Caviste, coach, crêpier... ces Toulousains ont changé de vie pour remplir leur quête de sens

À Toulouse, la déflagration engendrée par l'effondrement du trafic aérien pendant la crise sanitaire a poussé des contingents de salariés à quitter la filière aéronautique pour changer de vie. Pour d'autres, la pandémie a accéléré une prise de conscience environnementale et un retour à la terre ou au terroir. Témoignages.
Coraline Lan est devenue caviste et son mari fromager après un début de carrière chez Pierre Fabre et Coca-Cola.
Coraline Lan est devenue caviste et son mari fromager après un début de carrière chez Pierre Fabre et Coca-Cola. (Crédits : La Bonne Combine)

Quitter Airbus pour devenir formateur en communication non-violente, c'est le pari que s'est lancé Olivier Babando il y a un peu plus de deux ans. Après avoir été pendant plusieurs années chef de projet chez l'avionneur européen, cet ingénieur toulousain a profité du plan social de 2020 pour changer de vie. « J'ai eu envie d'autre chose. Je n'étais pas très fan de ce mode de management plutôt pyramidal avec des ordres qui arrivent d'en haut et une liberté d'action un peu limitée », nous expliquait-il quelques mois après son départ. « Il n'y a pas un jour où je regrette mon choix », confie-t-il aujourd'hui. Dans son nouveau métier, Olivier Babando « se sent utile ». Il intervient auprès d'entreprises pour « changer un peu les manières de vivre les relations professionnelles », mais aussi auprès de familles pour montrer une parentalité plus ouverte aux besoins de l'enfant.

Lui-même a eu un déclic lorsque le mode d'éducation traditionnel ne fonctionnait pas très bien avec sa deuxième fille, porteuse d'un handicap et a découvert dans l'éducation bienveillante et la communication non-violente des outils pour faciliter le dialogue avec ses filles. Le cas de cet ingénieur est loin d'être isolé. À Toulouse, la déflagration engendrée par l'effondrement du trafic aérien pendant la crise sanitaire a poussé des contingents de salariés à quitter la filière aéronautique pour changer de vie. Mais la quête de sens se retrouve dans tous les pans de l'économie. Une étude réalisée par Factorial avec l'institut OpinionWay révélait en 2021 que 33 % des Français déclaraient avoir perdu tout sens en leur activité professionnelle depuis le début de la crise. D'où une remontée en flèche également des démissions en France, passées de 346.000 en 2020 à 553.000 au troisième trimestre 2022 d'après une enquête de la Dares.

Lire aussi"L'aéro, pour moi c'est fini" : à Toulouse, la crise précipite les reconversions chez les jeunes

Du marketing à caviste

Coraline Lan fait partie de ceux qui ont « posé leur dém' » dans le sillage de la crise sanitaire. Après des études de pharmacie à Lyon, la jeune femme s'est installée en Occitanie lorsqu'elle a commencé à travailler pour les laboratoires Pierre Fabre. C'est là où elle rencontre son futur mari avec qui elle décide de faire un tour du monde pendant neuf mois en Asie et en Amérique du Sud. À son retour en France, Coraline Lan intègre le service marketing de Coca-Cola. Nous sommes début 2020. La crise sanitaire ne fait qu'accélérer l'envie du couple de faire un virage à 180°.

« La Covid nous a fait prendre conscience que des événements pouvaient nous tomber dessus du jour au lendemain et bouleverser complètement nos vies. On s'est dit qu'il ne fallait pas attendre pour se lancer dans un projet. La crise sanitaire a aussi renforcé la valorisation du commerce de proximité », confie-t-elle. La Toulousaine décide avec son mari d'ouvrir son propre commerce : « Nous avions envie de créer notre propre projet, de prendre nos propres décisions, de mener une entreprise selon nos valeurs. » Le couple a ouvert en septembre 2021 à proximité du Canal de Brienne l'enseigne la Bonne combine, une fromagerie et une cave à vins. « Le domaine de la gastronomie s'est imposé parce que cela a toujours fait partie de nos vies. Thomas est né en Normandie, une terre de fromages. Moi, je suis née dans les côtes du Rhône, une terre de vins. Ce sont aussi les produits qui nous avaient beaucoup manqué pendant notre tour du monde », se remémore-t-elle.

Lire aussiPlus de 15.000 intentions d'embauche recensées pour 2023 à Toulouse, mais il n'a jamais été aussi difficile de recruter

Se former pour devenir crêpier

Un retour au terroir familial c'est aussi ce qui a poussé Olivier Lemonnier à quitter son poste d'ingénieur aéronautique chez Latécoère pour devenir... crêpier. Son foodtruck estampillé Passion Crêpes sillonne l'agglomération toulousaine à l'heure de la pause méridienne. « Pour moi, cela n'aurait pas eu de sens de monter un foodtruck de burgers. J'ai le gène des crêpes. Dans mon enfance dans la campagne rennaise, ma grand-mère faisait des galettes dans la cheminée. Inconsciemment, je suis tombé dedans quand j'étais petit comme Obélix », lance-t-il. En 2017, il a profité du plan social lancé par le groupe aéronautique.

« J'avais trop de pression dans mon boulot, j'étais à la limite du burn-out. Arrivé à la cinquantaine après trente ans de salariat, j'avais envie de plus de liberté », se rappelle l'ancien ingénieur. Dans le cadre du PSE, Olivier Lemonnier a continué à être payé par Latécoère tout en suivant plusieurs formations pour changer de vie : une formation de crêpier à Rennes, une autre sur l'hygiène et la sécurité ainsi qu'un module pour décrocher son permis d'exploitation pour vendre de l'alcool. De son côté, Coraline Lan et son mari auraient pu devenir caviste et fromager sans aucune formation spécifique.

« Ce sont des formations qui ne sont pas réglementées, nous aurions pu nous lancer du jour au lendemain, mais ce n'était pas notre volonté. Nous avions envie d'acquérir des bases de connaissances, mais aussi une certaine légitimité pour la suite », explique la jeune femme. La trentenaire a suivi une alternance pendant un an dans une cave à Toulouse et son mari en a fait de même dans une fromagerie avant d'obtenir un certificat de qualification. Se frotter au terrain, une étape indispensable aussi pour se confronter à la réalité du métier.

Accompagner le retour à la terre

Pour certains, la pandémie a accéléré une prise de conscience environnementale et un retour à la terre en devenant par exemple agriculteur. Doctorante en sociologie à l'Institut national polytechnique de Toulouse et l'École nationale supérieure agronomique de la Ville rose, Cécile Gazo finalise une thèse sur les instruments d'aide à l'installation en agriculture.

« Jusqu'aux années 90, les néoruraux venaient surtout vivre à la campagne inspirés par des idées hippies. Depuis 2015, de plus en plus d'urbains, invoquant une quête de sens, l'envie d'être plus proche de la nature, et s'intéressant professionnellement au métier d'agriculteur se sont installés », remarque la jeune chercheuse.

Avant d'ajouter : « Beaucoup de ces nouveaux profils sont attirés par les modèles de micro fermes (popularisées par Jean-Martin Fortier), qui permettent avec des méthodes de maraîchage peu mécanisées de bien vivre sur de très petites surfaces. Sachant qu'en n'étant pas issu du milieu agricole, il est difficile pour eux d'accéder au foncier. »

La doctorante observe que ces néopaysans arrivent dans le métier via des vidéos Youtube ou des livres avec parfois un projet de production agricole couplé avec un gîte à la ferme. Sans connaître la pérennité économique de tels projets et tout en aspirant à ne pas travailler le week-end et bénéficier de vacances.

Pour éviter à ces agriculteurs en herbe de se lancer avec une idée trop enjolivée ou éloignée de la réalité, de nombreux dispositifs ont été lancés pour leur permettre de s'immerger dans les exploitations. En Haute-Garonne, par exemple un espace-test installé à Grenade offre aux futurs maraîchers bio l'accès à des serres pour tester leur activité. De son côté, la région Occitanie délivre une subvention à l'installation des nouveaux agriculteurs de moins de 55 ans qui s'engagent à passer une formation agricole. « Les institutions essaient de contrôler l'entrée dans le métier pour éviter de voir s'installer de nouveaux profils qui abandonnent leur activité au bout de quelques mois », remarque Cécile Gazo.

Accepter une perte de revenus

Pour leur part, Olivier Lemonnier et Coraline Lan n'ont pas l'intention de jeter l'éponge. « Je touche moins que le RSA mais je n'ai plus cette pression au travail », remarque le gérant de Passion Crêpes.

« Le commerce de bouche demande énormément de temps. On fait une cinquantaine d'heures par semaine pour une rémunération qui n'atteindra jamais le niveau de revenus en entreprise. Il faut être très résilient. Avant de se lancer, nous avons essuyé trois refus à la dernière minute pour un local. Mais le fait de réussir à fidéliser une clientèle et de contribuer à notre toute petite échelle à des producteurs de vivre de leur passion, c'est hyper gratifiant », conclut Coraline Lan.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.