Aéronautique : la difficile équation pour concrétiser l'avion vert

Toulouse est devenue en quelques années le centre névralgique d'une multitude de projets de petits aéronefs décarbonés dans le sillage de l'avion régional à hydrogène annoncé par Airbus pour 2035. Mais la route vers la décarbonation sera longue. Comment concilier montée des cadences et transition écologique ? Quel optimum climatique viser pour les nouveaux carburants ? Comment gérer les conflits d'usage à venir sur l'électricité ? Quels aménagements seront nécessaires pour accueillir l'hydrogène dans les aéroports ? Comment financer cette décarbonation du secteur ? Autant d'enjeux soulevés à l'occasion d'un débat organisé le 13 septembre dernier à Toulouse.
(Crédits : Airbus)

« Nous sommes passionnés d'aviation. Nous avons orienté toutes nos études dans ce secteur et en même temps, nous sommes parfaitement lucides sur la situation actuelle. Nous n'arrivons plus à prendre l'avion comme nous n'arrivons plus à croquer dans un steak. Dans ces conditions, deux choix s'offrent à nous : laisser tomber le secteur aéronautique et se tourner vers le ferroviaire, les énergies durables ou parier sur l'aviation verte », témoigne Joseph Risson. Cet étudiant à l'Isae-Supaero était invité le 13 septembre dernier à s'exprimer dans les locaux de l'école d'ingénieurs toulousaine en ouverture d'un débat organisé par le groupe d'études Aéronautique et Espace de l'Assemblée nationale, en collaboration avec l'ONG Transport & Environment.

Joseph Risson a lui fait le choix de consacrer sa carrière à l'avion vert en créant une startup sur la propulsion hybride à hydrogène. Et il n'est pas leur seul à avoir pris cette voie. Ces dernières années, Toulouse est devenue le centre névralgique d'une multitude de projets de petits aéronefs décarbonés dans le sillage de l'avion régional à hydrogène annoncé par Airbus pour 2035. Mais la route vers la décarbonation sera longue et l'équation pour un avion vert se révèle ardue.

Lire aussiToulouse au coeur de la bataille pour l'aviation à hydrogène

La montée des cadences est-elle compatible avec les objectifs de transition ?

En attendant l'arrivée de l'avion à hydrogène, la réduction de l'empreinte carbone du trafic aérien passera à court-terme par le renouvellement des flottes. « Les avions modernes sont 20 à 25% plus efficaces que les modèles précédents », rappelle Alain de Zotti, directeur du service architecture avion au sein d'Airbus. L'avionneur européen table sur un doublement de la flotte mondiale à l'horizon 2041 (avec 47.000 contre 23.000 actuellement) avec une part importante liée au renouvellement des avions actuels. Des perspectives qui conduisent Airbus à prévoir de passer à 75 avions produits par mois au milieu de la décennie (contre 45 en 2022).

Cette montée des cadences est-elle compatible avec les objectifs de transition du secteur ? « De quelle transition parlons-nous ? Celle qui consiste à accélérer aujourd'hui les cadences de production ou celle qui consiste à mettre la diminution des émissions globales au cœur des stratégies du secteur ? Aujourd'hui, l'idée est de produire des avions fossiles deux fois plus vite avec un doublement de la production des avions et donc d'ici 2045 sans explosion des emplois », interpelle Chantal Beer-Demander du collectif Pensons l'aéronautique pour demain.

Lire aussi« Moins d'avions, plus d'emplois » : les propositions chocs d'un collectif toulousain

Pour autant pour Baptiste Voillequin, directeur des affaires R&D, espace et environnement au sein du Gifas (Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales), croissance et décarbonation ne sont pas incompatibles : « La montée en cadence aura des impacts positifs sur l'environnement avec le fait de renouveler la flotte avec des avions de dernière génération. »

Quel optimum climatique pour les nouveaux carburants ?

Outre le renouvellement des flottes, l'industrie parie à moyen-terme sur l'essor des carburants d'aviation durable (SAF) à partir d'huiles usagées ou les carburants synthétiques produits à partir de CO2 et d'hydrogène. Sur le papier, ces carburants promettent des améliorations significatives par rapport au kérosène. Mais à y regarder de plus près, l'équation est plus complexe, notamment en raison des effets non-CO2 du trafic aérien.

« Pour réduire les traînées de condensation des avions, beaucoup d'espoirs reposaient sur les SAF en se disant qu'ils généreraient moins d'aromatiques. Mais en réalité, le kérosène n'est pas très loin de l'optimum minimum de ces effets non-CO2. Le levier technologique majeur pour éviter ces effets non-CO2 repose plutôt sur l'évitement des zones de condensation. En reroutant un avion, l'itinéraire devient moins optimal du point de vue de la consommation de carburant donc l'optimum climatique n'est pas forcément si simple à trouver », décrypte Laurent Joly, directeur de l'Institut pour une aviation soutenable.

Le même problème se pose pour l'hydrogène, qui n'émet pas de CO2 s'il est produit sans carburant fossile. « Mais son empreinte est légèrement compensée car l'hydrogène est très chargé en eau et donc de condensation. Pour éviter ces effets non-CO2, il faudra mettre au point aussi des stratégies d'évitement des zones de condensation », ajoute Laurent Joly.

Du côté des carburants synthétiques, Tahar Melliti, membre du conseil exécutif de Khimod alerte sur le risque de distorsion entre l'Europe et les États-Unis :

« En Europe, il y a un règlement qui est en train d'être constitué pour imposer l'origine renouvelable du CO2 utilisé pour créer des carburants synthétiques, éliminant de fait la captation de CO2 produit par les sites industriels. Cela va créer une vraie distorsion au niveau mondial sachant que les États-Unis acceptent le CO2 provenant par exemple de sites industriels et vont pouvoir le produire avec des coûts beaucoup plus faibles.»

Conflits d'usage à l'horizon

 Autre donnée à avoir en tête, « l'aviation n'est pas toute seule à se décarboner, elle doit aussi prendre en compte ces camarades industriels », pointe Jérôme du Boucher, responsable aviation France de l'ONG Transport et environnement. « Des conflits d'usage vont apparaître avec une tension extrême sur l'approvisionnement d'électricité dans les années à venir », ajoute-t-il.

Un constat partagé par Stéphane Amant, responsable du bureau de Toulouse du cabinet de conseil Cabone 4 :  « Si nous n'innovons pas dans la gestion des conflits d'usage, c'est plutôt la stratégie de l'affrontement, la loi du plus fort qui l'emportera avec des pressions des acteurs économiques. Les États peuvent aussi s'en mêler et il existe des exemples récents pas particulièrement amicaux pour gérer des ressources. Il faut créer des coalitions d'acteurs issus de secteurs économiques différents. »

Comment accueillir l'hydrogène dans les aéroports ?

Autre question qui se pose avec l'arrivée attendue des avions à hydrogène, quid de l'aménagement nécessaire dans les aéroports ? Là encore, la réponse ne sera pas unique et devra être personnalisée pour chaque plateforme.

« Dans les petits aéroports qui accueillent plutôt de l'aviation générale, cela coûterait trop cher d'installer des pipelines pour acheminer l'hydrogène. On peut imaginer alors d'avoir de la fourniture d'hydrogène par camion. Dans les plus grands aéroports, où la livraison par camion ne serait pas suffisante ou ne constituerait économiquement pas la meilleure solution, les pipelines seraient plus adéquates », observe Nicolas Dubois, directeur de la direction de la sécurité de la d'aviation civile sud

D'autant que certains aéroports disposent déjà de pipelines pour le pétrole. Autres options possibles : « La livraison par bateau d'hydrogène serait possible, plutôt à Nice qu'à Toulouse. La solution ultime repose sur la production de l'énergie sur place à l'aéroport, ce qui veut dire qu'il y a un besoin suffisamment important pour justifier ces investissements », livre-t-il.

Lire aussiL'aéroport Toulouse-Blagnac veut produire et revendre de l'électricité aux industriels

 Comment financer la décarbonation ?

Dernière interrogation, et pas des moindres, comment financer la décarbonation du transport aérien? Parmi les nouveaux acteurs portant des projets d'avions électriques ou à hydrogène, on pointe la vallée de la mort en matière de financement. Régulièrement, le constructeur aéronautique toulousain Aura Aero alerte sur « le vide sidéral » de financement privé en France pour accélérer le développement de son avion régional hybride de 19 places. « Le courage manque parmi les financiers. C'est un monde assez moutonnier qui suit les tendances », remarque Marwan Lahoud, directeur général délégué de Tikehau Capital et nouveau président de l'Isae-Supaero.

Raison pour laquelle la startup californienne Universal Hydrogen a fait le choix de lever des fonds depuis les États-Unis pour faire décoller son système modulaire pour convertir les avions régionaux à l'hydrogène. « À notre création, en moins d'un an, la startup a levé 20 millions puis 65 millions de dollars. Je ne sais pas si cela aurait été possible en Europe. Tout simplement parce que culturellement, l'appétence au risque est vraiment différente », analyse Pierre Farjounel, directeur des opérations européennes d'Universal Hydrogen.

Pour financer cette transition, la députée de la 9e circonscription de Haute-Garonne Christine Arrighi préconise « d'engager un grand débat sur la question de la fiscalité des mobilités pour le secteur aérien et pour toutes les mobilités ». « La prochaine loi des finances pourra en être le premier pas », conclut-elle.

Lire aussiUniversal Hydrogen cherche 200 millions pour faire décoller l'aviation régionale à hydrogène

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 19/09/2023 à 17:51
Signaler
"pour concrétiser l'avion vert" Un bon coup de peinture verte et le tour est joué.

le 19/09/2023 à 20:42
Signaler
J'ai pensé à la même chose que vous. On peut même utiliser une peinture verte écologique non?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.