Immersion dans la construction du train à hydrogène français. Reportage à Tarbes

REPORTAGE. Au sein de son site de Tarbes (Hautes-Pyrénées), qui réunit 400 ingénieurs et dédié aux projets de tractions vertes, Alstom développe le futur train à hydrogène français, attendu sur les rails d'Occitanie en 2024. Bloc batteries, pile à combustible, convertisseur de puissance... La Tribune a pu constater les dernières avancées technologiques autour de ce projet poussé par quatre Régions, elles qui ont commandé 12 trains à hydrogène au groupe Alstom. Cependant, ce dernier voit émerger la concurrence de CAF et Siemens dans ce domaine.
C'est le site d'Alstom à Tarbes qui est au coeur de la conception du futur train à hydrogène français, où 400 ingénieurs y travaillent au quotidien.
C'est le site d'Alstom à Tarbes qui est au coeur de la conception du futur train à hydrogène français, où 400 ingénieurs y travaillent au quotidien. (Crédits : Pierrick Merlet)

C'est au coeur des Pyrénées que se joue une partie de l'avenir du rail français. Après avoir sorti de ses ateliers une technologie permettant une alimentation hybride d'un train (diesel + batterie), le centre d'excellence mondial des tractions « vertes » du groupe Alstom à Tarbes (Hautes-Pyrénées) doit mettre au point un système de train à hydrogène pour l'Hexagone. Par l'intermédiaire de la SNCF, quatre régions françaises (dont l'Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes) ont passé commande début 2021 pour 12 trains à hydrogène français, et une petite poignée en option. Dans le même temps, le voisin allemand bénéficie déjà de cette technologie. « Cela fait plus de deux ans que le train à hydrogène circule en Allemagne. Aujourd'hui, six trains allemands sont en service et 41 sont prévus. Globalement, la performance est satisfaisante », précise Pierrick Guilloux, le directeur des Green Tractions chez Alstom, qui mène la visite des lieux.

Lire aussiTrain à hydrogène : comment la France se met (difficilement) à la page

Cependant, le rail français ne bénéficie pas encore de cette avancée car il a opté pour une autre technologie. Si l'Allemagne a privilégié des trains 100% à l'hydrogène, la France a préféré disposer d'un train hydrogène bi-mode (électricité et hydrogène), ce qui nécessite par conséquent une nouvelle phase de R&D.

« Ce choix doit permettre au moteur à hydrogène de prendre le relais sur les parties d'une ligne non électrifiées. Le bi-mode présente un sens économique car il permet de réduire les coûts d'exploitation du moment que l'hydrogène reste bien plus cher que l'électricité », ajoute le dirigeant.

Par exemple, dans le cadre de la ligne test prévue entre Montréjeau et Luchon, le train à hydrogène utiliserait ses moteurs à hydrogène entre ces deux communes, la portion n'étant pas électrifiée, avant que l'électricité prenne le relais pour se rendre jusqu'à Toulouse.

Lire aussiLhyfe lance la construction d'un site de production d'hydrogène vert à Toulouse

Un coffre à batteries plat

En conséquence, ce choix politique permettra au futur train à hydrogène français d'embarquer moins d'hydrogène à bord. Avec ses 160 kilogrammes d'hydrogène gazeux par réservoir embarqués sur le train et stockés à 350 bars, le modèle français pourra parcourir 400 à 600 kilomètres en totale autonomie, selon Alstom, en fonction de la typologie du tracé. À titre de comparaison, le modèle allemand transporte quant à lui 230 kgs d'hydrogène gazeux par réservoir.

Afin de mener à bien le contrat français et assurer la montée en puissance de ce nouveau marché, le groupe mondial qui emploie 750 personnes à Tarbes dont 400 ingénieurs va mener quelques ajustements.

Lire aussiComment Hensoldt-Nexeya monte en puissance sur l'hydrogène

« Nous allons investir pour sécuriser et augmenter notre capacité de stockage d'hydrogène sur place, qui permet de mener à bien différents essais. Aujourd'hui, ce sont des bouteilles que nous remplaçons mais demain la recharge se fera directement avec des semi-remorques. Nous aurons 600 kgs de capacité de stockage dans le futur sur le site, contre 100 aujourd'hui », précise Benoît Carniel, le directeur du site de Tarbes, qui prévoit d'injecter 500.000 euros dans ces aménagements.

Train à hydrogène

Le site de Tarbes dispose d'une petite zone de stockage d'hydrogène qui va être aménagée et renforcée (Crédits : Pierrick Merlet).

Les réservoirs d'hydrogène, qui seront placés sur le toit du train, viendront ainsi alimenter une pile à combustible au lithium-ion, elle aussi sur le toit et d'une puissance de 330 kilowatts. Composé notamment d'un générateur électrique qui fonctionne à l'hydrogène, cet élément est aussi équipé d'un compresseur chargé de capter l'oxygène, sans oublier les systèmes de refroidissement attenants qui assurent la stabilité thermique de l'ensemble. « À moyen terme, il est prévu que nous ayons nos propres bancs de tests pour les piles à combustible sur le site de Tarbes », ajoute Pierrick Guilloux.

Train à hydrogène

La pile à combustible, au centre de l'image, sera placée sur le toit du train par mesure de sécurité (Crédits : Pierrick Merlet).

Pour le moment, Alstom a déjà investi de manière non négligeable sur son centre d'excellence mondial de 6.300 m2 pour le doter d'un bâtiment annexe capable de recevoir les bancs de tests des batteries, autre élément crucial, chargées de stocker l'énergie produite par le moteur à hydrogène du futur modèle français. « Nous sommes en train de faire monter en puissance ce banc d'essais. C'est un bâtiment dédié avec des box coupe-feu car une batterie peut subir un emballement thermique et s'enflammer », justifie un salarié du site. La particularité du train à hydrogène français est que ses batteries seront placées sous le plancher du train. Le coffre qui accueille les batteries sera donc plat, avec une hauteur de 22 centimètres.

Train à hydrogène

Le modèle français aura la particularité d'avoir un bloc batterie plat pour aller sous le plancher du train (Crédits : Pierrick Merlet).

« La SNCF a beaucoup accompagné Alstom dans la conception de cet élément. Nous nous sommes beaucoup grattés la tête pour y parvenir. Cela a été un énorme challenge technique, d'autant plus qu'il faut garder la même charge qu'un train régional diesel classique, soit 17 tonnes maximum par essieu, afin de ne pas fragiliser les ouvrages d'arts présents sur le réseau. Nous avons donc eu l'idée de placer ces batteries à la place des cuves à gasoil mais cela a impliqué de mettre au point cette forme innovante », raconte Pierrick Guilloux.

La principale innovation dont le département R&D de Tarbes chez Alstom est à l'origine est le futur convertisseur de puissance du train à hydrogène français. Si sa taille est réduite grâce à l'usage du carbure de silicium, cet équipement permet surtout de transmettre l'énergie produite par les moteurs à hydrogène vers le système de traction, tout en gérant l'apport de l'énergie stockée dans la batterie, en raison du fait que la pile à combustible produit de l'électricité de manière continue. Les deux premiers modèles de ce bloc de puissance sont en cours d'assemblage au sein de l'usine Alstom de Tarbes.

train à hydrogène

Alstom a dévoilé les premiers convertisseurs de puissance pour les futurs trains à hydrogène français (Crédits : Rémi Benoit).

Plusieurs marchés dans le viseur

Avec ces avancées, Alstom promet que la campagne de tests sur le réseau ferré français pourra intervenir dès la fin de l'année 2024 et ainsi envisager une mise en exploitation commerciale en 2025.

Lire aussiLe train à hydrogène circulera dès l'automne 2024 entre Montréjeau et Luchon

« Le marché est seulement naissant...Nous avons trois ans d'avance sur la concurrence. CAF vient de lancer ses premiers essais pour sa technologie et nous avons un autre gros concurrent sur la question qui est Siemens. C'est bien qu'il y ait de la compétition c'est stimulant, car si on ramollit, on pourrait vite se faire doubler », commente le patron des tractions vertes chez Alstom.

Train à hydrogène

Benoît Carniel et Pierrick Guilloux ont reçu les médias pour présenter leurs avancées sur le projet de train à hydrogène français dont ils ont la responsabilité (Crédits : Pierrick Merlet).

La multinationale française estime que 1.500 trains régionaux diesels seront à remplacer dans les prochaines années en France et que le train à hydrogène pourrait être une solution. Selon Alstom, ce potentiel marché grimperait à 6.000 trains au niveau européen. Mais pour s'assurer des débouchés commerciaux supplémentaires, le groupe sonde de près pour sa technologie le marché de la locomotive de fret et celui des trains dédiés aux manoeuvres en gare.

Lire aussiLes Forges de Tarbes, ce site industriel relancé par la guerre en Ukraine. Reportage

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.