Financement des startups face à la Covid : les levées boudées, le crowdfunding adoubé (2/3)

Depuis le mois de mars, les levées de fonds sont en chute libre face à la frilosité des investisseurs. Malgré de nombreux dispositifs publics pour accompagner les startups, ces dernières sont nombreuses à opter pour le financement participatif. Décryptage.
Le financement participatif connait un intérêt croissant auprès des startups de l'Occitanie.

Les startups françaises résistent à la crise et continuent de lever des fonds. Mais la Covid-19 a bel et bien brisé la belle dynamique d'hyper-croissance de la French Tech. D'après les calculs de La Tribune, les startups françaises ont levé 2,7 milliards d'euros entre janvier et juin, soit quasiment autant qu'au premier semestre 2019 (2,8 milliards d'euros). Mais si ce très léger recul (-3,5%) peut paraître anecdotique et rassurant à première vue, il est trompeur. Il révèle surtout que la crise économique a bel et bien stoppé net le très fort élan du capital-risque français, habitué à une croissance à deux chiffres à chaque semestre (+39% en moyenne sur les quatre dernières années au premier semestre).

C'est même la première fois, depuis la création du label French Tech en 2013 et donc de la structuration de l'écosystème, que le montant levé sur un semestre recule sur
un an. Dans le détail, les startups françaises ont levé, d'après les chiffres de La Tribune, 2,72 milliards d'euros au premier semestre 2020 contre 2,79 milliards au premier semestre 2019, pour 321 opérations contre 387 l'an dernier. Soit une baisse de respectivement -3,5% en valeur et de -17% en volume sur un an.

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Les petites levées de fonds en souffrance

Plus finement, le premier semestre a été marqué par 54 levées de moins d'un million d'euros (96 au premier semestre 2019), 167 levées entre 1 et 5 millions d'euros (171 l'an dernier), 41 levées entre 5 et 10 millions d'euros (37 l'an dernier), 34 levées entre 10 et 20 millions d'euros (23 l'an dernier), 15 levées entre 20 et 50 millions d'euros (20 l'an dernier), 8 entre 50 et 100 millions d'euros (9 l'an dernier), et 6 méga-levées de fonds d'au moins 100 millions d'euros (5 l'an dernier).

Autrement dit, la crise de la Covid-19 a porté un sacré coup à l'amorçage, notamment aux toutes petites opérations de moins d'un million d'euros dont le nombre a été quasiment divisé de moitié. Une situation qui s'explique par l'incertitude économique, qui pousse les business angels à vouloir minimiser le risque en misant moins sur de toutes jeunes pousses qui ont encore tout à prouver, et poussant les investisseurs à se concentrer sur leur portefeuille actuel.

"Aucun projet n'a été annulé à cause de la crise, au pire peut-être y-a-t-il eu un ralentissement (...) Par ailleurs, nous avons intensifié notre accompagnement des entreprises. Nous avons fait du mapping pour voir lesquelles allaient être mises en danger. Une seule, dans le secteur du numérique, a eu besoin d'aide et d'être refinancée. Nous avons continué à instruire les dossiers en cours et commencé à en étudier de nouveaux", conteste Gille Roches, le président de Melies Business Angels, basé à Montpellier et qui intervient en phase d'amorçage, avec 25 entreprises soutenues actuellement.

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"Nous avons resserré notre présence auprès des dirigeants des entreprises de notre portefeuille, soit 190 sociétés aujourd'hui. Concernant les dossiers en cours, la tentation d'attendre d'y voir plus clair était grande. Mais nous avons décidé de maintenir nos opérations d'investissement dans AB7, Phost'In Therapeutics, Toopi Organics et le groupe Générale du Solaire", confirme Corinne d'Agrain, la présidente d'Irdi-Soridec Gestion, un fonds qui accompagne en capital les entreprises d'Occitanie et de Nouvelle Aquitaine.

Le conseil régional tente de rassurer l'écosystème de l'innovation

Malgré ces bonnes volontés, les témoignages de startups dans les coulisses sont sans appel : les levées de fonds sont annulées, notamment pour celles qui tentent de boucler leur premier tour de table, ou dans le meilleur des cas reportées à une date indéterminée. Par concours de circonstance, c'est dans cette période trouble pour les jeunes pousses que le Conseil régional d'Occitanie, associé à quatre banques, a décidé de lancer la société Ocseed.

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"C'est un projet de longue haleine, lancé bien avant cette crise unique. Cela fait presque deux ans que nous avons initié les discussions avec les acteurs privés. Cependant, la crise du Covid-19 a renforcé cette initiative. L'activité des fonds d'investissement est ralentie et il y a un vrai trou dans la raquette au niveau de l'offre de financement dans l'étape d'amorçage. C'est une période critique pour les jeunes pousses durant laquelle le besoin en financement est important afin de faire ses preuves auprès de ses premiers clients", justifie Anne-Laure Charbonnier, la présidente de cette nouvelle entité.

Celle-ci prévoit ainsi d'investir cinq millions dans 20 startups, sur les cinq prochaines années, avec des tickets allant de 100 000 à 300 000 euros, dédiés à des pépites qui n'ont pas encore levé de fonds et dont l'impact sociétal est prouvé (voir notre zoom précédent, ndlr). Ainsi, SmartCatch (systèmes nanotechnologiques pour lutter contre le cancer) et Hinfact (logiciel de formation des pilotes d'avion) ont bénéficié en premiers de cette enveloppe et d'autres devraient rapidement suivre. Parallèlement à cette démarche inédite, la collectivité locale a renouvelé au début du mois de juillet sa convention de partenariat, jusqu'en 2022, avec Occitanie Angels, la fédération des réseaux de Business Angels de son territoire. Une collaboration qui a déjà permis de financer 15 entreprises pour un total de 2,1 millions d'euros ces dernières années.

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Le financement participatif va-t-il connaître son apogée ?

Quand bien même les acteurs publics viendraient à compenser la frilosité des investisseurs privés à s'engager dans des projets innovants ou de rupture à venir, les startups qui bénéficieront de levées de fonds "classiques" seront pour une durée indéterminée moins nombreuses qu'auparavant.

Face à cette situation, les jeunes pousses font de plus en plus appel aux particuliers à travers le crowdfunding, ou le financement participatif. Une véritable aubaine après une période de confinement où l'épargne des ménages, en Occitanie comme partout ailleurs, explose des records. Rien que sur le mois d'avril, les particuliers de la région ont épargné quasiment deux milliards d'euros selon la Banque de France. Un contexte que la jeune pousse toulousaine Kippit, qui conçoit et commercialise de l'électroménager réparable à vie, Made In France, et donc durable, a su mettre à son avantage.

"Pour nous, c'était une évidence d'enclencher une telle démarche car nous la voyons comme une preuve de marché et ainsi nous pouvions savoir si nous répondions à un réel besoin. Malgré le contexte, nous avons donc démarré une campagne de financement participatif sur Ulule le 22 avril et en quelques heures nous avons récolté notre objectif de 10 000 euros, pour au final récolter plus de 245 000 euros. Nous avons ainsi 1500 bouilloires en pré-commande et qui seront livrées en novembre, avant de développer et commercialiser le grille-pain et le lave-linge", expose la co-fondatrice Kareen Maya Levy, qui envisage également d'ouvrir son capital à hauteur de 100 000 euros à cette communauté.

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Face à ce nouvel intérêt des startups pour cette pratique de financement loin d'être récente, mais encore minoritaire en volume, les professionnels dans le domaine se préparent à un afflux de ces pépites auprès de leurs structures, à l'image de la plateforme toulousaine WiSEED.

"On va désormais se concentrer sur les énergies renouvelables, l'immobilier et les startups. Pour ces dernières, nous allons bénéficier d'un afflux des recalés en provenances des fonds professionnels, mais qui ont du sens. Notre système permet d'avoir une force de frappe là où ces investisseurs ne veulent pas aller et le financement participatif aura son rôle à jouer dans la relance. Les entreprises à impact positif, et notamment les startups, dans les secteurs de l'agriculture durable, l'alimentation, les énergies, la santé et l'aéronautique... bénéficient d'un très fort attrait au-delà des boîtes de la tech", analyse Nicolas Sérès, le président du conseil d'administration de WiSEED.

Une petite révolution dans le financement des startups est, peut-être, en train d'avoir lieu.

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