"Personne ne veut tuer Airbus. Nous sommes à fait conscients de tout ce qu'a apporté l'aéronautique dans notre région. Mais nous pensons que l'heure est venue d'engager une politique de diversification", résume Bruno Jougla. Salarié dans un grand groupe de l'aéronautique à Toulouse, il fait partie du collectif Pensons l'aéronautique pour demain qui publie mardi 31 août un rapport intitulé "Moins d'avions, plus d'emplois : recommandations pour une transformation en une région écologiste, égalitaire, épanouie".
Parmi les co-auteurs figurent des salariés de l'aéronautique, l'association contre les nuisances aériennes de l'aéroport de Toulouse, des chercheurs et des étudiants en école d'ingénieurs, la Fondation Copernic, Attac, etc. Considérant que l'avion à hydrogène et les carburants durables ne suffiront pas à limiter le changement climatique, la rapport avance une proposition choc : engager "une baisse du trafic aérien".
"Pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5° C, le GIEC préconise au niveau mondial une baisse des émissions des gaz à effet de serre dès 2020, avec a minima -35 % d'émissions en 2030 par rapport à 2010. Le secteur aérien, dans ses plans les plus ambitieux tels que présentés par IATA prévoit le maintien des émissions de GES au niveau de 2020 (qui est 40 % au-dessus de 2010) jusqu'en 2035. Le délai mis en avant par le secteur de l'aérien pour commencer à baisser ses émissions de gaz à effet de serre est explicable : 15 ans sont nécessaires pour monter à maturité le concept d'"avion vert" avant sa mise en marché.
Pour autant, nous considérons qu'il n'est pas acceptable en l'état : chaque secteur industriel doit prendre sa part à l'effort de réduction des gaz à effet de serre. Le collectif Pensons l'Aéronautique pour Demain rejoint ainsi les partisans de la sobriété et prétend la nécessité de diminuer le niveau de trafic aérien mondial. Baisser le trafic implique une baisse du nombre d'avions en exploitation. Cela implique certainement une baisse du nombre d'avions neufs à construire, avec le niveau d'activité qui y est associé", indique le rapport.
Un coût social atténué par des reconversions massives ?
Le collectif ne chiffre pas l'ampleur de cette baisse mais une simple inflexion pourrait avoir un impact colossal sur la filière aéronautique. En mars dernier, le rapport du Shift project préconisait une baisse de trafic nécessaire à 19% d'ici à 2050 au niveau mondial pour respecter les accords de Paris, ce qui entraînerait la baisse de la construction d'avions de 55%.
Un discours difficile à entendre en Occitanie où l'aéronautique fournit un travail à plus de 100.000 salariés et alors que la crise économique liée à la Covid-19 a fait perdre 6.200 emplois en 2020 dans la région (et 8.800 emplois en incluant la Nouvelle-Aquitaine) d'après l'Insee.
Comment envisager une baisse du trafic aérien sans créer un marasme économique au pays d'Airbus ? "Si l'on veut re-démarrer l'emploi, c'est à travers une diversification de la région vers la transition écologique", assure Bruno Jougla. Le rapport s'appuie notamment sur une estimation conduite par le ministère de l'Environnement et l'Ademe qui tablait sur 400.000 créations d'emplois entre 2015 et 2035 à l'échelle nationale en France grâce à des politiques bas carbone. Le collectif salue les démarches de diversification déjà engagées par la région Occitanie avec le lancement d'un plan rail de 800 millions d'euros. "Il existe des compétences communes entre l'aéronautique et le ferroviaire", souligne Bruno Jougla. Plusieurs sous-traitants aéronautiques dans le Sud-Ouest amorcent déjà une diversification vers le ferroviaire, à l'instar par exemple du groupe Ségneré près de Tarbes, même si cette piste reste encore marginale à l'échelle de la filière. Le collectif voit aussi des reconversions possibles vers l'agriculture alors que la moitié des exploitants agricoles partiront à la retraite dans les dix années à venir. Depuis le début de la crise, des salariés de l'aéronautique ont déjà franchi le cap de la reconversion. À tel point que les industriels qui anticipent maintenant la remontée des cadences d'Airbus peinent à recruter.
D'autres salariés au contraire sont très attachés au milieu aéronautique. Comment les convaincre de se reconvertir pour un métier avec souvent des salaires plus bas ? Le collectif PAD considère que les pouvoirs publics auront un rôle à jouer pour soutenir cette transition.
D'ailleurs, les auteurs du rapport veulent confronter leurs idées avec les responsables politiques et économiques à l'occasion des Assises de l'aviation. Cet événement est organisé du 17 au 26 septembre à Toulouse puis les 25 et 26 septembre à Paris en partenariat avec le collectif Notre choix (qui regroupe huit associations dont Greenpeace et France nature environnement).
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