Délocalisation de Latécoère : « un énorme gâchis » dénoncent les salariés à Toulouse

La délocalisation annoncée par Latécoère des activités de son usine du futur vers le Mexique et la République Tchèque ne passe pas chez les salariés qui ont manifesté ce mercredi devant le siège du groupe à Toulouse. Vent debout contre le projet, les syndicats demandent à la direction de revoir son projet industriel alors que Latécoère assure vouloir garder tous les effectifs en interne et « pérenniser sur le long-terme l'activité ».
La délocalisation annoncée par Latécoère des activités de son usine du futur vers le Mexique et la République Tchèque ne passe pas chez les salariés qui ont manifesté ce mercredi devant le siège du groupe à Toulouse.
La délocalisation annoncée par Latécoère des activités de son usine du futur vers le Mexique et la République Tchèque ne passe pas chez les salariés qui ont manifesté ce mercredi devant le siège du groupe à Toulouse. (Crédits : Frédéric Scheiber)

« Quand j'ai pris mon poste de nuit à l'usine de Montredon après l'annonce de la délocalisation, je me suis dit : quel énorme gâchis ! Les bâtiments et les machines sont tout neufs, nous avions atteint une cadence de production et au moment où nous sortons la tête de l'eau, on envoie tout à l'étranger », s'indigne Georges Camus. Cet usineur de 59 ans dont 22 ans d'ancienneté au sein de Latéocère était ce mercredi matin avec une cinquantaine de collègues devant le siège du groupe à Toulouse pour dénoncer le plan de réorganisation annoncé le 25 janvier.

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Les salariés de Latécoère ont manifesté ce mercredi devant le siège du groupe à Toulouse ( Crédits : Frédéric Scheiber).

Une usine du futur pas encore rentable

Ce jour-là, la direction de Latécoère a annoncé aux salariés que faute de rentabilité, l'usine du futur de Toulouse-Montredon va voir ses activités transférées en République Tchèque et au Mexique. À la place, l'équipementier aéronautique veut regrouper les effectifs de ses sites de Colomiers et Labège. Ce dernier sera vendu et les machines utilisées pour faire des racks sur l'A330 et l'A400M seront envoyées vers son usine en Tunisie. « Le projet vise à faire évoluer la nature des activités de Toulouse Montredon afin que le site renoue avec la rentabilité et assure sa pérennité sur le long terme. Le site accueillerait des activités qui fonctionnent très bien et qui sont actuellement hébergées sur d'autres sites du groupe. L'usine du futur devrait accueillir également de nouvelles activités de pointe, comme un Centre de Développement Composites (CDC) dont la mise en service est programmée au premier semestre de cette année », expliquait il y a quelques jours à La Tribune un porte-parole de Latécoère.

L'« usine du futur » de Montredon avait été inaugurée en grande pompe en mai 2018. Ce nouveau site de production automatisé de 6.000 m2 a demandé 37 millions d'euros d'investissements pour équiper notamment le groupe aéronautique de nouvelles machines d'usinage de pièces élémentaires, auxquels se sont ajoutés 10 millions d'euros supplémentaires pour agrandir le site à 9 000 m2. « Nous étions super contents d'avoir cette usine 4.0 et tous ces investissements », se remémore Éric Guilloteau, chef d'équipe au sein de l'usine.

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L'usine du futur avait été inaugurée en grande pompe en 2018 (Crédits : Rémi Benoit).

Lire aussiLatécoère inaugure une nouvelle usine dernier cri à Toulouse

Mais la montée en puissance du site de Montredon s'est arrêtée net avec la crise sanitaire et Latécoère a également été impacté par la mauvaise santé des commandes sur le Boeing 787. Le groupe aéronautique doit aussi faire face à une concurrence féroce sur son activité d'usinage avec la consolidation de la supply chain qui a donné naissance à des géants des pièces élémentaires à l'instar notamment de Mecachrome. « Nous faisons des pièces en aluminium que tout le monde sait faire. Alors qu'à l'usine Saint-Éloi d'Airbus à Toulouse, les lignes servent à produire des pièces complexes en titane », regrette Antoine Arles, salarié depuis 35 ans chez Latécoère. Mais pour les salariés, le vrai problème est que désormais le groupe « n'est plus dirigé par un industriel mais par des fonds de pension (la société d'investissement Searchlight Capital Partners est le nouvel actionnaire depuis 2019, ndlr), des financiers à la recherche de profits immédiats ».

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Le projet a été rejeté par l'ensemble des syndicats de Latécoère (Crédits : Frédéric Scheiber).

Les syndicats demandent à la direction de revoir sa copie

Le projet a été rejeté par l'ensemble des syndicats qui ont demandé ce mercredi à l'occasion de la deuxième réunion de négociation à la direction de revoir sa copie.

« Nous n'avons pour le moment que des voeux pieux mais nous ne connaissons pas la rationalité financière du projet. On ne sait même pas si ça va être rentable et si cela a un intérêt. C'est normal que les salariés en face nous disent qu'il y a un problème. Il faut que la direction nous présente autre chose que le simple différentiel de taux horaire et que nous ayons un vrai plan de transformation pérenne », glisse Thierry Ynglada, délégué syndical central CFE-CGC, premier syndicat chez Latéocère.

Même son de cloche du côté de FO : « La copie rendue n'est pas mature. Il faut remettre les choses à plat et redéfinir les points vitaux pour la société. Il y a des prestations qui sont faites aujourd'hui à Montredon, qui servent pour le bureau d'études, la R&T, pour le site de Gimont, pour la chaîne de l'A330. Aujourd'hui, quand on a besoin de faire une réparation ou de refaire faire une pièce, on se tourne vers Montredon qui arrive à nous fournir ces pièces dans un délai assez court et à un coût moindre. Demain, si on va faire ces pièces à l'étranger, cela prendra plus de temps pour un coût plus onéreux. Ce n'est pas un caprice d'enfant de garder la production en France, c'est vital pour Latécoère », estime Stéphane Faget.

L'autre point d'achoppement, c'est le devenir de la centaine de salariés impactés par la délocalisation. La direction assure vouloir garder tous les effectifs en interne. La procédure de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) annoncée pourrait mobiliser des mesures d'accompagnement à la mobilité interne professionnelle ou géographique et dispositifs de formation. Florent Coste, secrétaire général CGT du groupe, s'alarme qu'il n'y ait pour le moment que « 65 postes en CDI ouverts à Toulouse et Gimont ». « Dans ces conditions nous accueillons avec le plus grand scepticisme l'engagement pris par la direction de reclasser tout le monde », argue-t-il.

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Une centaine de salariés sont impactés à Toulouse par le projet présenté par Latécoère (Crédits : Frédéric Scheiber).

Levée de boucliers chez les élus

Le syndicat a adressé le 6 février février dernier un courrier à la présidente de la région Occitanie Carole Delga. «  Au terme de cet énième plan de délocalisation, il ne subsistera plus en France comme activité de production dans la branche aérostructures, outre l'atelier produisant le T15 de l'A330 à Périole, l'usine de Gimont et sa centaine de salariés. Jusqu'à quand ? », interpelle notamment dans la missive la CGT.

Carole Delga a répondu la semaine dernière en tirant à boulets rouges sur le projet de réorganisation estimant que le groupe n'affiche « aucune perspective de développement offensif des sites en Occitanie en dépit des aides publiques importantes qui ont été attribuées ». Latécoère a bénéficié en 2020 d'aides de l'État dans le cadre du plan France Relance pour déployer de nouvelles technologies 4.0 sur l'usine de Montredon mais aussi moderniser son site de Labège. En 2019, l'entreprise avait aussi bénéficié d'une enveloppe d'1,7 million d'euros via des fonds européens dans le cadre d'un contrat d'innovation, auprès du conseil régional d'Occitanie, mais qui ne portait pas sur l'usine du futur.

Lire aussiDélocalisation chez Latécoère : Carole Delga « en total désaccord avec la stratégie industrielle »

Recrutements massifs dans la filière aéronautique

Interrogé sur le sujet vendredi dernier, le ministre de l'Industrie Roland Lescure, a lui aussi tapé du poing sur la table. « J'ai besoin qu'on m'explique exactement ce qui est en train de se passer parce que, à ce stade, je suis un peu surpris », a-t-il déclaré. Lors du rassemblement, plusieurs figures politiques à l'image du conseiller départemental du canton Marc Péré ou le coordinateur du Parti de Gauche Jean-Christophe Sellin sont venus apporter leur soutien aux salariés.

De leur côté, les salariés s'inquiètent surtout pour leur avenir. « Pour l'instant, les postes qui sont ouverts ne correspondent pas à notre métier dans l'usinage », déplore Georges qui ne se voit pas à 59 ans changer de métier. Lui envisage de partir plus à la retraite. Les plus jeunes se posent la question d'aller voir ailleurs alors que la supply chain aéronautique recrute massivement à Toulouse. Rien qu'Airbus compte recruter 13.000 personnes dans le monde en 2023 pour produire un nombre d'avions jamais observé dans l'histoire de l'aéronautique.

Lire aussiAirbus va recruter 13.000 personnes dans le monde en 2023

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Commentaires 11
à écrit le 16/02/2023 à 13:51
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35 heures + retraite actuelle à 62 ans + charges sociales + impots de production+ electricité fournie par du nucléaire payé au prix du gaz+ legislation de type ICPE+ congés paternités + .... = emplois ailleurs

à écrit le 16/02/2023 à 1:51
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Le decoupage a la carte voulu par bruxelles s'accelere. Pauvres de vous.

le 16/02/2023 à 5:23
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Rien à voir avec Bruxelles, un actionnaire après analyse conclut qu'il est plus rentable de changer de lieu d'implantation, point. L'actionnaire est libre de ses choix , et mettre des freins à cette liberté d'entreprendre n'incitera pas les investis...

à écrit le 15/02/2023 à 19:07
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Ceux qui pensent que les mouvements sociaux permanents, nos postures sur la guerre en Ukraine qui nous coutent très cher (le cout de l’énergie), les atteintes permanentes aux entreprises (dividende salarié, les contrôles sur le nombre des seniors dan...

à écrit le 15/02/2023 à 14:59
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En France c'est bien connu, on veut le beurre et l'argent du beurre. C'est notre côté schizophrène. On veut réindustrialiser mais n'aime pas ceux qui portent les capitaux. La France n'a pas besoin de milliardaires disent les Nupes dont le chef est mu...

le 15/02/2023 à 16:13
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Merci, tout est dit. Le socialisme est antagoniste au développement économique français ainsi qu'au maintien de l'industrie sur le sol national. Malheureusement la CGT ne le comprendra jamais et l'hémorragie ne peut être arrêté.

le 15/02/2023 à 16:42
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Oui, et on veut consommer mais on ne veut pas faire l'effort de compétitivité et prendre les risques pour produire.

à écrit le 15/02/2023 à 14:37
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Capital de l'entreprise détenu par des étrangers (américains). Ils font ce qu'il veulent. Le jour où nos syndicats marxistes accepterons la logique du capitalisme et en conséquence accepteront que les salariés français deviennent de gros actionnaire...

le 16/02/2023 à 4:13
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Pour être un gros actionnaire il faut avoir un gros salaire, léger détail. Par ailleurs selon cette logique il suffit de ne plus avoir que des coopératives, chiche?

à écrit le 15/02/2023 à 13:50
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Nono Le Maire le stratège, Thierry Breton himself sa granditure grandeur et le petit Nicolas sont dans un bateau. Les 2 premiers jette le petit Nicolas à l'eau. Qu'est-ce qui reste ? hum ? C'est ça la relocalisation. Vous avez crû au Père Noël ? Arf...

à écrit le 15/02/2023 à 13:02
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Pas vu à la TV ,ça doit être faux,ah,ah

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