Aéronautique : « La moitié du succès de la décarbonation repose sur les énergéticiens » (Safran)

La filière aéronautique a-t-elle les moyens de réaliser ses promesses de décarbonation ? « C'est inédit, la moitié du succès de notre trajectoire pour atteindre zéro émissions nettes en 2050 dépend d'une industrie tierce. Les énergéticiens devront produire des quantités de carburant d'aviation durable et d'électricité nécessaires au transport aérien », a soulevé Philippe Couteaux, senior vice-président de Safran lors du forum de l'Académie de l'air et de l'espace à Toulouse. Face à la montée du flygskam (honte de prendre l'avion), la réussite de la décarbonation est pourtant « un enjeu existentiel pour garder notre leadership », a insisté pour sa part Antoine Bouvier, vice-président de la stratégie d'Airbus.
(Crédits : Airbus)

C'est la hantise de la filière aéronautique. En juillet dernier, le gouvernement des Pays-Bas annonçait vouloir réduire le nombre de vols de 500.000 à 460.000 par an à l'aéroport d'Amsterdam-Schipol pour réduire son impact environnemental et lutter contre la pollution sonore (avant de faire machine arrière il y a quinze jours en raison d'un avis négatif européen).

Face à l'urgence climatique, des voix s'élèvent pour une décroissance du trafic aérien. « Il existe des usages essentiels de l'avion par exemple pour le rapatriement sanitaire. Par contre, prendre dix jours de vacances pour aller dans une piscine et un hôtel à New-York et se retrouver entre touristes, ce n'est pas essentiel. Il faudrait une décroissance du trafic pour ces usages futiles. Nous n'avons jamais eu d'avions aussi économes en kérosène par kilomètre passager et pourtant nous n'avons jamais autant consommé de kérosène. Il faudrait une stabilité de la flotte mondiale d'avions et construire des avions essentiellement pour le marché de renouvellement », estime Laurent Castaignède, fondateur de BCO2 Ingénierie, un bureau d'études d'analyse d'impacts environnementaux basé à Bordeaux.

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« Interdire aux générations futures de voyager n'est pas la solution »

Des propos chocs qui ne laissent pas indifférent lors du forum organisé le 23 novembre dernier à l'occasion des 40 ans de l'Académie de l'air et de l'espace à Toulouse.

« Notre ambition, c'est de ne pas avoir à interdire aux générations futures de voyager à travers le monde. La décroissance, dont on parle beaucoup dans les médias et dont on a encore reparlé ce matin, ce n'est pas pour nous la bonne solution », a plaidé Philippe Couteaux, senior vice-président de Safran chargé de la stratégie et du climat.

Le motoriste a consacré plus de 75% de ses investissements en R&D sur la période 2021-2024 à la décarbonation, soit plus de 4 milliards d'euros.

« Le premier axe, bien sûr, c'est la conception de moteurs ultra efficaces pour 2035. Ces moteurs pourront intégrer 100 % de SAF (carburants d'aviation durable) et bien sûr, à terme, 100 % d'hydrogène. Nous travaillons aussi au développement de l'électrification de la propulsion en premier lieu pour des aéronefs sur de courte distance, des VTOL (aéronefs à décollage vertical) jusqu'aux avions régionaux de 50 passagers, et cela passe aussi par de l'hybridation des systèmes propulsifs. Nous planchons aussi sur l'utilisation de matériaux plus légers partout où c'est possible dans l'avion et puis enfin sur des carburants de synthèse qui seraient produits à partir d'électricité bas carbone ou à partir de gaz synthétique», détaille le dirigeant.

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Conflits d'usage avec les autres secteurs

Pourtant, souligne-t-il : « C'est inédit, la moitié du succès de notre trajectoire pour atteindre zéro émissions nettes en 2050 dépend d'une industrie tierce. Les énergéticiens devront produire des quantités de carburant d'aviation durable et d'électricité nécessaires au transport aérien. »

Un constat partagé par Jérôme du Boucher, responsable aviation de l'ONG Transport & Environment pour la France.

« Le principal défi est énergétique pour passer d'une logique d'extraction de carburant fossile à la production d'énergie renouvelable. On peut avoir tous les plus beaux avions au monde, si les capacités de production d'énergie renouvelable sont insuffisantes, alors la décarbonation reste un vœu pieux. En France, en additionnant les besoins pour les vols internationaux et domestiques en 2050, le transport aérien aura besoin de 153 térawattheures d'électricité, soit environ la production annuelle de douze EPR. Le gouvernement, a annoncé jusqu'à présent plutôt la création de six EPR pour tous les besoins de l'économie et pour remplacer les réacteurs qui vont pouvoir fermer. Donc on voit bien le contraste entre ce qui est prévu pour toute l'économie et ce qui serait nécessaire seulement pour l'aviation sachant que tous les secteurs industriels souhaitent se décarboner et vont avoir besoin d'électricité renouvelable. »

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Airbus est conscient de ces limites des nouveaux carburants, qu'il ne juge pourtant pas insurmontables.

« Il ne faut pas se limiter à la situation actuelle où la matière première pour les biocarburants est limitée. Effectivement, on se fait peur si on regarde la transformation du colza en biocarburants parce que c'est potentiellement des millions d'hectares à mobiliser. Une telle situation serait évidemment inacceptable. Au-delà des simples cultures agricoles, il faut utiliser le maximum de déchets, le bois et les déchets ménagers pour faire en sorte d'élargir de façon considérable le périmètre des matières premières utilisées. Et puis, au delà de la biomasse, nous travaillons sur des technologies de recomposition du carbone issues d'une capture de l'air et d'hydrogène. A condition que cet hydrogène provienne d'une électricité totalement décarbonée. Dans le cas des carburants de synthèse, la limite, ce n'est pas des hectares de terrain mais la quantité d'énergie décarbonée. Une fois qu'on investit, il n'existe pas de limite physique à la production d'électricité décarbonée », pointe Antoine Bouvier, vice-président à la stratégie d'Airbus.

Parfois accusé de greenwashing, l'avionneur européen prend très au sérieux l'enjeu de la décarbonation. « C'est un enjeu existentiel pour garder notre leadership », estime encore Antoine Bouvier. « Si nous ne réussissons pas cette feuille de route de décarbonation, notre licence d'opérer tout simplement disparaîtra parce que notre activité ne sera plus jugée acceptable, ou en tout cas plus à ce niveau. L'innovation est le rempart contre une société bureaucratique, intrusive, autoritaire », conclut-il.

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Commentaires 3
à écrit le 29/11/2023 à 11:56
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"En France, en 2050, le transport aérien aura besoin de la production annuelle de douze EPR". C'est vrai de presque toutes les industries en développement. Par exemple: l'exploitation complète d'une IA dans toutes les requêtes d'un moteur de recherch...

à écrit le 29/11/2023 à 10:36
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Tout le succès de la décarbonation repose sur la disparition des déplacements inutiles ou rendus en tant que tel !

à écrit le 29/11/2023 à 8:32
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Ben c'est mort alors.

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