Aéronautique : l'intelligence artificielle à la rescousse des pilotes d'avion en cas d'urgence

L'intelligence artificielle n'est pas près d'arrêter de s'immiscer dans le quotidien des pilotes. A Toulouse, des chercheurs de l'Isae-Supaero et de l'Enac planchent sur des assistants virtuels pour aider l'équipage à réagir face à des situations d'urgence. Les progrès de l'IA ouvrent la voie à l'intégration de la reconnaissance vocale et de l'eye-tracking pour de nouvelles fonctionnalités dans les cockpits du futur. Autant d'enjeux qui seront au coeur de la conférence internationale ICCAS organisée cette semaine dans la Ville rose.
A Toulouse, des chercheurs de l'Enac et de l'Isae-Supaero planchent, à travers le projet européen Haiku, à la création d'un assistant virtuel pour aider les pilotes à mieux réagir face à un événement inattendu.
A Toulouse, des chercheurs de l'Enac et de l'Isae-Supaero planchent, à travers le projet européen Haiku, à la création d'un assistant virtuel pour aider les pilotes à mieux réagir face à un événement inattendu. (Crédits : Projet Haiku)

La prouesse avait fait grand bruit dans le secteur aérien. En janvier 2023, Airbus franchissait un nouveau cap dans l'assistance au pilotage en accomplissant un déroutement d'urgence sur un A350 sans intervention de l'équipage. Dans ce programme baptisé Dragonfly, une voix synthétique générée par un algorithme d'intelligence artificielle alerte le contrôle aérien et la compagnie aérienne. C'est toujours en s'appuyant sur de l'IA que le système sélectionne automatiquement l'aéroport le plus approprié pour le nouveau plan de vol et fournit à l'équipage des alertes audio pour que l'appareil se dirige seul vers sa place de stationnement.

L'avionneur européen précisait que l'intelligence artificielle n'a pas vocation à remplacer les pilotes mais seulement à faire face à des situations d'incapacité de l'équipage. Un cas de figure qui s'est déjà produit en 2005 avec le crash d'un Boeing 737-300 alors que les pilotes s'étaient évanouis en raison de l'absence de pressurisation lors de la montée. Mais en dehors de ce cas de figure extrême, les pilotes pourraient utiliser ces technologies d'assistance plus poussées pour faciliter par exemple le cheminement de l'avion vers sa place de stationnement en période de forte affluence à l'aéroport. L'IA devrait aussi accélérer l'entrée en service d'une configuration avec un seul pilote dans le cockpit (SPO : Single pilot operation) qui intéresse plusieurs compagnies pour réduire les coûts d'exploitation, malgré l'opposition de tous les syndicats de pilotes.

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Toulouse au coeur du développement de nouveaux assistants virtuels

Preuve de l'intérêt que suscitent ces nouvelles technologies d'intelligence artificielle, 200 scientifiques venus des quatre coins du globe sont attendus les 16 et 17 mai sur le campus de l'Isae-Supaero à Toulouse pour la conférence ICCAS, consacrée aux systèmes aériens cognitifs, autrement dit les assistants virtuels au pilotage pour les cockpits du futur.

La Ville rose mène des travaux de pointe en la matière. Depuis deux ans, des chercheurs de l'Enac et de l'Isae-Supaero planchent, à travers le projet européen Haiku, à la création d'un assistant nommé Focus (Flight Operational Companion for Unexpected Situations) pour aider à mieux réagir face à un événement inattendu et gérer l'effet de saut associé.

« L'idée est de mettre les pilotes dans une situation dans laquelle ils vont être partiellement en incapacité de réagir au niveau cognitif et au niveau moteur », avance Jean-Paul Imbert, ingénieur de recherche à l'Enac.

Dans le scénario expérimenté par les pilotes depuis un simulateur, l'avion est contraint d'atterrir à cause d'une pénurie de kérosène. Mais alors que l'appareil se prépare à atterrir, « il est frappé par la foudre dans la phase finale d'approche et en raison de ce foudroiement, des pannes systèmes apparaissent sur l'appareil », retrace Jean-Paul Imbert.

Pulsation de lumière et alertes sur des zones du cockpit

Les réactions du pilote face à cet événement extrême sont scrutées à l'aide de lunettes équipées de caméras filmant son regard mais également le cockpit.

« Le rythme cardiaque est également mesuré et des capteurs positionnés sur les doigts servent à détecter l'augmentation brutale de la transpiration dans ce cas de figure, précise Mickaël Causse, chercheur en neurosciences à l'Isae-Supaero. Une fois que le sursaut est détecté, l'assistant virtuel essaie de réguler l'état émotionnel de l'équipage avec le déclenchement dans le cockpit d'une pulsation de lumière verte qui va inciter le pilote à inspirer quelques secondes puis à expirer quelques secondes suivant le principe de cohérence cardiaque de manière à rétablir une respiration normale. »

En parallèle, l'assistant virtuel va pointer les zones du cockpit à regarder en priorité dans le cadre de l'atterrissage d'urgence : « Le système est capable de détecter par exemple que le pilote n'a pas regardé depuis un moment la vitesse verticale de l'appareil. Or, si l'appareil perd cinq nœuds de vitesse pendant la phase d'approche, c'est très problématique. En cas d'un tel changement notable, l'assistant va mettre en surbrillance les zones du cockpit à surveiller », décrit Jean-Paul Imbert.

Durant l'expérience, les chercheurs vont comparer les réactions des pilotes ayant ou non eu accès à l'assistant virtuel pour évaluer son impact sur les performances de vol.

Les assistants virtuels pourraient devenir de plus en plus nécessaires dans les cockpits puisque l'automatisation accrue des avions complexifie paradoxalement le travail des pilotes.

« L'automatisation soulage la charge de travail des pilotes et réduit leur fatigue. Mais elle peut entraîner une érosion des compétences en mode manuel et une confiance excessive dans les automatismes alors que les pilotes sont relégués au rang de superviseur. Par ailleurs, il existe un grand nombre de modes dans le pilotage automatique et l'équipage ne les connaît pas tous, ce qui peut générer de la confusion dans des situations d'urgence », souligne Mickaël Causse.

Travailler main dans la main avec les pilotes

D'où l'idée de travailler main dans la main avec les pilotes dans le développement de ces assistants virtuels. A l'Isae-Supaero, Caroline Chanel, chercheuse en conduite des systèmes autonomes, intelligence artificielle et interaction humain-système, mène le projet Minerva qui étudie comment les pilotes interagissent avec la machine en situation d'urgence : « L'idée est justement de voir ce que le pilote préfère déléguer à l'assistant virtuel », commente la chercheuse. Lancé l'été dernier, le programme s'appuie, là aussi, sur des briques d'intelligence artificielle pour, par exemple, activer la reconnaissance vocale.

« Le pilote va communiquer de façon naturelle avec la machine et il peut lui donner des instructions, comme par exemple de sortir la checklist d'atterrissage, de trouver un lieu pour se poser ou d'envoyer un message à la tour de contrôle », poursuit-elle.

Grâce à des caméras postées dans le cockpit, les scientifiques vont aussi étudier le parcours visuel du pilote pour confirmer, entre autres, que ce dernier a bien vérifié les indicateurs présents sur la checklist : « C'est une source d'incidents très connue. En 2008, lors du crash du vol Spanair, les pilotes avaient réalisé tellement vite leur checklist avant le décollage qu'ils avaient oublié de sortir les volets de sustentation », illustre Mickaël Causse.

Pour autant, il y a encore du chemin à faire avant l'arrivée de ce type d'assistants dans les cockpits. Avant même les négociations avec les syndicats de pilotes, savoir expliquer parfaitement le comportement de l'intelligence artificielle, qui par essence, génère des situations non-reproductibles et imprévisibles, est un prérequis indispensable pour certifier ces systèmes à bord des avions.

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Commentaires 3
à écrit le 15/05/2024 à 12:20
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Très mauvais exemples dans l'article. Soit on veut que l'avion soit gérable A DISTANCE (que ce soit par des humains ou des machines). Ce qui suppose qu'il soit "monitoré" depuis le début; et dès lors on va vers la disparition des pilotes. Soit on met...

à écrit le 14/05/2024 à 21:48
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Si c'est comme l'intelligence artificielle avec l'URSSAF, les avions vont s'écraser en masse. Après 1/4 d'heure d'une conversation stérile au téléphone, celle-ci a fini par admettre qu'elle ne comprenait pas mon problème (pourtant très simple), et m...

le 15/05/2024 à 9:10
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..C'est parce que le robot tchatcheur de l'URSSAF n'est pas conçu par OpenAI....

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