
« Pendant le Covid, certains pronostiquaient quasiment la fin du destin aéronautique de Toulouse. Moi je leur disais que ça n'allait pas arriver parce que Toulouse a des atouts fondamentaux structurels et une capacité d'innovation qui lui permet de trouver des solutions et repartir de plus belle. Et c'est ce qui est arrivé », a lancé le président de Toulouse Métropole Jean-Luc Moudenc en introduction des dix ans de l'événement Aeroforum organisé au Capitole le 9 novembre.
Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse Métropole (Crédits : Rémi Benoit).
Après avoir perdu 9.000 emplois dans le Sud-Ouest durant l'année 2020, la filière aéronautique retrouve peu à peu voire dépasse ses effectifs pré-Covid avec des plans de recrutement impressionnants. Airbus compte à lui seul recruter 3.500 salariés en France dont 2.300 personnes à Toulouse cette année. Il faut dire que l'avionneur européen « a actuellement 8.000 avions dans son carnet de commandes, c'est-à-dire plus de dix ans de production, au rythme au rythme actuel. Cette situation est absolument exceptionnelle », relève Cédric Gautier, CEO d'Airbus Atlantic, entité qui regroupe les activités d'aérostructures du groupe.
La supply chain encore trop « émiettée » pour Airbus Atlantic
Mais derrière cette réussite flamboyante, le donneur d'ordre s'inquiète de la résilience de la sous-traitance aéronautique. L'avionneur européen a affiché des ambitions de remontées de cadences spectaculaires pour atteindre 75 avions monocouloirs par mois en 2026. À tel point que la cible était peut-être trop haute pour la supply chain. Sur un objectif de 720 appareils fixé à l'origine, le constructeur n'a pu en livrer que 661 au cours de l'année 2022.
« Durant le Covid, les PGE (prêts garantis par l'Etat) ont eu un effet dans un premier temps extrêmement bénéfique puisqu'ils ont permis de protéger, voire de surprotéger des sociétés, mais ils ont eu aussi des effets anesthésiants. En termes de transformation industrielle, les évolutions n'ont pas été suffisantes. Et aujourd'hui, nous nous retrouvons dans une situation où ces mêmes entreprises doivent remonter en puissance, ce qui consomme énormément de trésorerie par des besoins en fonds de roulement, par les investissements, tout en devant rembourser ces PGE. Tout ça paralyse énormément et la supply chain n'est pas aussi robuste qu'elle devrait l'être.
Cédric Gautier, CEO d'Airbus Atlantic (Crédits : Rémi Benoit).
« Cette dernière reste très émiettée et les mouvements de consolidation sont à notre avis insuffisants vis-à-vis des challenges à venir. Beaucoup d'entreprises ont besoin d'une assise et d'une taille critique pour justement faire face à la montée en cadence, investir, que ce soit dans les moyens industriels, les nouvelles technologies. Il faut aller plus loin dans la consolidation. »
D'autant que si aujourd'hui Airbus s'est imposé comme le leader mondial du marché aéronautique avec une longueur d'avance sur Boeing, Cédric Gautier appelle à se préparer à un scénario où le groupe américain reviendrait en force et le Chinois Comac prendrait son envol.
« Ayant travaillé pendant des années sur Ariane, je crois que c'est le genre de scénario qui nous fait passer en quelques petites années d'une situation de numéro un mondial incontesté à une situation difficile vis-à-vis d'un SpaceX qu'on n'a pas vu venir. Je ne dis pas que c'est ce qui va arriver dans l'aéronautique, mais c'est typiquement le genre de scénario auquel il faut se préparer. »
« En dix ans, nous sommes passés de 12 à 300 millions d'euros »
Des propos qui ont suscité un vif débat dans la table-ronde suivante.
« Je n'ai pas l'impression que nous n'ayons rien fait et j'espère que Nexteam Group est un contre-exemple parce qu'en dix ans, nous sommes passés d'une société détenue à 100 % qui faisait 12 millions d'euros de chiffre d'affaires à un groupe qui en fait un peu plus de 300 millions d'euros cette année (en passant par un petit passage à vide durant le Covid qui nous a fait chuter à 250 millions), grâce à une somme de fusions-acquisitions », a rappelé Ludovic Asquini, qui a annoncé cet été une nouvelle opération de consolidation avec l'acquisition du spécialiste toulousain de la tôlerie de précision ATG.
Ludovic Asquini, président de Nexteam Group (Crédits : Rémi Benoit).
De son côté, Fabien Roualdes, directeur exécutif de Tikehau Capital à Toulouse estime : « Cédric Gautier a raison, la consolidation ne va pas assez vite mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de travail. Ce qui est un peu préoccupant, c'est que beaucoup de sociétés sont focalisées sur l'inflation alors qu'il faudrait penser à l'amélioration industrielle, à la création de valeur. Suivre Airbus Atlantic dans les pays à bas coûts, c'est difficile quand on est une PME et beaucoup plus aisé pour un grand groupe ou une ETI. Nous essayons d'être acteur de ces mouvements ».
Fabien Roualdes, directeur exécutif de Tikehau Capital à Toulouse. (Crédits: Rémi Benoit)
« Nous observons à nouveau une forte reprise des transactions »
Pour sa part, Raphaël Petit, managing partner au sein d'Oaklins France, société à la manoeuvre d'une série de fusions-acquisitions dans la filière aéronautique, distingue trois phases de consolidation en dix ans.
« Jusqu'à 2015, les donneurs d'ordres en parlaient beaucoup mais on ne voyait pas vraiment cette consolidation se réaliser. Et puis, une accélération assez forte s'est opérée entre 2016 et jusqu'au Covid. Durant cette phase, nous sommes passés d'à peu près 10 à 15 transactions par an en France au double en 2019. Ensuite, la machine à deal s'est arrêtée avec la crise sanitaire pour la bonne raison que les sociétés ayant vu leur chiffre d'affaires plonger ne valaient plus rien. Les industriels eux naviguaient à vue et n'étaient pas en mesure de se positionner sur des acquisitions. Depuis 2022, nous observons à nouveau une très forte reprise des transactions. Le secteur a retrouvé ce qui faisait son attractivité. » Oaklins a été mobilisé pour annoncer pendant le Bourget le rachat du Gersois Equip'Aero par le groupe Domusa et le rapprochement entre BT2i et JV Group.
Raphaël Petit, managing partner au sein d'Oaklins France. (Crédits : Rémi Benoit)
« Je refuse de parler de prix, je préfère parler de technique »
D'autres sociétés assument se tenir à l'écart de cette grande consolidation. C'est le cas notamment de Celso.« Nous sommes une PME familiale, je suis la quatrième génération et mon fils Aurélien représente la cinquième génération. Nous sommes fournisseur de coussins pour les cockpits pour tous les avionneurs au monde, notamment sur l'avion VIP. Il s'agit de marchés de plus faibles volumes qui nous permettent de rester indépendants. Je refuse de parler de prix, je préfère parler de technique », explique Agnès Timbre, sa dirigeante depuis 2006.
Des marchés de niche et une stratégie active de diversification qui lui a permis de passer sans encombre la crise sanitaire.« J'ai toujours eu la volonté de diversifier parce qu'il me semblait dangereux de dépendre d'un client ou d'un secteur d'activité unique. Nous ne faisons que 60 % de l'aéronautique et pour nous l'année 2020 s'est très bien passée et nous avons vite remboursé notre PGE. Pendant la crise, beaucoup ont parlé de diversification mais aujourd'hui je ne la vois pas », a conclu la dirigeante.
Aurélien et Agnès Timbre de la PME familiale Celso. (Crédits : Rémi Benoit)
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