effectue une manoeuvre, cela réduit la durée de vie du satellite », explique le colonel Quéant, chef de la division capacités au Commandement de l'espace.

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Au-delà des solutions en orbite, le CDE veut déployer en 2025 le démonstrateur de satellite patrouilleur Yoda développé avec Hemeria pour veiller sur les satellites en orbite géostationnaire. Mais alors que les menaces pointent aussi en orbite basse, le Commandement de l'espace travaille sur un satellite patrouilleur équivalent en orbite LEO avec la startup toulousaine U-Space. « Lisa-1 est un projet de nanosatellite multi-missions qui fera de la surveillance de l'espace tout orbite. Il sera aussi équipé d'une propulsion électrique, ce qui va permettre d'entraîner les opérateurs », décrit Pascal Peron, responsable du laboratoire d'innovations spatiales des armées, installé au B612 à Toulouse. Un projet soutenu par l'Agence de l'innovation de défense et la région Occitanie qui compte par la même occasion accélérer le décollage de la pépite toulousaine en passe de créer son usine de nanosatellites dans la Ville rose.

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Commentaires 2
à écrit le 11/03/2023 à 6:35
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Quand on voit les compétences développées actuellement pour poursuivre l’aventure spatiale, on ne peu qu’être épaté. La Chine est maintenant la nation la plus puissante dans l’espace, suivie des USA et l’Inde pointe le bout de son nez. La Russie chut...

à écrit le 11/03/2023 à 3:08
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Le métier de rêve, plus pénard que ça tu crèves. Sûrement avec des gros salaires. En préparation un ministère de l'univers, un pour les trous noir et le dernier ministère pour le big bang. On essaye de rattraper starlink mais sans moyen, pathétique.

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