Les Forges de Tarbes, ce site industriel relancé par la guerre en Ukraine. Reportage

REPORTAGE. Sauvée de la faillite par le groupe landais Europlasma en 2020, la société Les Forges de Tarbes connait une véritable renaissance industrielle. Seul site français capable de produire les ogives d'obus de 155 millimètres, notamment tirés par les canons Caesar, son activité se retrouve propulsée par la guerre en Ukraine. Son nouveau propriétaire compte y investir à court terme 12 millions d'euros pour tripler sa capacité de production. Mais ce n'était pas du tout le cheminement imaginé au départ par Europlasma, qui misait, et qui mise toujours, sur une autre activité pour relancer durablement le site.
Les Forges de Tarbes produisent actuellement 650 ogives d'obus 155 millimètres par semaine.
Les Forges de Tarbes produisent actuellement 650 ogives d'obus 155 millimètres par semaine. (Crédits : Rémi Benoit)

Dans la préfecture des Hautes-Pyrénées, il est difficile de passer à côté des imposants hangars des Forges de Tarbes. Si l'entrée principale se situe avenue des Tilleuls, les bâtiments de ce site industriel s'étendent sur 26.000 m2 de surface, dont 13.000 de bâtiments couverts. Ce site, anciennement l'arsenal de Tarbes installé ici pour l'éloigner au maximum de la frontière franco-allemande, a compté jusqu'à 3.000 personnes dans ses grandes heures.

Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une trentaine à l'occuper quotidiennement. « C'est vrai que nous ne manquons pas de place », ironise Anthony Cesbron, le directeur du site et directeur général adjoint du groupe Europlasma, propriétaire des lieux. Malgré les apparences, les Forges de Tarbes tournent à plein régime et frôlent même la surchauffe.

Ce site industriel est un maillon essentiel de la filière française de production d'obus et il est le dernier dans le pays à maîtriser un tel savoir-faire. La forge pyrénéenne est aujourd'hui la seule dans l'Hexagone à être capable de produire des ébauches de forge, autrement dit l'ogive d'un obus qui en fait sa forme et sa robustesse.

Forges de Tarbes

Forges de Tarbes

Au quotidien, ce sont entre 500 et 1.000 tonnes d'acier qui sont stockées au quotidien au sein des Forges de Tarbes pour produire des ébauches de forge (Crédits : Rémi Benoit).

Avec l'acier au chrome fourni depuis Fos-sur-Mer (Boûches-du-Rhône) par Ascometal, les Forges de Tarbes fournissent quotidiennement leur unique client, le Français Nexter. Réalisés chacun à partir d'un ballotin de 50 kilos de métal, les ogives produites à Tarbes sont les futurs obus 155 millimètres qui approvisionnement les désormais célèbres canons français Caesar.

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Produire 165.000 ogives en 2025

De par le contexte géopolitique, qui tire l'activité de la filière de l'armement, la forge de 1.500 tonnes, qui n'est rien d'autre que le coeur du réacteur, ne cesse de fonctionner. « À l'heure actuelle, nous produisons jusqu'à 250 pièces par jour et 3.000 par mois. À titre de comparaison, l'armée ukrainienne tire 5.000 à 7.000 obus chaque jour sur le front », illustre Anthony Cesbron.

Dans un entrepôt au sol glissant, provoqué par l'usage en grande quantité de lubrifiant, il ne faut que quelques minutes, du premier four qui va faire monter la pièce jusqu'à 800 degrés à la forge, pour qu'une quelconque masse cyclique se transforme alors en une ogive d'obus grâce à l'intervention de différentes presses. Une fois refroidies, les ogives sont envoyées à l'usinage, avant une phase de contrôle qualité grâce à des rayons ultra-violets et le traitement thermique final. « Tout l'intérêt du processus est d'en faire une pièce résistante, mais qui casse », résume le directeur du site.

Forges de Tarbes

Forges de Tarbes

Forges de Tarbes

Une trentaine de personnes se relaie pour faire tourner au maximum de ses capacités l'unique forge du site industriel tarbais (Crédits : Rémi Benoit).

Dans les faits, les Forges de Tarbes ont, avec leurs moyens actuels, la capacité de produire jusqu'à 400 pièces par jour. Mais cet objectif est pour le moment irréalisable, tout particulièrement en raison du manque de collaborateurs. Selon des calculs d'Europlasma, il faudrait au moins dans l'immédiat une vingtaine de salariés supplémentaires. Devant cette situation, l'entreprise espère « profiter » de la récente fermeture à proximité de Varel Europe, spécialisée dans la production de tête de forage pour l'industrie pétrolière. « Nous allons intégrer prochainement une salariée des 40 personnes présentes chez eux. Mais nous sommes prêts à accueillir d'autres anciens salariés. Ils sont dotés d'un incroyable savoir-faire », lance Anthony Cesbron.

Face à la demande croissante de son unique client, qui envoie la majeure partie de sa production en Ukraine, les Forges de Tarbes vont faire l'objet très rapidement d'un plan d'investissement de 12,3 millions d'euros. Au-delà des ressources humaines, cette somme va particulièrement servir à davantage automatiser le site, mais aussi moderniser la phase préliminaire de chauffe des ballotins d'acier dans un souci d'efficacité industrielle et énergétique. Avec cet apport financier, le groupe bordelais Europlasma envisage également de produire d'autres types d'obus, à des degrés de précision différents de ceux commandés par Nexter, toujours en 155 millimètres.

Forges de Tarbes

Forges de Tarbes

Pour recruter, les Forges de Tarbes sont confrontées au manque de formation en France sur les métiers de la forge (Crédits : Rémi Benoit).

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« Nous avons un site industriel taillé pour produire 1.000 pièces par jour et nous n'en sortons que 650 par semaine. Nous devons donc nous mettre en situation de produire davantage en augmentant nos cadences de production. L'objectif est clair, il est d'être en capacité de produire 160.000 pièces par an en 2025 », annonce Jérôme Garnache-Creuillot, le PDG d'Europlasma.

Une renaissance après 20 années compliquées

Cette effervescence autour des Forges de Tarbes est une renaissance pour ce site industriel. « Aujourd'hui, je suis serein pour l'avenir. Le 155 millimètres c'est le gros du marché », commente Pierre, chargé des achats et des approvisionnements de l'entreprise, et présent au sein de celle-ci depuis 41 ans. Il y a trois ans, cette belle histoire de longévité aurait pourtant pu prendre fin. En grande difficulté économique en 2020, les Forges de Tarbes sont en redressement judiciaire et foncent - tel un obus tiré par un canon Caesar - tout droit vers la case liquidation judiciaire. Mais le groupe Europlasma se porte alors acquéreur.

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« Nous avons hérité de quelque chose qui n'était pas en grande forme. L'idée est que là où nous perdions un, nous allons désormais gagner deux. Malheureusement, la guerre en Ukraine est pour nous une opportunité et un accélérateur de business qui nous offre beaucoup plus de visibilité », décrypte Jérôme Garnache-Creuillot, qui ne souhaite pas donner pour le moment d'informations précises sur le chiffre d'affaires des Forges de Tarbes.

Bien que malheureuse sur les plans humain et diplomatique, la guerre en Ukraine offre à cette forge un tout nouvel intérêt stratégique et souverain, et surtout de la visibilité voire de la stabilité. Ces 20 dernières années, ce site industriel est passé de main en main, a connu différents propriétaires et investisseurs, sans jamais réellement trouver son rythme de croisière. « Depuis la fin de la Guerre froide, les pays ont drastiquement réduit leurs stocks de munitions jusqu'au déclenchement du conflit russo-ukrainien. Les commandes étaient trop peu importantes », analyse le directeur du site. Avec Europlasma aux commandes, et la volonté des pays du monde entier de se réarmer, cette période creuse semble désormais loin derrière les Forges de Tarbes. Mais ce n'était pas du tout le cheminement imaginé par son nouveau propriétaire.

Forges de Tarbes

Anthony Cesbron, le directeur du site, est arrivé en poste il y a un peu moins de deux ans (Crédits : Rémi Benoit).

Les torches à plasma comme nouveau relai de croissance

Pour comprendre, il faut savoir que le groupe Europlasma est spécialisé dans le traitement de déchets dangereux, mais aussi la décarbonation de l'industrie lourde par l'intermédiaire de la torche à plasma.

« Avec la torche à plasma, nous pouvons monter jusqu'à 10.000 degrés à l'aide d'électricité. C'est la seule technologie qui permet d'atteindre un telle température sans énergie carbonée. Dans notre pays, l'électricité est à 95% décarbonée. Et dans le monde, la torche à plasma, sur cette application, est maîtrisée par seulement trois entreprises : nous et deux nord-américaines. En se portant acquéreur des Forges de Tarbes, nous voulions nous démarquer de nos concurrents et sécuriser notre approvisionnement », justifie le PDG d'Europlasma.

Avec les Forges de Tarbes, Europlasma souhaite ainsi forger les électrodes de ses torches à plasma, des pièces très rares car produites en petites séries et donc très chères. Internaliser sa production permettrait de réduire par deux son coût, tout comme une telle stratégie permettrait de réduire les délais d'approvisionnement. « Mais avec la guerre en Ukraine, les travaux sur cette diversification du site sont devenus moins prioritaires », reconnaît Jérôme Garnache-Creuillot. De plus, la crise énergétique a mis en pause l'intérêt commercial de la technologie, les prospects voulant tout d'abord survivre et passer la vague de l'explosion des coûts énergétiques avant de se projeter dans de lourds investissements.

« Aujourd'hui, la crise énergétique semble passée et la technologie de la torche à plasma intéresse à nouveau beaucoup de monde. Des demandes multiples nous parviennent et de très grands groupes nous demandent d'accélérer sur la production », glisse le patron de la société côté en bourse.

Europlasma s'est donc lancé dans un nouveau design de la ligne d'assemblage pour ses torches à plasma au sein des Forges de Tarbes, en tenant compte cette fois-ci de la montée en puissance de la production d'ogives d'obus, loin d'être imaginée à la reprise en 2020.

Forges de Tarbes

Europlasma doit revoir ses plans pour composer avec la montée en puissance de la production d'ogives pour obus de 155 millimètres, portée par la guerre en Ukraine (Crédits : Rémi Benoit).

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Commentaires 3
à écrit le 04/01/2024 à 21:38
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Bjr, vu les besoins actuels, il serait urgent d'augmenter la production des corps creux de 155mm, on est loin du compte pour l'armée Ukrainienne. Pourquoi pas de nouvelles forges & presses du côté de L'viv ? Dois-t-on attendre que les chars russes so...

à écrit le 29/04/2023 à 18:57
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Bonjour, Ils y a bien longtemps que les industries de défense terrestre ons était abandonné par l'état français... Le GIAT, puis NEXTER, sont les reste des arsenaux terrestre... Nous n'avons plus la capacité de fabrication de char de Bataille... C...

le 04/05/2023 à 7:28
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Bonjour, en complément de cette article les arceaux de tarbes dans les années 80 s'etait 4500 emplois , une main-d'œuvre de qualité et un savoir faire inestimable... Mais , comme cela a bien etait gérer, 90% de l'activité économique a disparus , a...

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