Ces néo-paysans qui bousculent l'agriculture française

La sociologue toulousaine Cécile Gazo a enquêté sur la vague de néo-paysans, ces personnes non issues du milieu agricole qui se sont lancées dans l'agriculture ces dernières années en France. Pour La Tribune, la chercheuse revient sur leurs motivations, leurs sources d'inspiration mais aussi sur la montée de logiques marchandes pour les accompagner face à l'inadéquation des aides publiques à l'installation. Se pose en filigrane la question du rôle de l'État dans l'accompagnement de ces jeunes agriculteurs.
Le Québécois Jean-Martin Fortier connaît un grand succès sur Internet et en librairie en prônant le maraîchage bio intensif.
Le Québécois Jean-Martin Fortier connaît un grand succès sur Internet et en librairie en prônant le maraîchage bio intensif. (Crédits : DR)

« L'agriculture française pourrait changer de visage d'ici une dizaine d'années », lance Cécile Gazo. Cette docteure en sociologie diplômée de l'Institut national polytechnique de Toulouse et l'École nationale supérieure agronomique de la Ville rose, vient de soutenir une thèse sur les instruments d'aide à l'installation en agriculture et a mené une enquête en Ile-de-France sur la vague d'arrivée de néo-paysans.

Choc des générations

« Dans les cinq ans à venir, la moitié des agriculteurs vont atteindre l'âge légal de départ à la retraite. Cela pose une vraie question en matière de démographie agricole, puisque la population est vieillissante et les enfants d'agriculteurs bien souvent ne souhaitent pas reprendre l'exploitation. On observe en parallèle un nombre croissant de personnes en reconversion professionnelle dans l'agriculture mais qui ont souvent des modèles très différents », remarque Cécile Gazo.

Ces néo-paysans, également surnommés NIMA (non-issus du milieu agricole) par les organisations professionnelles n'ont ni parents, ni grands-parents agriculteurs, ni formation dans le domaine. À la différence des néo-ruraux post mai-68, ces nouveaux agriculteurs ne se réclament pas d'influences marxistes ou anarchistes. Ils visent la rentabilité sur de petites surfaces (micro-fermes).

Pour expliquer leur changement, ils invoquent « une quête de sens », « l'envie d'être plus proche de la nature », mais aussi une quête pour « s'extraire du salariat et devenir leur propre patron », remarque la jeune chercheuse. La docteure observe que ces néopaysans arrivent dans le métier via des vidéos Youtube ou des livres en suivant notamment l'exemple du Québécois Jean-Martin Fortier, devenu une référence dans le maraîchage bio intensif et dont l'ouvrage Le Jardinier-maraîcher s'est imposé comme un best-seller. Une frange plus minoritaire de ces nouveaux entrants dans le secteur agricole cherche surtout à devenir autonome en eau, en énergie, et en alimentation dans une démarche survivaliste.

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Autant de nouvelles aspirations qui ne rejoignent pas forcément les dispositifs classiques d'aides publiques à la l'installation.

« La dotation jeune agriculteur est réservée aux personnes de moins de 40 ans, dotées d'un diplôme agricole de niveau 4 et dont le plan d'entreprise témoigne de la viabilité économique du projet, avec un revenu disponible supérieur ou égal au salaire minimum (Smic) au terme des quatre premières années d'installation. Ces exigences rendent difficile et aléatoire, en fonction des départements, la prise en charge des personnes ne correspondant pas à ces critères. Or, ce sont parmi ces profils que l'on retrouve le plus de personnes en reconversion professionnelle », conclut Cécile Gazo dans l'une de ses publications.

 Une marchandisation du marché à l'installation

D'autant que les structures publiques qui accompagnent ces jeunes agriculteurs ont dû faire face à des coupes budgétaires et les associations paysannes n'ont pas toujours les moyens de faire face à cette vague de nouveaux arrivants. Face à ce vide, Cécile Gazo relève « l'importation de logiques marchandes » pour accompagner l'installation de ces néo-paysans qui peuvent choquer dans la profession.

Alors que traditionnellement, les points accueil installation étaient la porte d'entrée dans la découverte du métier avec des dispositifs sont entièrement gratuits, ces dernières années ont vu émerger des acteurs extérieurs au monde agricole qui ont monté des startups comme La Ceinture verte et Fermes en vie, en proposant moyennant plusieurs milliers d'euros de frais de dossier plus des frais de suivi chaque année. En échange, la promesse d'accéder au foncier ou des formations (spécifiques à l'entrepreneuriat en agroécologie par exemple).

En parallèle, les aspirants agriculteurs « sont nourris par des exemples réussis d'exploitation de petite surface qui commercialisent leur production en vente directe » à l'instar des campagnes de communication de l'association Fermes d'avenir ou encore à la visibilité médiatique de personnes comme les fondateurs de la ferme du Bec Hellouin« Ma vraie crainte, c'est les gens qui vendent du rêve, qui expliquent qu'on peut facilement dégager largement un smic en permaculture, et donc il y a plein de gens qui se sont installés en permaculture et qui se sont plantés, et ça c'est dangereux », glisse ainsi un salarié d'un espace test agricole lors de l'enquête menée par Cécile Gazo.

« Jean-Martin Fortier travaille avec un milliardaire, les investissements sont donc plus faciles à faire. On voit aussi des frictions entre le modèle initial et la reproduction. Derrière l'image très vertueuse de la petite entreprise qui fonctionne bien, il y a souvent une mélange d'activité de récolte mêlée à des formations ou une source de revenus non agricoles », analyse la sociologue.

Qui pour gouverner la politique d'installation des agriculteurs ?

Face à cette nouvelle donne, Cécile Gazo interroge aussi sur le rôle de l'État qui laisse pour le moment faire le marché et n'a pas réagi à l'émergence de ces acteurs privés sur l'accompagnement des jeunes agriculteurs. La puissance publique s'est également progressivement désengagée de ce sujet. « Dans les années 60, l'État a décidé de moderniser les installations par la politique d'installation en créant des institutions comme les Safer (le gendarme du foncier agricole, ndlr). Nous pouvons remarquer un retrait de toutes ces organisations. L'État vient également de transférer une grande partie des dispositifs comme la dotation jeune agriculteur aux régions.»

Un changement qui pourrait entraîner de profondes mutations dans l'agriculture française.

« Chaque région va avoir sa politique d'installation. Cela va créer de grandes disparités entre les territoires et des dispositifs très variables dans le temps en fonction des changements de majorité politique. C'est en ce sens que la politique d'installation pourrait bientôt devenir ingouvernable en France », conclut-elle.

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Commentaires 4
à écrit le 10/10/2023 à 19:32
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Il faut interdire la FNSEA qui pollue les sols, épuise les nappes phréatiques, maltraite les animaux et nous empoisonne avec ses produits pourris !

le 11/10/2023 à 14:07
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Oui en plus ,les guerres ,les trains en retard ,les accidents de la route et les invasions de criquets ,c'est eux aussi !

à écrit le 10/10/2023 à 18:15
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Je vis dans un département rural du sud ouest avec des clients agriculteurs et j'ai du mal à imaginer des citadins agriculteurs et pour plusieurs raisons sachant que pour commencer à maitriser une nouvelle activité il faut compter 4 ou 5 ans pendan...

à écrit le 10/10/2023 à 17:17
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"Se pose la question du rôle de l'État dans l'accompagnement de ces jeunes agriculteurs." Surtout pas! Pour une fois que l'état ne se mêle pas de tout nous avons une chance que différents modèles puissent émerger dans chaque région et que la concur...

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