Mecachrome, nouveau géant des pièces aéronautiques, croit en l'ère des "focus factories"

Mecachrome et WeAre, deux sous-traitants majeurs de la supply chain aéronautique, viennent de finaliser leur rapprochement pour former un groupe de 450 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 4.000 salariés. Cette opération de consolidation va permettre au nouvel ensemble de renforcer sa stratégie d'hyper spécialisation des usines, un outil clé pour faire face à la montée des cadences mais aussi à la quête de sobriété énergétique générée par l'inflation.
Pascal Farella et Christian Cornille ont rapproché WeAre et Mecachrome pour former un géant des pièces aéronautiques.
Pascal Farella et Christian Cornille ont rapproché WeAre et Mecachrome pour former un géant des pièces aéronautiques. (Crédits : Rémi Benoit)

"C'est un moment clé dans l'aventure de la supply chain française qui était jusque-là extrêmement morcelée. Il y a un mouvement quasiment historique qui ouvre la voie à une consolidation durable de notre secteur aéronautique", n'avait pas manqué de souligner auprès de La Tribune Christian Cornille, président exécutif de Mecachrome en décembre dernier. Le groupe venait d'entrer en négociations exclusives avec WeAre, autre sous-traitant majeur de la supply chain, en vue de créer "un leader européen des pièces élémentaires aéronautiques".

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Atteindre 750 millions d'euros de CA en 2025

L'opération soutenue par ses deux actionnaires historiques (Tikehau Ace Capital qui possède 64% du capital et Bpifrance détenteur des 36% restants) est désormais finalisée. En s'unissant, Mecachrome et WeAre vont former un groupe de 450 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 4.000 salariés dès fin 2022, devenant ainsi l'un des cinq plus grands fabricants de pièces pour l'aéronautique en Europe.

"L'ADN des deux sociétés est différent. Mecachrome est plutôt axé sur l'assemblage de sous-ensembles et les pièces de grandes dimensions ou avec une très haute technicité comme des moteurs de Formule 1 alors que WeAre s'est spécialisée dans la production de pièces de petites dimensions en grands volumes avec des performances excellentes. Ce mariage va nous permettre d'augmenter significativement la production et le volume d'affaires", soutient Christian Cornille.

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Christian Cornille, président exécutif de Mecachrome (Crédits : Rémi Benoit).

L'ambition est d'atteindre plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires et un effectif de 6.000 personnes d'ici à 2025. Objectif : répondre à des commandes de plus en plus colossales et à une production de plus en plus internationalisée. "Il y a quelques années, un appel d'offres portait sur deux millions d'euros. Aujourd'hui, c'est plutôt 5, 10, voire 15 millions d'euros par an. Et cela va continuer à grossir. Les nouveaux avions s'appuieront sur des sociétés plus grandes, plus fortes, capables de créer des usines du jour au lendemain dans n'importe quel pays et encore plus performantes en termes de gestion. Les fournisseurs de demain pèseront entre 300 millions et 1 milliard d'euros", résumait à La Tribune il y a quelques mois le CEO de WeAre Pascal Farella, désormais directeur général délégué de Mecachrome.

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Montée des cadences d'Airbus et cap sur l'Amérique

La taille critique du nouvel ensemble doit lui permettre de faire face à la montée en cadences annoncée par Airbus. L'avionneur européen vise d'ici début 2024 une production de 65 avions A320 par mois (bien au-delà du niveau de 45 avions avant la Covid) et atteindre 75 avions monocouloirs en 2025.

Déjà présent au Canada, Mecachrome va pouvoir aussi grâce à ce rapprochement mobiliser ses forces commerciales pour vendre les productions des usines WeAre en Amérique du Nord. Alors qu'Airbus pèse 70% de son chiffre d'affaires, le sous-traitant espère élargir son portefeuille de donneurs d'ordre à l'étranger. "Nous ne travaillons pas encore directement pour Boeing mais nous sommes déjà présents chez le fournisseur américain Spirit. Nous fabriquons aussi des pièces pour les avions d'affaires du Canadien Bombardier et le Brésilien Embraer", informe Christian Cornille.

L'ère des "focus factories"

Pour accéder à une production plus massive, Mecachrome compte renforcer les "focus factories", des usines hyper spécialisées et très automatisées.

"Mecachrome dispose déjà de trois 'focus factories', deux pour Safran et une pour Porsche, toutes implantées à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe). Nous fabriquons par exemple des aubes de turbine pour le moteur Leap de Safran avec une livraison à l'heure (OTD) de 100% et quasiment zéro pièce au rebut. Nous produisons chaque semaine une centaine d'éléments, ce qui est beaucoup pour l'aéronautique mais peu si l'on regarde le rythme de production dans l'automobile", indique le président exécutif de Mecachrome.

WeAre avait aussi entamé ce mouvement avant la crise au sein de ses usines : le site de Bouy (Vendée) est entièrement robotisé et spécialisé dans le fraisage, celui de Farella à Montauban (Tarn-et-Garonne) est dédié aux pièces de révolution. En cas de nouveaux contrats, d'autres lignes automatisées pourraient voir le jour demandant chacune un investissement de 20 millions d'euros. "Nous sommes en lice pour un appel d'offres d'Airbus alors pourquoi pas créer une focus factory pour l'avionneur, à l'image des usines déjà existantes pour Safran et Porsche. L'idée serait à terme que nos pièces puissent convenir à n'importe quel programme d'avion d'Airbus", précise Christian Cornille.

Inflation et titane russe

Au-delà de l'efficacité opérationnelle, les "focus factories" ont le mérite d'être plus sobres, un atout dans le contexte actuel. "Nous sommes dans une période d'incertitude inédite où nos fournisseurs d'énergie nous disent ne pas pouvoir tenir les clauses contractuelles", rappelle le dirigeant. Sans compter, les tensions d'approvisionnement accentuées depuis le début de la guerre en Ukraine sur certains matériaux comme le titane.

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"Dans les 'focus factories', les coûts de transport sont nettement réduits puisque toute la fabrication est réalisée sur place. Nous pouvons arrêter les machines dès que nous n'en avons plus besoin. Et puis dans ces usines, il n'y a pas d'emballage entre les opérations.

Plus globalement, le groupe a mis en place un plan de sobriété énergétique. Il prévoit notamment de limiter les déplacements professionnels de nos salariés et de concentrer les effectifs sur un temps plus resserré pour diminuer l'énergie nécessaire pour faire tourner les usines. Par ailleurs, dans une démarche d'économie circulaire, nous recyclons les chutes de tôles de notre fonderie titane", fait remarquer Pascal Farella.

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Christian Cornille et Pascal Farella avaient déjà engagé au sein de Mecachrome et WeAre une hyper spécialisation de leurs usines (Crédits : Rémi Benoit).

300 recrutements en 2022

Le nouveau groupe, qui compte une dizaine d'usines en France, espère recruter 300 personnes en 2022. Historiquement basé à Tours, le siège social du groupe est désormais installé près de l'aéroport de Toulouse, au coeur de la supply chain française.

Avant le rapprochement, Mecachrome avait réalisé une première étape dans sa stratégie de consolidation en rachetant Hitim, société de 130 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires spécialisée dans les pièces de haute précision.

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De son côté, WeAre avait également déjà réalisé une première acquisition fin 2021 avec le rachat de Taramm et Gamma-Tial, spécialisées dans la fonderie titane (20 millions de chiffre d'affaires en 2019 et 90 salariés au moment de l'opération). Le nouvel ensemble reste "ouvert à de nouvelles opportunités". Même si souligne Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace Capital, "la transformation de deux entreprises en une seule demande beaucoup de travail. Il va falloir déjà digérer cette étape."

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Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace capital. ( Crédit : Rémi Benoit)

Tikehau est en charge du fonds lancé par l'Etat en 2020 en faveur de l'aéronautique avec le soutien des quatre grands industriels de la filière (Airbus, Safran, Dassault, Thales) pour renforcer les fonds propres des maillons indispensables de la chaîne de fournisseurs en difficultés financières et d'encourager les regroupements de sous-traitants.

"Sur les 750 millions d'euros de ce fonds, 500 millions ont déjà été engagés", informe Marwan Lahoud. L'enveloppe restante pourra être utilisée pour des acquisitions ciblées de sous-traitants ou pour des investissements à destination de la quinzaine de sociétés déjà soutenues par Tikehau. Mecachrome pourrait à terme par exemple bénéficier d'un soutien supplémentaire pour mettre en place une nouvelle ligne automatisée pour une future "focus factory".

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