« Au début, l'expérience était incroyable. Nous partions de zéro pour construire un nouveau mode de transport. Il y avait ce côté startup hyper dynamique mais aussi une ambiance très bienveillante et d'entraide », se remémore Laetitia (prénom modifié), embauchée en 2018 par Hyperloop TT à Toulouse.
« Cela n'avait rien à voir avec le monde français de l'entreprise »
Quelques mois auparavant, la startup californienne avait annoncé en grande pompe l'implantation de son centre européen de R&D dans la Ville avec la promesse d'investir 40 millions de dollars pour développer un moyen de transport futuriste consistant à projeter par lévitation magnétique des capsules de 50 passagers dans un tube sous vide à très haute vitesse (au moins 600 km/h et jusqu'à 1.200 km/h). Une dizaine d'ingénieurs sont recrutés pour développer une première capsule et une piste d'essai de 300 mètres voit le jour à proximité de l'aéroport de Francazal.
Passé par des sociétés de services dans l'aéronautique, David (prénom modifié) est séduit par « le côté startup de la Silicon Valley, avec un management par le chaos, où chacun fait un peu ce qu'il pense bien pour le projet, sans contrainte de sanction en cas d'échec ».
« L'expérience de travail a été vraiment un moment incroyable. Nous avons développé une capsule en six mois. Un jour, nous pouvions écrire un cahier des charges pour un fournisseur et le lendemain aller pitcher devant le président d'une société d'investissement qui pouvait lâcher un milliard si on arrivait à le convaincre. Cela n'avait rien à voir avec le monde français de l'entreprise, dans lequel la prise de risque est très réduite », ajoute-t-il.
Fin de collaboration avec Altran
Pourtant, il est l'un des premiers à quitter le navire peu avant la crise sanitaire. Dès fin 2019, les salariés toulousains d'Hyperloop TT font face à de premiers retards de paiement. « Une fois, mon salaire a été versé avec un mois et demi de retard. Ayant une famille et un crédit à honorer, j'ai cherché un nouveau travail », témoigne-t-il.
Laetitia, de son côté, reste dans l'entreprise, même si à partir du printemps 2021, les retards s'accumulent, et son salaire est souvent versé en deux fois.... Comme le révélait La Tribune, durant l'été 2021, Altran met fin à sa collaboration avec HyperloopTT, en raison de prestations impayées. HyperloopTT avait annoncé un accord avec le groupe d'ingénierie qui devait mettre à disposition jusqu'à 100 ingénieurs toulousains pendant près de deux ans pour accélérer le projet de train du futur. Durement touché par la crise, Altran y voyait une opportunité pour diversifier ses activités et sortir de sa dépendance aéronautique.
« Au début, ça s'est bien passé. Il y a eu une montée en cadence progressive jusqu'à atteindre 80 équivalents temps plein (ETP) ont travaillé sur des études très en amont du projet. Tout s'est arrêté brutalement puisque HyperloopTT n'a pas honoré ses factures. Du jour au lendemain, tous les ingénieurs mobilisés ont été débarqués du projet », confiait alors une source, qui préfère rester anonyme.
Auprès de ses effectifs en interne, à chaque fois, l'entreprise assure que la situation sera régularisée de manière imminente : « Nous étions tenus en haleine. On nous disait qu'un nouvel investisseur était en cours de signature, deux semaines après, on nous affirmais que les papiers prenaient un peu plus de temps. Une semaine plus tard, l'investisseur s'était rétracté mais une piste solide se profilait, etc.».
Les salariés sont invités à ne pas ébruiter l'affaire.
« Je me rends compte maintenant qu'il y avait une sorte d'emprise et de culpabilisation. On nous disait que ces impayés devaient rester confidentiels. Je n'en parlais pas à ma famille ni à mes amis. Quand nous avons lancé la démarche aux Prud'hommes, un dirigeant nous a dit que nous avions cassé l'esprit startup et c'était de notre faute si la société en arrivait là », ajoute Laetitia.
Des mois d'impayés en plein congé maternité
La salariée doit faire face à une période de six mois de salaires impayés entre le mois d'août 2022 et février 2023. Des impayés qui tombent au plus mal pour la jeune femme qui part en congé maternité à l'été 2022, au moment aussi où elle achète une maison avec son conjoint et vient de souscrire à un prêt à la consommation.
« C'était ma première expérience professionnelle donc je n'avais pas beaucoup d'argent de côté. Heureusement, durant mon congé maternité, j'avais 50% de mon salaire versé par la Sécurité sociale. Juste après avoir accouché, j'étais chamboulée par l'arrivée de ce petit bébé et en plein changement hormonal et psychologique, je ne me voyais pas du tout passer des entretiens pour chercher un nouveau travail », narre Laetitia.
A son retour au travail début 2023, elle lance une procédure au tribunal des prud'hommes et obtient une régularisation des six mois d'impayés en mars. Mais peu de temps après, les difficultés recommencent. Lætitia a demandé, l'automne dernier, une résiliation judiciaire de son contrat du fait des impayés, de manière à pouvoir quitter l'entreprise et s'inscrire à France Travail le temps de trouver un nouvel emploi. Mais elle apprend le 1er avril dernier qu'elle est déboutée et fait appel de cette décision.
« Le conseil des Prud'hommes indique que la situation qui a entraîné les retards de salaire n'est pas de la volonté de la société mais qu'elle est due aux retombées de la pandémie. Sauf qu'en 2022-2023, la crise sanitaire est largement derrière les entreprises qui, en plus, ont bénéficié de certaines aides de l'État », plaide Patricia Boldrini, avocate au barreau de Toulouse.
Les recrutements continuent
Surtout, l'avocate met en avant que Hyperloop TT a continué à recruter malgré ces difficultés financières et malgré aussi l'annonce par Toulouse Métropole de la résiliation du bail avec la société californienne, priée de démonter la piste d'essai construite près de l'aéroport Toulouse-Francazal.
Thomas (prénom modifié) a, quant à lui, été embauché en juin 2023.
« Ce jeune diplômé a subi des retards de paiement à partir d'octobre et n'est plus payé à partir de janvier 2024. Il a été contraint de quitter son logement pour retourner vivre chez papa et maman », relève Patricia Boldrini.
L'ingénieur a finalement réalisé une prise d'acte pour pouvoir trouver un nouveau travail en s'inscrivant à France Travail mais pourrait lui aussi choisir de lancer des poursuites pour obtenir la régularisation des sommes dues. Un autre salarié a également été recruté en novembre dernier alors que l'entreprise emploie encore trois personnes à Toulouse et une à Paris.
« Nous sommes face à une entreprise qui joue le pot de terre contre le pot de fer : elle laisse des personnes partir avec des salaires impayés et en recrute d'autres derrière sans jamais être inquiétée. Le rejet de la résiliation judiciaire vient les renforcer dans leur toute puissance et dans leur manière de faire », déplore Patricia Boldrini.
Interrogée par La Tribune, Hyperloop TT n'a pas souhaité réagir sur cette affaire. La startup a annoncé, fin février, vouloir rebondir vers l'Italie où elle a remporté un marché pour « la construction du premier système hyperloop commercial mondial ».
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