Aéronautique : l'Europe aura besoin de 28 millions de tonnes de carburants d'aviation durable en 2050

Pour remplir les objectifs européens de décarbonation, le transport aérien aura besoin de 28 millions de tonnes de carburants d'aviation durable chaque année à l'horizon 2050, nécessitant 650 TWh d'électricité, soit l'équivalent d'une cinquantaine de centrales nucléaires. Des chiffres colossaux mis en exergue par l'Académie de l'Air et de l'Espace dans son dernier rapport. Les experts de l'aéronautique appellent à un coup d'accélérateur dans la constitution d'une filière locale de production de SAF, sans quoi le risque est grand de voir émerger une nouvelle dépendance énergétique.
(Crédits : Rémi Benoit)

Le transport aérien réussira-t-il à accomplir sa promesse de neutralité carbone en 2050 ? En théorie, c'est possible. Les alternatives au kérosène sont déjà connues, mais réussir cet objectif va demander des investissements colossaux, mesurés pour la première fois dans un rapport publié le 15 mai par l'Académie de l'Air et de l'Espace.

Au milieu du siècle, les avions décollant depuis le sol européen auront besoin de 40 millions de tonnes de carburant par an pour voler. Pour atteindre la neutralité carbone, l'Union européenne mise sur une arrivée exponentielle des carburants d'aviation durable (SAF) dans les appareils. Même si beaucoup d'écho médiatique est donné aux projets d'avions à hydrogène, ces derniers ne pourront pas adresser à moyen terme les gros porteurs.

« Étant donné que les vols moyen et long-courriers de plus de 1.500 km partant d'Europe génèrent plus de 70% des émissions de CO2, c'est sur eux qu'il faut agir en priorité », souligne l'AAE.

Alors que ces carburants d'un nouveau genre, issus notamment d'huiles de cuisson usagées, pèsent actuellement seulement 0,1% de la consommation mondiale des avions, le règlement RefuelEU impose une proportion croissante de SAF, à raison de 2% en 2025, 20% en 2030, 70% en 2050.

Pour remplir ces objectifs européens de décarbonation, le transport aérien aura donc besoin de 28 millions de tonnes de carburants d'aviation durable chaque année à l'horizon 2050. Autant dire que les huiles de cuisson usagées ne suffiront pas à remplir les réservoirs des avions... D'après une étude faite par l'Académie des technologies, compte tenu de la surface de bio-cultures requise pour leur production et de la concurrence avec d'autres secteurs utilisateurs, le volume disponible pour l'aviation en Europe ne dépassera pas 20% des besoins.

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Nécessité d'industrialiser les carburants synthétiques

D'où l'idée de développer massivement des e-fuels, alternatives complémentaires aux biocarburants.

« Complètement synthétiques, issus du gaz carbonique prélevé dans l'atmosphère et d'hydrogène électrolytique, ils ne demandent que de l'énergie mais le rendement de 50-55% entre l'énergie requise et l'énergie stockée dans l'e-fuel, mène d'une part à une considérable demande d'électricité "verte", d'autre part à un coût élevé de deux à trois euros par litre. L'UE ayant décidé qu'une incorporation minimale de 35% serait exigée en 2050, la plus grande difficulté vue d'aujourd'hui est l'assurance de disposer de suffisamment d'énergie "verte". Les procédés de fabrication existent mais l'industrialisation massive n'a pas commencé », résume l'Académie de l'Air et de l'espace dans son rapport.

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Construire une cinquantaine de centrales nucléaires

Mais outre l'industrialisation, ces nouveaux carburants synthétiques risquent surtout d'être confrontés à une pénurie d'électricité décarbonée. D'après l'AAE, tenir les objectifs européens de SAF nécessitera « 650 TWh d'électricité, soit de l'ordre de 11% de l'ensemble des besoins du reste des usages de la société, déjà en soi difficiles à satisfaire ».

« Il faudrait construire ou reconstruire, d'ici 2050 dans l'Union européenne, 110 à 120 tranches EPR en une cinquantaine de centrales, plus environ 1.100 champs d'éoliennes offshore du type Saint-Nazaire (80 km2 chacun, ndlr), plus 12.000 km2 de panneaux photovoltaïques, autrement dit des milliers de fermes solaires de 2 à 3 km2 complétées par beaucoup de solaire disséminé sur les toits, les parkings, etc. », illustrent les experts aéronautiques.

Dans ce contexte et alors que le transport maritime, l'automobile ou le bâtiment cherchent aussi à se décarboner, le rapport pointe le risque « fortement probable d'une concurrence féroce entre usages pour l'accès à la ressource électrique bas carbone disponible sur le marché ».

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Le risque d'une nouvelle dépendance aux importations étrangères

 L'Académie de l'Air et de l'Espace appelle de ses voeux des investissements massifs dans le développement d'une filière industrielle locale de production de ces nouveaux carburants, pour un montant estimé annuellement au minimum à 40 millions d'euros pendant 25 ans. Sans quoi, alerte-t-elle, « les compagnies aériennes pourraient être amenées à accroître leurs approvisionnements à l'étranger, ce qu'elles semblent déjà anticiper aujourd'hui ».

« Cette approche impliquerait le remplacement d'une dépendance géopolitique et économique aux hydrocarbures importés par une dépendance similaire à l'énergie décarbonée importée, et un renoncement à se débarrasser de la rente pétrolière qui "plombe" leur balance des paiements », poursuit le rapport.

Le document pointe par ailleurs des défis industriels à travers la difficulté « à trouver du personnel qualifié et des ressources physiques (voire énergétiques) pour la construction d'un tel nombre d'unités de production d'électricité décarbonée ».

Malgré cette difficile équation, l'Académie de l'Air et de l'Espace ne soutient pas une logique de décroissance drastique du trafic aérien mais perçoit « une évolution au sein du transport aérien, comme dans l'ensemble de l'activité économique, vers plus de sobriété dans ses usages tant professionnels que privés ».

« C'est un élément qui doit être pris en compte dans l'étude prospective de scénarios préconisée plus haut. Adopter une telle attitude ne peut qu'aider à faire comprendre que la même sincérité préside aux actions de décarbonation à entreprendre et à l'appel aux lourds investissements correspondants », résume le rapport.

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2024 à 10:25
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Pour que chacun puisse continuer à faire son petit city trip mensuel ? Est-ce bien nécessaire quand on sait que 90% des vols sont destinés au loisir ???

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