La filière laine occitane renaît…sous conditions (5/5)

Faire renaître la laine française en Occitanie, alors que les fibres synthétiques ont depuis des décennies pris le pas sur les matières naturelles, les acteurs régionaux de la filière l’appellent de leurs voeux, mais pas à n’importe quel prix ! Analyse.
Quelques acteurs se mobilisent en Occitanie pour faire revivre la laine française.
Quelques acteurs se mobilisent en Occitanie pour faire revivre la laine française. (Crédits : Missègle)

« Quand on parle de Made in France, en réalité plein de produits ne le sont pas, ils sont plutôt fabriqués en Chine. Nous ce qui nous intéresse, c'est l'impact écologique, le fait de produire de manière vertueuse, cela va au-delà de cette appellation », explique Mathieu Ebbensen-Goudin.

Ce lotois est le co-fondateur de Virgocoop. La coopérative citoyenne fondée en 2018 se présente comme une entité qui oeuvre au développement de filières écologiques dans le monde du textile. Un défi que Virgocoop veut réaliser sur toute la chaîne de valeur en montant des filières durables depuis la production de fibres jusqu'au tissu et à la fabrication de produits issus de ces tissus.

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Avec cette idée, la coopérative citoyenne entend agir à son niveau pour accroître la part de marché des fibres naturelles et écologiques dans le secteur du textile.

En 2021, la production de fibres naturelles face aux fibres synthétiques - déjà largement majoritaires - reculaient au niveau mondial. Sur les 113 millions de tonnes de fibres produites dans le monde, 64% étaient synthétiques. La part de la laine dans la production de fibres étant encore plus minime, 1,5% de part de marché. (Source rapport Textile Exchange). Des données sans appel, mais qui disent peu d'un mouvement qui bien que faible tend à grossir. Car les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de produits fabriqués avec des matières naturelles. Pour ces acheteurs, Virgocoop s'associe avec des marques afin de fournir les matières durables nécessaires à la fabrication de leurs produits.

Parmi elles, l'Atelier Tuffery - qui par ailleurs fait partie de l'organisme de gestion de la coopérative -  produit depuis plus d'un siècle des jeans qui ont toujours été 100% made in France.

« La laine que nous vendons à Tuffery vient de Lozère, où nous travaillons avec un groupe de 25 éleveurs, puis, elle est traitée à Mazamet et lavée en Haute-Loire à Saugues où se situe la dernière entreprise de lavage de laine de France. Elle part ensuite à la filature de Dreuilhe en Ariège », détaille Mathieu Ebbensen-Goudin.

Rester local...si on peut

À l'image de l'Atelier Tuffery, Missègle, une marque de chaussettes de pulls et autres accessoires basée à Burlats dans le Tarn a elle aussi fait le choix de rester local.

« Le choix était facile de délocaliser notre production. On avait des propositions pour fabriquer nos chaussettes ailleurs, au Maroc par exemple, car le pays est bien positionné dans la filière textile mais nous avons préféré rester en France », commente Gaetan Billant, qui avec son frère Olivier et sa mère Myriam Joly est à la tête de cette PME fondée il y a 40 ans.

Aujourd'hui, la société de 50 salariés (10 millions de CA) fabrique 400 000 chaussettes, 50 000 pulls et 80 000 accessoires et jouit d'une image d'entreprise responsable. Elle affiche des convictions fortes sur le fait de faire vivre l'économie locale et fait partie du mouvement « En mode climat ». Le manifeste signé par 150 entreprises françaises demande une régulation du secteur textile en obligeant les entreprises de ce secteur à payer une taxe significative à hauteur du coût environnemental qu'elles génèrent.

Mais si Missègle soutient le fabriqué français, le modèle a d'autres limites que la concurrence exercée par des entreprises moins vertueuses. Pour fabriquer ses produits, Missègle s'appuie en grande partie sur de la laine fabriquée à l'étranger.

« Il y a des choix qui ont été faits en France pour valoriser la viande et le lait, la laine est un sous-produit de ces élevages là. C'est antinomique, car quand on fait de la sélection naturelle génétique, pour sélectionner les bêtes qui font la meilleure viande et le meilleur lait, c'est forcément au détriment des qualités lainières. Par exemple les brebis Lacaune qui font le Roquefort, plus on les sélectionne pour la production de lait, moins elles auront une jolie laine. Aujourd'hui, il y a quand même quelques filières d'excellence comme la mérinos d'Arles par exemple. La filière Mohair également qui compte un peu plus de 100 élevages en France fait aussi de l'excellente laine. À la marge, il y a de beaux projets de valorisation de la laine, mais on part de très loin », souligne le dirigeant.

La transmission des savoir-faire, un enjeu clé

Au-delà de la question de la production de laine française, d'autres enjeux conditionnent également la renaissance de la filière comme celui de la transmission des savoirs-faire. Un sujet sur lequel l'entreprise Missègle a décidé d'agir en devenant un organisme de formation. Parmi les apprenants de la marque, des salariées de Laines Paysannes, une coopérative ariégeoise. Fondé par Olivia Bertrand, tisserande et Paul de Latour, un éleveur de brebis, Laines Paysannes fabrique et vend des vêtements qui valorisent la laine de six races locales de brebis comme la Tarasconaise, (race des Pyrénées centrales), la Rouge du Roussillon, ou encore la Mérinos.

« Notre mission est de reconnecter le textile à la nature, et notamment de reconnecter la filière textile à la filière agricole. Un vêtement en fibres naturelles, sa fibre pousse avant tout dans les champs. Aujourd'hui, nous travaillons avec 25 fermes (y compris celle de Paul) en Occitanie et un peu en Paca pour la laine mérinos », explique Olivia Bertrand, la co-fondatrice.

Par volonté, la coopérative ne teint pas ses vêtements. A la place, elle opte pour des mélanges de laine blanche et noire pour varier les teintes. Elle  se positionne aussi de façon à être la plus transparente possible sur ses prestataires et sur toutes les pratiques qu'elle utilise pour arriver au produit fini.

Cette philosophie est pour Laines Paysannes, une manière de lutter contre les mauvaises pratiques du secteur textile mais aussi une manière de valoriser les savoir-faire de la filière laine.

« Notre approche permet de raconter le territoire, les pratiques pastorales, la manière dont les éleveurs travaillent...Savoir que la laine a été filée à tel endroit, tricotée à tel autre en travaillant avec des gens que l'on connait, cela permet de faire vivre les relations entre les gens et les compétences d'un territoire, pas uniquement à vendre un vêtement », avance la dirigeante de cette coopérative qui valorise 12 tonnes de laine par an et fait 700 000 euros de chiffre d'affaires.

Une démarche engagée qui interpelle sur les enjeux productifs, économiques et sociaux qui sous tendent la filière laine, et plus largement vient souligner le prix pour faire vivre pleinement le Made in France.

Du lundi 13 novembre au vendredi 17 novembre, la rédaction de La Tribune propose une série d'articles sur les entreprises d'Occitanie présentes à la dernière édition du salon MIF Expo.

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