Le dessous des cartes de la consolidation aéronautique dans le sud-ouest

Longtemps espérée, la consolidation du secteur aéronautique a connu un coup d'accélérateur en l'espace d'un an. Dans le sud-ouest, Mecachrome est devenu après plusieurs rachats un géant des pièces aéronautique pesant plus de 450 millions d'euros de chiffre d'affaires et 4.000 salariés. Chez Latécoère, la consolidation vise à accroître une force de frappe notamment en Amérique du Nord. La Tribune fait le point sur ces grandes manoeuvres à l'aide de plusieurs cartes interactives.
(Crédits : Rémi Benoit)

Les grandes manoeuvres battent leur plein au sein de la supply chain aéronautique. Comme le montre ce graphique interactif réalisé par La Tribune, les sous-traitants du sud-ouest ont multiplié depuis l'été 2021 les annonces de rapprochements et d'acquisitions.

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« 500 millions d'euros déjà mobilisés » d'après Tikehau

Depuis des années, les grands donneurs d'ordre comme Airbus ou Safran appellent de leurs voeux à des rapprochements parmi les sous-traitants pour créer des acteurs plus forts et moins nombreux. Objectif : répondre à des commandes de plus en plus colossales et à une production de plus en plus internationalisée. « Il y a quelques années, un appel d'offres portait sur deux millions d'euros. Aujourd'hui, c'est plutôt 5, 10, voire 15 millions d'euros par an. Et cela va continuer à grossir. Les nouveaux avions s'appuieront sur des sociétés plus grandes, plus fortes, capables de créer des usines du jour au lendemain dans n'importe quel pays et encore plus performantes en termes de gestion. Les fournisseurs de demain pèseront entre 300 millions et 1 milliard d'euros », résumait à La Tribune en septembre 2021 Pascal Farella, alors directeur général de WeAre.

Déjà imaginée avant le Covid face à la montée des cadences, la consolidation de la supply chain aéronautique s'avère encore plus nécessaire pour surmonter la crise actuelle et suivre la reprise d'activité de grande ampleur annoncée par Airbus. L'avionneur européen envisage de passer à un rythme de production de 65 A320 NEO par mois début 2024 et des études sont déjà en cours pour tendre vers 75 avions à terme alors même que le rythme de production était descendu de 60 à 40 appareils par mois pendant la crise.

Pour financer cette consolidation, l'Etat a décidé dans la foulée de la crise sanitaire en 2020 de créer un fonds en faveur de l'aéronautique avec le soutien des quatre grands industriels de la filière (Airbus, Safran, Dassault, Thales). L'idée est de renforcer les fonds propres des maillons indispensables de la chaîne de fournisseurs en difficultés financières et d'encourager les regroupements de sous-traitants. « Sur les 750 millions d'euros de ce fonds, 500 millions ont déjà été engagés », informait fin août Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace capital qui gère ce fonds.

Mecachrome, un nouveau colosse pesant 450 millions d'euros

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Christian Cornille est à la tête de Mecachrome. (Crédits : Rémi Benoit)

L'enveloppe a notamment servi à soutenir le spectaculaire mouvement de consolidation opéré en un peu d'un an par Mecachrome. Ce fabricant à l'origine spécialisé dans l'assemblage de sous-ensembles et de pièces aéronautiques de grandes dimensions a fait une première acquisition dès juillet 2021 avec le rachat de Hitim, une société de 130 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires produisant des pièces mécaniques très spécifiques (axes de trains d'atterrissage ou de transmission moteurs).

Mais surtout, Mecachrome a finalisé en août dernier son rapprochement avec WeAre, un autre poids lourd de la supply chain aéronautique. Né en 2016 du regroupement de plusieurs entreprises familiales, WeAre avait lui même déjà enclenché une nouvelle étape de consolidation avec l'acquisition en 2021 des sociétés Taramm et Gamma-Tial, spécialisées dans la fonderie titane (20 millions de chiffre d'affaires en 2019 et 90 salariés au moment de l'opération).

Mecachrome et WeAre forment un nouvel ensemble qui pèsera 450 millions d'euros de chiffres d'affaires et 4.000 salariés dès fin 2022 devenant ainsi le premier fabricant français des pièces aéronautiques et entrant dans le top 5 européen de ce segment. Trois semaines plus tard, Mecachrome annonce une nouvelle opération en devenant actionnaire majoritaire de Rossi Aero, une entreprise familiale dont l'expertise dans la fabrication de composants à la demande dans des délais courts est très prisée face à la remontée des cadences d'Airbus.

Le nouveau leader des pièces aéronautiques dont le siège social est installée depuis cette rentrée près de Toulouse a l'ambition d'atteindre 750 millions d'euros de chiffre d'affaires et un effectif de 6.000 personnes d'ici à 2025. Son président Christian Cornille se dit toujours « ouvert à de nouvelles opportunités ». Même si souligne Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace Capital, « La transformation de deux entreprises en une seule demande beaucoup de travail. Il va falloir déjà digérer cette étape », nuançait Marwan Lahoud fin août.

Pour autant, il n'est pas exclu que Mecachrome puisse bénéficier d'une partie de l'enveloppe restante du fonds géré par Tikehau pour mettre en place une nouvelle ligne automatisée pour une future « focus factory ». Mecachrome compte dans les prochaines années renforcer ces usines hyper spécialisées et très automatisées afin d'accéder à une production plus massive.

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Latécoère se renforce sur l'Amérique du Nord

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Nouveau siège de Latécoère à Toulouse (Crédits : Frédéric Scheiber).

De son côté, Latécoère a également mené une série d'acquisitions avec pour sa part l'ambition d'accroître son emprise internationale notamment en Amérique du Nord. L'équipementier aéronautique toulousain qui a vu son chiffre d'affaires passer de 713 millions d'euros en 2019 à 413 millions en 2020 veut surpasser son niveau d'avant-crise.

« Nous devons atteindre une certaine taille critique pour atteindre la rentabilité standard de notre industrie. Nous allons faire des acquisitions qui vont nous permettre, vers 2025, d'arriver à la taille que nous avions avant la crise. Ces acquisitions et la remontée des cadences nous permettront de viser un peu en deçà d'un milliard. Et ensuite, se marier avec une société d'une taille équivalente à la nôtre, nous permettra d'arriver à cette cible d'1,5 ou 2 milliards d'euros », faisait savoir Thierry Mootz, directeur général de Latécoère fin 2021.

Lire aussi"Latécoère vise une taille critique d'1,5 à 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires"

Latécoère a d'abord fait l'acquisition à l'été 2021 de la société TAC en Belgique qui produit notamment des bielles avant de racheter l'entreprise Shimtech Mexico située à côté de son site de production de portes pour le Boeing 787. L'équipementier a ensuite réalisé le rachat de Malaga Aerospace, Defense & Electronics Systems (Mades), une société espagnole employant environ 100 personnes et spécialisée dans les cartes de circuits imprimés. Au printemps dernier, Latécoère a aussi mis la main sur le Canadien Avcorp lui permettant d'accéder au marché américain de la défense. Toujours sur le continent américain, le groupe finalise l'acquisition de l'usine mexicaine de Figeac Aero.

« La mission que je fixe à mon entreprise est aussi d'emmener le drapeau français partout où sont les commandes. Nous avons des usines au Brésil à côté d'Embraer, au Mexique à proximité de Boeing, etc. Latécoère doit avoir une présence équilibrée entre l'Europe et les Etats-Unis. C'est d'autant plus nécessaire que Boeing est le deuxième constructeur aéronautique mondial », précisait Thierry Mootz l'an dernier.

Nexteam s'est rapproché de Ventana

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Nexteam se rapproche de Ventana (Crédits : Gentilin)

Né en 2015 de l'union de plusieurs entreprises familiales du Sud-Ouest de la France (Asquini (Lot-et-Garonne), Gentilin (Haute-Garonne), Sofop (Aveyron) et MP Sud (Pyrénées-Atlantiques)), Nexteam a annoncé en octobre 2021 son rapprochement avec Ventana dont le siège social est dans les Pyrénées-Atlantiques. Le nouvel ensemble pèse 315 millions d'euros de chiffre d'affaires, selon les chiffres d'avant crise pour un effectif de 2.400 salariés, une taille critique qui le place dans le top des fabricants de pièces aéronautiques en France.

Les deux groupes ont des activités relativement différentes. Nexteam est spécialisé dans la mécanique de précision, l'usinage de pièces complexes et le traitement de surface pour l'aéronautique et la défense. Pour sa part, Ventana dispose de compétences en fonderie et en mécano-soudure pour l'aéronautique, le spatial, la défense et l'énergie. Les deux entreprises disposent chacune de 11 sites de production mais sur des implantations différentes. Nexteam est présent au-delà des frontières de l'Hexagone en Pologne, en Roumanie et au Maroc quand Ventana a des capacités de production en Suède, en Autriche, au Portugal et en Tunisie.

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Pour Figeac Aero, priorité au redressage économique

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Jean-Claude Maillard, PDG de Figeac Aero (Crédits : Rémi Benoit).

Reste à savoir dans cette recomposition ce que deviendra Figeac Aero ? Premier sous-traitant européen avant la crise sanitaire avec 441 millions d'euros de chiffre d'affaires, le groupe lotois a vu son activité plonger à 205 millions d'euros sur l'exercice 2020-2021. Depuis, son niveau d'activité est remonté à 282 millions d'euros selon les derniers chiffres publiés en mars 2022.

Pour le moment, Figeac Aero ne s'est pas lancé dans une boulimie d'acquisitions. Le fabricant a seulement annoncé cet été la cession d'une usine au Mexique au profit de Latécoère et l'acquisition des actifs industriels de la société américaine Kaman Aerospace au Mexique. Ce site de production est spécialisé dans la fabrication de pièces de tôlerie complexes pour l'aviation civile et militaire, l'usinage de pièces issues de profilés et l'assemblage de sous-ensembles aéronautiques.

Pour le PDG de Figeac Aero Jean-Claude Maillard, la priorité est d'abord au redressement économique avant de trancher entre le rachat de plusieurs sociétés ou la fusion avec le nouvel ensemble formé par Mecachrome pour créer un mastodonte des pièces aéronautiques.

« Je veux retrouver le chiffre d'affaires d'avant Covid-19 et nous devrions y arriver en mars 2026. Avec ce chiffre d'affaires, nous étions aussi gros que WeAre et Mecachrome réunis. Aujourd'hui, je reste donc focalisé sur cet objectif. À partir de 2025-2026, nous verrons. Si le géant évoqué veut racheter Figeac Aéro, il lui faudra beaucoup d'argent », estimait le dirigeant en juillet dernier.

Seul ou accompagné, Figeac Aéro maintient son ambition de devenir le numéro un mondial de la sous-traitance de pièces aéronautiques métalliques.

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