Aéronautique : « Sans automatisation, on risque de perdre des activités sur le territoire »

DOSSIER RÉINDUSTRIALISATION. Nouvelle ligne d'assemblage d'Airbus à Toulouse, cap vers l'industrie du futur chez Mecachrome et Figeac Aero... Ces dernières années, la filière aéronautique a lourdement investi pour maintenir la compétitivité des usines en France. Pourtant, en parallèle, l'internationalisation de la production des avions ne s'est pas arrêtée. Peut-on réellement espérer une relocalisation en France et, a fortiori, dans le Sud-Ouest de la production aéronautique ? Dans cette optique, quel rôle peut jouer l'automatisation ? Enquête.
Airbus teste à Toulouse pour la première fois sur une FAL un système de logistique automatisé.
Airbus teste à Toulouse pour la première fois sur une FAL un système de logistique automatisé. (Crédits : Airbus)

« C'est un système unique à Toulouse. On ne le retrouve dans aucune autre ligne d'assemblage final d'Airbus, que ce soit en Allemagne, aux États-Unis, en Chine, en France ou même en Espagne pour la partie militaire », fait remarquer Clément de Rancourt, responsable des FAL (final assembly line) de la famille A320 à Toulouse.

Depuis quelques mois, l'imposante usine Lagardère, bâtie dans les années 2000 pour l'A380, a été transformée et modernisée pour accueillir la nouvelle ligne d'assemblage de la famille A320 NEO à Toulouse. Le site va accompagner la montée en cadence spectaculaire attendue sur les monocouloirs d'Airbus et, en particulier, l'envol de l'A321 NEO, le nouveau best-seller de l'avionneur européen.

Une ligne moderne, « un atout pour Toulouse »

Le groupe en a profité pour déployer des outils innovants, afin d'améliorer la production de cette nouvelle génération d'avions. La FAL toulousaine va être notamment la première au monde au sein d'Airbus à déployer un système de logistique automatisée. Toutes les pièces et les équipements sont livrés par des robots au poste de travail des opérateurs.

« Le compagnon peut appeler des pièces dans un système qui va déclencher automatiquement l'approvisionnement depuis les zones de stockage via des chariots autopilotés. Ces véhicules sont dotés d'une géolocalisation et de capacités automatisées de détection pour éviter les obstacles lors des déplacements dans l'usine », explique Clément de Rancourt.

A321

Airbus a décidé d'automatiser l'acheminement des pièces vers les compagnons au sein de l'usine Lagardère à Toulouse (Crédits : Airbus).

L'usine toulousaine est également la première FAL à tester un robot chargé de percer l'avion avant le rivetage pour faire la jonction entre la section avant et arrière du fuselage de l'aéronef.

« Ce sont des opérations réalisées en hauteur et difficiles d'accès. Raison pour laquelle les activités de perçage sont souvent sujettes à de la non-qualité et sont peu ergonomiques pour les opérateurs », observe Clément de Rancourt.

Dans les années à venir, les lignes d'assemblage historiques d'Airbus à Saint-Martin seront amenées à rejoindre ce site modernisé. « C'est un vrai atout pour Toulouse en termes de pérennisation ou en termes de compétitivité », ajoute-t-il.

Plus de 30% d'activité sous-traitée à l'étranger

Cela suffira-t-il ? Alors qu'Emmanuel Macron a engagé ces derniers jours une offensive politique sur la réindustrialisation, annonçant plus de deux milliards d'investissements pour décarboner la filière aéronautique, peut-on réellement espérer une relocalisation en France et, a fortiori, dans le Sud-Ouest de la production des avions ? Et dans cette optique, quel rôle peut jouer l'automatisation ?

Déjà en 2016 dans une interview à La TribuneFabrice Brégier alors à la tête d'Airbus, l'assurait :

« Les nouvelles technologies permettront de rapatrier des productions en Europe. Dès lors que des technologies autorisent plus de flexibilité et de réactivité dans la production et optimisent le design et la production des pièces, l'écart de compétitivité lié à la dimension salariale se réduit. L'usine du futur est de nature à redonner paradoxalement une compétitivité supplémentaire à nos usines. »

Pourtant, depuis, le mouvement d'internationalisation de la production des avions ne s'est pas arrêté. Airbus a annoncé en avril dernier la création d'une seconde ligne d'assemblage d'avions à Tianjin, en Chine. Objectif, produire deux fois plus d'avions sur le sol chinois. « À mesure que le marché chinois continue de croître, il est tout à fait logique pour nous de produire sur place pour les compagnies aériennes chinoises, et probablement d'autres clients dans la région », a justifié Guillaume Faury, le président exécutif de l'avionneur européen.

Airbus compte désormais dix FAL dans le monde : deux à Tianjin, deux à Mobile aux États-Unis, deux à Toulouse et quatre à Hambourg en Allemagne. Le même mouvement s'opère au sein de la supply chain. Au total, 31% de l'activité sous-traitée dans le Sud-Ouest l'est à l'étranger, selon une enquête de l'Insee.

Mecachrome croit aux focus factories

Nouveau géant des pièces aéronautiques, Mecachrome regroupe - depuis le rachat de WeAre et Rossi Aero - désormais 22 sites employant 4.000 salariés dans le monde, dont 30% en France. Le restant des effectifs est réparti entre le Portugal, le Canada, le Maroc et la Tunisie. Le groupe a fait le choix de positionner les activités les plus manuelles dans ces pays best-cost, mais d'investir lourdement sur ses usines françaises avec une automatisation très avancée.

« Il y a des segments d'activité sur lesquels l'automatisation n'est pas la réponse et où nous resterons avec un positionnement de ces activités dans des pays à forte compétitivité. La tôlerie, par exemple, nécessite absolument d'être dans une zone avec un salaire horaire très compétitif. La production de masse est réalisée sur la Tunisie. En revanche, le site de Toulouse sert à réaliser la mise au point et les débuts de production. Par contre, il y a des activités comme l'usinage sur lesquelles, si on ne va pas vers l'automatisation, on est en danger de perdre ces activités sur le territoire », explique Christian Cornille, président de Mecachrome.

Raison pour laquelle le groupe croit fortement au concept de focus factories, des usines hyper spécialisées et très automatisées. C'est le cas à Sablé-sur-Sarthe pour fabriquer des aubes de turbine pour le moteur Leap de Safran ou des pièces pour Porsche ainsi qu'à Saint-Hilaire-de-Voust, en Vendée, avec la réalisation de pièces mécaniques de petite dimension pour les aérostructures d'avion à destination d'Airbus et Thales.

« Sur les aubes de turbine, nous atteignons une livraison à l'heure (OTD) de 100% et quasiment zéro pièce au rebut. Nous produisons chaque semaine une centaine d'éléments, ce qui est beaucoup pour l'aéronautique, mais peu si l'on regarde le rythme de production dans l'automobile. La focus factory permet de ne pas faire voyager les pièces entre plusieurs sites en optimisant notre empreinte carbone et nos flux de production », indique le président exécutif de Mecachrome.

Figeac Aero produira pour Safran entre Figeac et Casablanca

Même stratégie chez Figeac Aero. Le sous-traitant aéronautique lotois a annoncé fin mai un contrat de 140 millions d'euros sur dix ans avec Safran. Objectif affiché, produire des milliers de pièces métalliques à forte valeur ajoutée pour les nacelles des Airbus A320neo, équipés de moteurs LEAP-1A. L'accord prévoit un schéma industriel multi-sites, permettant d'accompagner les cadences de production de Safran Nacelles : en France, avec une part significative de la production à Figeac, où le groupe avait investi avant la crise sanitaire 37 millions d'euros pour faire naître une usine du futur, et le restant de la production au Maroc et à Casablanca. Une cinquantaine d'emplois qualifiés y seront créés, sur un nouveau site de production, dont la construction a d'ores et déjà commencé.

« Le site de Figeac sert à réaliser les productions les plus techniques, les plus délicates à réaliser. Et au Maroc, donc des pièces pour lesquelles la part main-d'œuvre est plus importante », indique Jean-Claude Maillard, PDG de Figeac Aero, qui emploie 3.000 salariés dans le monde dont la moitié en France.

Avant d'ajouter : « Le Covid nous a tous fait très mal. Avec la reprise forte, nous avons du mal à trouver du personnel. Des usines plus automatisées permettent de produire avec moins de personnel, mais aussi d'améliorer la qualité produite. Quand on a moins d'interventions humaines, on prend moins de risques de non-qualité. Enfin, l'automatisation nous a permis de réduire les prix de revient, et donc de maintenir un niveau de marge convenable. »

Ce jeu d'équilibriste entre automatisation et production à l'étranger n'est pas toujours évident à gérer. En janvier dernier, le groupe Latécoère annonçait devoir délocaliser les activités de son usine du futur inaugurée en 2018 vers le Mexique et la République tchèque. Raison invoquée : le manque de rentabilité de ce nouveau site industriel qui a dû faire face à une concurrence féroce sur son activité d'usinage avec la consolidation de la supply chain qui a donné naissance à des géants des pièces élémentaires à l'instar notamment de Mecachrome« Ils sont capables de produire d'énormes quantités et il est très difficile d'être compétitif dans ce contexte », observait-on en interne chez Latécoère en début d'année.

Lire aussiLatécoère : pourquoi l'usine du futur n'a pas permis d'enrayer les délocalisations

Guider les PME vers l'automatisation

Pour guider les entreprises dans ce virage vers l'automatisation, une usine-école est en train de voir jour à Toulouse au sein de la nouvelle maison de la formation Jacqueline Auriol. Elle sera ouverte notamment aux PME qui hésitent à franchir le cap de l'industrie du futur.

« La machine peut faire peur, certains craignent que cela ne fonctionne pas ou que cela tue l'emploi. Avant qu'ils ne se lancent dans de lourds investissements, l'idée est de faire découvrir aux dirigeants ces nouvelles technologies dans une zone neutre. Nous avons, par exemple, une société qui a réalisé un boîtier d'analyse de vibrations des machines qui pourra être testé ensuite par les industriels au sein de leurs usines. Nous sommes convaincus que l'automatisation peut renforcer la compétitivité des entreprises et maintenir les usines sur le territoire », fait valoir Emmanuel Cordier, directeur opérationnel de cette plateforme baptisée Pad'Occ.

Lire aussiAéronautique : Toulouse héberge une usine-école pour développer l'industrie du futur

De son côté, Mecachrome envisage de pousser davantage l'automatisation sur son site de Montauban (Tarn-et-Garonne), spécialisé dans le tournage, par exemple. En cas de nouveaux contrats, d'autres lignes automatisées pourraient voir le jour demandant chacune un investissement de 20 millions d'euros. Pour Christian Cornille, « sur l'usinage notamment, on doit pouvoir rapatrier une partie des activités qui sont positionnées ailleurs, sur d'autres territoires ».

« Mais je ne pense pas que ça changera fondamentalement l'équilibre global car d'autres contraintes existent sur notre supply chain comme la présence d'offset, d'obligation de produire dans les pays qui commandent des avions », conclut-il.

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Commentaires 4
à écrit le 27/06/2023 à 11:13
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En France, on apprend à l'école que l'industrie, c'est le monde de Zola, de Germinal et de l'Assommoir, qui n'est que saleté, exploitation/oppression/pauvreté, alcoolisme, j'en passe et des meilleures. Et puis il y a aussi le mépris discret du petit...

à écrit le 27/06/2023 à 7:54
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La mécanisation c'est la solution ! Et nous en avons perdu des décennies d'évolution technologique dans ce domaine du fait de la délocalisation de masse vers les pays esclaves plutôt que vers le progrès technique. Parce qu'avec des esclaves nos class...

le 27/06/2023 à 9:06
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"Arbeit macht frei" serait plus approprié. Quant aux avions, personnellement moins en en construit et mieux ça me va.

le 27/06/2023 à 10:57
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"Arbeit macht frei" serait plus approprié." Oui mais nous sommes peu à comprendre cette langue, quand à savoir s'il faut des avions ou pas ce n'est pas le sujet de cet article.

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