Délocalisation de Latécoère : le terrain de la discorde qui rend le dossier politique à Toulouse

Après l'annonce de la délocalisation de certaines activités de Latécoère, de Toulouse vers le Mexique et la République Tchèque, la cession en 2016 par la mairie au sous-traitant aéronautique d'un terrain à un prix très favorable, qui abrite les activités concernées par cette réorganisation industrielle, fait plus que débat dans la classe politique locale. L'opposition métropolitaine demande une commission d'enquête parlementaire sur cette transaction après avoir découvert que Latécoère a revendu ce même terrain bien plus cher. L'entreprise se défend dans les colonnes de La Tribune. De son côté, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, doit rencontrer les dirigeants de la société prochainement. Les explications.
Le foncier qui abrite l'usine Toulouse Montredon de Latécoère est au coeur d'un débat politique.
Le foncier qui abrite l'usine Toulouse Montredon de Latécoère est au coeur d'un débat politique. (Crédits : Frédéric Scheiber)

Le sujet de la délocalisation de Latécoère pourrait prochainement arriver au sein de l'Assemblée nationale. C'est en tout cas la volonté du groupe d'opposition municipale et métropolitaine à Toulouse, AMC. « Nous vous demandons de mettre en place une commission d'enquête pluraliste sur cette déplorable affaire. Les députés de la NUPES poseront une question écrite au gouvernement et nous leur suggérons de demander une commission d'enquête parlementaire », ont-ils annoncé dans une lettre ouverte adressée dans la soirée du jeudi 16 février à Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de la Métropole.

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Ce qui met le feu aux poudres ? La cession en décembre 2016 d'un terrain appartenant à la Ville de Toulouse au sous-traitant aéronautique Latécoère qui souhaite alors y installer son usine du futur (dont les activités vont désormais être délocalisées au Mexique et en République tchèque), à un prix très favorable.

« Latécoère menaçait de partir du territoire, faute de foncier. Toulouse Métropole a assisté Latécoère dans sa recherche pour lui permettre de s'installer dans la métropole, maintenir et développer les emplois. Le groupe a choisi le site de Montredon, à Toulouse, pour implanter son unité industrielle de 7.000m2 sur une parcelle de trois hectares, propriété de la Ville de Toulouse. La mairie de Toulouse a vendu le terrain à Latécoère pour 1,3 million d'euros », rappelle la collectivité sollicitée par La Tribune.

Seulement, l'opposition métropolitaine dénonce la revente du terrain par Latécoère quelque temps après à un prix totalement différent : près de 12,6 millions d'euros selon un communiqué de presse de l'époque.

Fallait-il activer la clause ?

Le nouveau propriétaire du terrain d'environ 30.000 m2 est un regroupement de trois banques (LCL, Arkéa et BPI France), qui a pris le contrôle du foncier par l'intermédiaire d'un lease-back. Pour une entreprise, cette pratique consiste dans un premier temps à vendre son actif, pour l'occuper par la suite en location sur une longue durée et donc avec un loyer annuel tout en gardant le contrôle des murs de l'usine et des machines à l'intérieur. « Cette opération de crédit-bail immobilier permet à Latécoère de préserver ses capacités d'investissement », justifie même les trois acteurs bancaires, dans ce communiqué de novembre 2018.

« La mairie était au courant de cette transaction et il était techniquement impossible de faire sans son aval. Mais c'est une opération classique de financement, il n'y a pas de loup. Nous nous sommes engagés à rembourser le pool bancaire et nous redeviendrons à terme propriétaire du terrain. Nous pouvons aussi faire un remboursement anticipé mais ce n'est pas à l'ordre du jour  », réagit la direction de Latécoère, sollicitée par La Tribune.

Dans les rangs de l'opposition, les arguments n'ont pas manqué lors du conseil métropolitain du jeudi 16 février pour dénoncer cette « plus-value » d'environ 11 millions d'euros, remise sur le devant de la scène par les projets de Latécoère pour ses sites toulousains. « Cette entreprise, fleuron de notre région, a pu faire une plus-value grâce à la complicité de la Métropole », a par exemple dénoncé Isabelle Hardy, co-présidente du groupe Métropole, Écologiste, Solidaire et Citoyenne. Quant à Agathe Ruby, du groupe Alternative pour une Métropole Citoyenne (AMC), elle dénonce « une spoliation de l'argent public ». « C'est une décision fort regrettable après un accompagnement de plusieurs collectivités, motivée par la volonté de marges financières plus importantes dans des pays à bas coûts », s'est contentée de déclarer Karine Travel-Michelet, présidente du groupe Métropole Solidaire, Écologique et Démocratique, mais aussi vice-présidente de la Métropole sur l'Habitat et le Logement, et donc entre deux camps sur ce dossier épineux.

« Je ne peux pas vous laisser dire que la Ville de Toulouse aurait consenti des cadeaux dans le cadre de cette cession du terrain à Latécoère. Nous avons intégré une clause de préférence sur le terrain et nous avons pris des précautions pour nous assurer que l'accompagnement de la collectivité soit adossé à des garanties pour la ville, et d'une façon générale pour la pérennité de ce site sur notre territoire », leur a répondu Sacha Briand, le vice-président de Toulouse Métropole en charge notamment des Finances.

Il est vrai que la collectivité a ajouté dans le contrat de cession une clause* de préférence pour racheter le terrain à Latécoère au même prix, si le projet d'usine du futur ne voyait pas le jour, « en cas de cession de ce foncier à un tiers non concerné par le projet industriel ». Le pool bancaire ayant permis de financer l'usine du futur de Latécoère, peut-il être dès lors considéré comme tel ? C'est toute la question.

Néanmoins, bien que l'usine de Toulouse-Montredon devrait être préservée dans la nouvelle organisation industrielle de Latécoère mais avec de nouvelles activités (plus rentables selon le groupe), les 109 emplois menacés à Toulouse par cette réorganisation agacent fortement au Capitole. Jean-Luc Moudenc a donc demandé une rencontre avec les dirigeants de Latécoère et celle-ci doit avoir lieu dans les prochains jours. Trois questions animeront cette entrevue : Latécoère va-t-elle s'engager à pérenniser l'usine de Toulouse Montredon ? Quel va être le sort réservé aux salariés concernés par cette réorganisation ? Quelle est la volonté industrielle à long terme pour ce site toulousain ?

« C'est à la lumière des réponses claires et engageantes à ces trois questions que nous pourrons juger de façon sûre les annonces de ces derniers jours et décider de la marche à suivre », précise l'entourage du maire auprès de La Tribune.

« Notre volonté est de garder notre site à Toulouse. Bien sûr, la dizaine de machines d'usinage qui partent sur d'autres sites, c'est impressionnant et cela ne nous enchante pas (...) Mais nous sommes responsables, et nous faisons ce qu'il faut pour ne pas continuer à creuser notre tombe », rétorque-t-on dans les rangs de Latécoère.

Un recours juridique pour la région Occitanie ?

Dans l'état actuel de la situation, il est difficile de connaître les recours à disposition de la mairie et de la Métropole si Jean-Luc Moudenc n'est pas satisfait des réponses apportées par le sous-traitant de rang 1.

Mais pour une autre collectivité, la voie juridique est dans les esprits. Le conseil régional d'Occitanie ne se ferme aucune porte après les subventions accordées à Latécoère ces dernières années.

« La Région Occitanie n'a pas soutenu financièrement l'implantation de l'usine Toulouse-Montredon de Latécoère. Seul l'Etat a versé 5,4 millions d'euros à ce titre, dans le cadre de la déclinaison aéronautique du plan national Usine du Futur. Ce qui a été financé par les fonds européens (à travers un contrat d'innovation signé avec le conseil régional, ndlr) concerne exclusivement des projets de R&T (Recherche & Technologie), programmes ECOLIFT 1 et 2, appliqués à des démonstrateurs de systèmes embarqués pour les nouvelles portes d'avions. Ces projets non délocalisables ont été en partie réalisés, pour un montant de 786 000 €, et les équipes dédiées resteront en poste à Toulouse », tient à préciser le conseil régional.

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C'est sur cette somme de près de 800.000 euros que les services de la collectivité présidée par la socialiste Carole Delga pourraient donc intenter un recours contre Latécoère. La collectivité rappelle même qu'elle « a conditionné depuis six ans ses aides économiques à l'emploi et à la non-délocalisation des activités des entreprises ». Ce sujet avait d'ailleurs animé la dernière campagne des élections régionales en Occitanie. Et il pourrait arriver sur la table des prochains conseils métropolitains de Toulouse Métropole.

« Les aides, de toutes natures, aux entreprises ne doivent plus êtres attribués sans contrepartie clairement et précisément défini, en matière d'emploi, de politique social et d'impact environnemental. J'aimerais que nous ayons cette démarche notamment pour le campus de Francazal », a d'ailleurs déclaré Isabelle Hardy, lors du conseil métropolitain.

Sur cette ancienne base militaire au sud-est de Toulouse, l'ambition de la Métropole, avec le soutien actif du conseil régional, est en train de transformer cette zone en un campus industriel des mobilités du futur et le projet séduit de nombreuses entreprises qui désirent s'y installer...

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« Dans l'hypothèse où Latécoère renoncerait à son projet industriel sur le site de Montredon, et procéderait à la vente de ce foncier, la Ville de Toulouse bénéficierait d'un droit de priorité. Une clause de retour auprès du vendeur, Ville de Toulouse, (purge d'un droit de priorité) est imposée à la société Latécoère ou ses ayant-droits dans l'acte de vente en cas de cession de ce foncier à un tiers non concerné par le projet industriel. »

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