COP28 : pour les stations de ski pyrénéennes, « l'impératif climatique entre dans les esprits »

DÉCRYPTAGE. Alors que s'ouvre ce jeudi la 28ᵉ conférence mondiale sur le climat, dans les Pyrénées, les stations de ski se mettent en ordre de bataille pour ne pas voir disparaître un or blanc qui génère chaque année 10.000 emplois et 6 millions de nuitées. Grâce à l'outil Climsnow, les domaines peuvent concentrer leurs investissements dans les zones les moins vulnérables au changement climatique. Les stations multiplient les activités de diversification, qui même si elles génèrent encore peu de revenus, permettent de fidéliser à l'année plus de saisonniers sur le territoire. Pour relever le défi de la transition énergétique, le massif devra aussi surmonter un immense chantier de rénovation de son parc de logements.
Peyragudes est la première station des Pyrénées à utiliser l'outil Climsnow pour visualiser les projections d'enneigement d'ici la fin du siècle.
Peyragudes est la première station des Pyrénées à utiliser l'outil Climsnow pour visualiser les projections d'enneigement d'ici la fin du siècle. (Crédits : N'PY)

Y aura-t-il encore assez de neige pour skier dans les Pyrénées à la fin du siècle ? Une étude alarmante publiée fin août dans la revue Nature, indiquait que 93 % des stations des Alpes et 98 % des stations des Pyrénées sont menacées de fermeture faute de neige à l'horizon 2100 si le réchauffement climatique dépasse trois degrés. Un coup de massue pour les territoires des Pyrénées où le ski génère 10.000 emplois et 6 millions de nuitées d'après un récent rapport de la Cour des comptes, offrant notamment un emploi saisonnier aux agriculteurs.

 Pour ne pas voir disparaître cet or blanc, les stations se sont mises en ordre de bataille. « Dans certains domaines, le changement climatique est un sujet qui fâche. Mais globalement l'impératif de sobriété énergétique, de transformation et d'anticipation du changement climatique entre dans les esprits », confirme John Palacin, président de l'Agence des Pyrénées, structure interrégionale fondée en 2021 pour développement, à la valorisation et à la préservation du massif des Pyrénées.

Lire aussiSki : comment les stations pyrénéennes s'adaptent au changement climatique

Investir dans les zones les moins vulnérables au changement climatique

Parmi les bons élèves, la station de Peyragudes est la première station des Pyrénées à avoir participé dès 2019 à l'étude Climsnow. « Avec cet outil, nous sommes capables de fournir des projections de la durée d'enneigement et la consommation d'eau pour produire de la neige en fonction du scénario climatique et de la configuration de la station dans les prochaines décennies jusqu'à la fin du siècle », explique Carlo Maria Carmagnola, ingénieur de recherche à Météo-France.

Utilisé aujourd'hui par plus de 180 stations en France, Climsnow s'appuie sur les données climatiques, la longueur et la largeur des pistes, leur exposition par rapport à l'ensoleillement mais aussi les équipements de production de neige de culture ou encore les retenues d'eau collinaires présentes sur chaque domaine pour livrer une projection personnalisée.

 « Climsnow nous montre qu'il est inutile de s'entêter à investir dans les zones très basses du domaine en dessous de 1.500 mètres. Nous avons peu de chances de tenir, par exemple la Vallée Blanche pendant très longtemps. En revanche, l'étude révèle que d'ici à 2050, quatre années sur cinq, nous pourrons assurer les retours des skieurs à 1.600 mètres. Seulement, une année sur cinq, le faible enneigement nous fera baisser à 80 jours d'activité (alors que l'activité est viable avec une centaine de jours consécutifs, ndlr). Et sur les parties intermédiaires et hautes du domaine, au-dessus de 1.800 mètres, la visibilité d'enneigement est bonne sur les 25 années à venir donc cela justifie de continuer à investir », estime Laurent Garcia, directeur de la station.

La gestion du manteau neigeux au centimètre près

La station réorganise depuis quatre ans l'emplacement de ses enneigeurs en produisant davantage de neige en haut du domaine, sur des zones moins vulnérables au changement climatique. Cette année, plus de 70 enneigeurs de dernière génération vont permettre de produire de la neige de meilleure qualité avec moins d'eau et moins d'énergie. Le domaine couple ces aménagements à l'utilisation de Snowcast, le guidage satellite embarqué dans toutes les dameuses qui permet de connaître au centimètre près l'épaisseur du manteau neigeux par portion de piste. « On produit la juste neige au bon endroit », résume Laurent Garcia. Couplé à l'installation de barrières sur les zones venteuses, la station gère au plus près le précieux or blanc et peut offrir à ses clients désormais une « garantie neige »  sur 70% du domaine, qu'elle soit naturelle ou de culture.

Cette saison, Piau et Le Grand Tourmalet dans les Hautes-Pyrénées et Gourette dans les Pyrénées-Atlantiques et Cambre d'Aze dans les Pyrénées-Orientales s'équipent également du fameux système de mesure par GPS, grâce auquel elles attendent réaliser une réduction de 15% de la consommation de gasoil et de 15% de la production de neige de culture.

Toujours dans cette logique de rationalisation, Peyragudes, Piau, Grand Tourmalet et Cauterets ont installé des appareils de sous-comptage qui permettent de connaître exactement les dépenses énergétiques. En réduisant la vitesse de 15% de la télécabine du Lys (Cauterets), il faut seulement deux minutes de plus pour accéder au domaine skiable.

A moyen-terme, les stations pourraient être alimentées en hydrogène. « La région Occitanie veut rétablir la ligne de train entre Toulouse et Luchon avec un train à hydrogène avec la création d'une unité de production d'hydrogène à Bagnères de Luchon. Nous entrevoyons de faire fonctionner peut être des navettes de bus à hydrogène entre Luchon et les stations ou pourquoi pour les trajets entre stations ou encore pour intégrer des dameuses à hydrogène », dresse Laurent Garcia.

Des stations « quatre saisons » pour fidéliser les saisonniers

Outre cette sobriété énergétique, les stations des Pyrénées pensent désormais tous leurs équipements (télésiège...) avec un usage réversible été comme hiver. « A Saint-Lary, la télécabine d'Espiaube a été utilisée tout l'été en raison de la fermeture de la route du col du Portet avec à la clé 6.000 véhicules en moins sur les routes, ce qui n'est pas neutre sur le plan environnemental. Et puis cette télécabine a créé 13 emplois durant la saison estivale pour des saisonniers qui travaillaient déjà sur le domaine l'hiver. Cela leur permet de poser leurs valises dans la vallée d'Aure et de les fidéliser sur le territoire », observe Akim Boufaïd, directeur du plus grand domaine skiable des Pyrénées françaises avec plus de 100 km de pistes.

Engagées depuis des années, dans une politique de stations quatre saisons, les domaines multiplient les activités hors ski : tyrolienne, suntubing (dévaler une piste de ski sur un tapis synthétique), VTT... Des activités dont les retombées économiques restent encore marginales. « La meilleure année estivale, nous avons enregistré 400.000 euros de recettes l'été sur un chiffre d'affaires total de 19 millions d'euros. Ce n'est pas les revenus estivaux qui sont le moteur économique du territoire », commente Akim Boufaïd. L'objectif est d'arriver à 30% des recettes hors-ski dès 2030.

Lire aussiSki : face au manque de neige, les stations des Pyrénées se diversifient

Un énorme chantier de rénovation énergétique des logements

D'autres activités de diversification sont amorcées avec notamment la montée en gamme des restaurants de haute altitude en faisant appel à des chefs renommés. « Les stations des Pyrénées véhiculent l'image d'une destination très familiale mais cela ne peut pas être que cela. Il faut saluer toutes les initiatives privées pour proposer des hébergements haut de gamme, tels que les hôtels quatre étoiles La Voie Lactée à La Mongie et Mercure à Peyragudes, qui manquent encore dans les Pyrénées. Ces derniers ne désemplissent pas en pleine saison et montrent qu'il existe une clientèle très intéressée par ce type d'hébergement », commente Régis Lignon, directeur général délégué de la Compagnie des Pyrénées.

Reste aussi un énorme chantier de rénovation énergétique des hébergements dans les Pyrénées. D'après un recensement réalisé par le spécialiste du financement de la rénovation Heero, les stations pyrénéennes sont celles qui comptent le plus de passoires énergétiques, ces appartements classés F et G qui seront progressivement interdits à la location par la loi Climat et Résilience. Alors que près d'un logement sur deux est mal isolé dans les stations, contre 16,9 % au niveau national, ce chiffre est supérieur à 70% pour six destinations pyrénéennes, la palme revenant à Piau Engaly avec 86%. « Les stations de ski risquent de voir leur parc locatif diminuer en moyenne de moitié dès 2028, soit dans cinq ans seulement. Car pour certaines d'entre elles, il sera matériellement impossible de rénover l'ensemble des logements concernés d'ici là, même si plusieurs régions ont lancé des initiatives pour soutenir la rénovation immobilière », alerte Romain Villain, directeur général de Heero. La Compagnie des Pyrénées prévoit elle, à travers sa foncière créée il y a deux ans, de rénover ou de construire des hôtels pour garantir une offre suffisante et de qualité.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 30/11/2023 à 8:57
Signaler
Le problème de la neige se pose aussi pour les Alpes. Les précipitations existent mais les températures ne sont plus suffisamment basses longtemps pour geler le sol et créer une sous couche de neige durable. Notons aussi que les amplitudes de temper...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.