Spatial : le New Space face au (nouveau) challenge de la montée des cadences

Après son émergence au sein de l'industrie spatiale, le New Space est désormais aux prémices d'une nouvelle période de son histoire : la montée en cadence. Produire davantage, tout en restant moins cher et plus souple que le spatial traditionnel. Mais les défis pour y parvenir sont nombreux et complexes. Analyse de cette nouvelle phase avec l'ESA, des startups et une structure d'accompagnement.
Le Toulousain U-Space ambitionne de produire un nanosatellite par jour d'ici fin 2025.
Le Toulousain U-Space ambitionne de produire un nanosatellite par jour d'ici fin 2025. (Crédits : U-Space)

« Cela fait maintenant dix ans que nous sommes dans cette phase du New Space. Nous arrivons désormais à une phase de transition », analyse Emmanuel Sauzay, le directeur de la croissance chez EnduroSat. Après avoir passé une décennie à démontrer son intérêt et sa pertinence, cette nouvelle méthodologie entrepreneuriale dans le spatial, qui consiste à faire du spatial plus vite et moins cher, arrive dans une période pivot. « Les choses bougent, il y a une réelle évolution des mentalités », confirme Fabien Apper, le CEO de U-Space. « Le New Space est un phénomène mondial et nous ne pouvons pas rester à l'écart en tant qu'agence spatiale traditionnelle. C'est l'opportunité de changer nos façons de faire », ne cache pas Géraldine Naja, la directrice commercialisation, industrie et contrats au sein de l'ESA.

Après une période de tâtonnement et surtout de démonstration face au scepticisme des  acteurs traditionnels au départ, les nouveaux acteurs du spatial, fervents ambassadeurs du New Space, doivent désormais relever le défi de la montée en puissance par des cadences de production plus élevées. C'est typiquement la promesse que va tenter de relever le Toulousain U-Space en produisant des nanosatellites pour les opérateurs de constellations en orbite basse.

« Notre objectif est de produire un satellite par jour à horizon fin 2025, sur la gamme de satellites de quatre à 50 kilos (...) Nous avons donc un calendrier très serré, avec l'objectif d'avoir à disposition notre espace de production de 1.000 m2 à Toulouse d'ici avril 2024 et entamer la production des cinq programmes signés », expose Fabien Apper.

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Mettre fin à la sur-qualité

Cette montée en puissance industrielle dans le spatial ne repose pas uniquement sur des problématiques de foncier ou de ressources humaines, comme peut rencontrer l'industrie aéronautique, mais surtout sur des problématiques techniques et culturelles.

« Le défi est de revoir totalement les méthodes d'assemblage des satellites et toute la logique de test. Le spatial passe d'un modèle industriel avec un satellite que vous testez pendant plusieurs mois à un modèle où il faut produire 300 satellites sur une année. Cela demande forcément aussi de s'appuyer sur des fournisseurs de confiance », analyse le CEO.

Fournisseur d'équipements pour petits satellites et porteur d'une offre commerciale d'accès à l'espace clé en main, le Bulgare EnduroSat doit répondre au même défi. « Nos clients nous demandent d'aller de plus en plus vite, pour avoir des délais toujours plus courts. Cela implique d'avoir une politique de stock plus audacieuse », témoigne Emmanuel Sauzay. « En dehors des grandes missions scientifiques, l'industrie du spatial doit éviter de tomber dans la surqualité, se concentrer sur le besoin final du client et accepter la prise de risque qui caractérise le New Space », poursuit la dirigeante de l'ESA.

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Unifier techniquement la supply chain

Cette montée en cadence pour les nouveaux acteurs du spatial se traduit surtout par une meilleure efficacité. Pour y répondre, des startups débarquent sur le marché pour accompagner le spatial dans ce challenge, à l'image de l'émergence de Connektica et sa récente installation à Toulouse, lauréate du trophée « Attractivité » au dernier Space Forum, organisé par La Tribune à la Cité de l'Espace, le 11 mai dernier.

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« Aujourd'hui, il est nécessaire d'optimiser l'ensemble de la supply chain du spatial. Nous avons des grands intégrateurs, qui développent en interne à coup de millions d'euros leur propre solution pour y parvenir. Par conséquent, on se retrouve avec une filière à deux vitesses : des intégrateurs très performants et de l'autre côté leurs fournisseurs qui font les choses un peu manuellement. Notre idée est donc de relier tout cet écosystème et le rendre plus performant pour répondre à ce besoin de montée en cadence », constate Jérémy Perrin, le CEO et cofondateur de la société canadienne.

Pour ce faire, Connektica a mis au point une solution logicielle qui centralise la donnée et surtout automatise la phase des tests radiofréquences et la startup se penche désormais sur le développement de l'automatisation des tests méca-thermiques. En centralisant la donnée sur une même plateforme, l'ambition de la jeune pousse est de fluidifier son partage au sein de la supply chain, par conséquent l'optimisation de celle-ci et faciliter la collaboration avec le donneur d'ordres, en séduisant plusieurs acteurs.

« Par exemple, nous travaillons avec Anywaves. Avec notre plateforme, nous arrivons à couper en deux leurs coûts et temps de tests, et nous multiplions par dix leurs capacités de production. Le tout en leur offrant une traçabilité de la donnée sur l'ensemble du cycle de production (...) Nous collaborons aussi avec un grand intégrateur canadien, qui utilise notre solution pour tous ses projets de constellation et impose progressivement notre solution à l'ensemble de sa supply chain. C'est cette traçabilité de la donnée chez l'intégrateur et ses fournisseurs qui permettra une optimisation de l'ensemble », illustre l'entrepreneur.

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Un accès aux marchés encore à travailler

Séduite par cette approche, c'est la société franco-américaine Loft Orbital qui vient tout récemment de souscrire aux services de Connektica. Seulement, mener les investissements qui résulteraient vers une plus grande productivité devra mener à un plus riche carnet de commandes pour les partisans et acteurs du New Space. Un point sur lequel les acteurs institutionnels, principaux clients du marché spatial, ont un rôle crucial à jouer. « Quand Space X s'est lancée, elle était seule. Mais elle a pu s'appuyer et avancer sereinement grâce à de très nombreux contrats signés avec la NASA », rappelle Emmanuel Sauzay. Pour le patron français d'EnduroSat, le marché européen aura un rôle à jouer dans la pérennité des nouveaux acteurs de l'industrie spatiale et les institutions devront être au rendez-vous.

« Notre objectif à terme est que tous les nouveaux acteurs du spatial puissent participer à parts égales avec les acteurs traditionnels aux projets de l'ESA (...) Nous menons un travail en interne pour adapter notre approche. Nous sommes conscients que nous ne parlons pas le même langage. Il faut que nous soyons beaucoup plus réactifs et que nous ayons des procédures beaucoup plus simples dans l'accès à nos marchés », admet Géraldine Naja, qui souligne aussi l'existence d'un board 'New Space' composé de 12 startups (renouvelées tous les deux ans) de ce courant entrepreneuriale afin de conseiller l'ESA dans sa méthodologie.

Dans cette optique, le projet de constellation souveraine européenne de télécommunications IRIS 2 estimé à six milliards d'euros - aussi appelé « Constellation Breton » car porté par le commissaire européen éponyme - sera un marqueur fort de la volonté des institutions d'intégrer les nouveaux acteurs du spatial sur leurs tablettes. Pour le moment, seul un consortium européen, constitué des grands acteurs traditionnels du spatial et sans acteur nouveau, s'est positionné sur le marché. Ce qui ne plaît pas à tout le monde. « Les membres du syndicat YEESS resteront vigilants sur l'aspect du marché dédié à l'introduction de nouvelles PME et start-ups dans le troisième programme spatial phare de la Commission européenne. Ils sont prêts à offrir leur innovation de pointe et leur excellence pour construire un programme Iris 2 réussi, au profit des citoyens de l'UE » , a réagi récemment le syndicat qui défend les intérêts des nouveaux acteurs du spatial. En cause ? La promesse de la Commission européenne de flécher 30% de ce marché vers les PME et startups européennes du spatial. « Sur ce marché, si une offre réunit tous les gros acteurs du secteur, on se dit qu'il risque d'y avoir un souci dans la compétitivité de l'offre. Par ailleurs, cette règle des 30% n'est qu'une volonté émise par l'Europe, mais nous ne savons pas comment accéder à ce marché », témoigne Fabien Apper, membre de YEESS avec son entreprise.

Avec U-Space, l'entrepreneur toulousain refuse tout de même de se positionner en opposition avec ces grands acteurs et défend plutôt « des contrats gagnant-gagnant » avec eux. Par exemple, la startup s'est associée à Airbus Defence and Space pour remporter un contrat de défense de l'espace depuis l'espace, dans le cadre de France 2030, au profit du Cnes. La jeune pousse compte aussi endosser parfois un rôle de fournisseur pour ces grands comptes avec sa future usine de nanosatellites.

L'argent, nerf de la guerre

Ces collaborations ont été particulièrement permises grâce à l'annonce de la levée de sept millions d'euros de U-Space en septembre dernier. « Une levée de fonds agit comme un label de crédibilité car les intéressés savent que des investisseurs ont fait de la due diligence pendant des mois sur le projet en question », explique Anaïs van Wynsberghe, la nouvelle responsable des investissements au sein de l'accélérateur européen du New Space Space Founders. « Il est vrai qu'il a été plus facile de parler avec certains prospects après cette annonce », confirme Fabien Apper. Néanmoins, le spatial européen, dont tout particulièrement les nouveaux acteurs, manque de l'apport d'investisseurs privés.

« Notre levée de fonds n'a pas été simple... L'Europe est en déficit de financements privés par rapport au marché américain, qui est notre premier marché et qui assure 50% de nos revenus », précise Emmanuel Sauzay, qui a officialisé un tour de table de 10 millions de dollars en mai. « Il y a une croissance du nombre d'investisseurs qui s'intéressent au spatial et tout particulièrement ses nouveaux acteurs. Des fonds généralistes font leur apparition, comme des fonds d'infrastructures voire des fonds à impact. En revanche, cela ne se traduit pas forcément par un nombre croissant d'investissements privés dans le spatial », ajoute Anaïs van Wynsberghe, recruté pour attirer davantage de structures généralistes vers le spatial.

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Bien que le spatial européen a attiré un milliard d'euros d'investissements privés en 2022, un travail de pédagogie est en cours et doit se poursuivre auprès des fonds, sans mettre de côté la situation géopolitique instable actuelle. Tous les acteurs sont catégoriques : il manque du cash dans le spatial européen et ce point est aussi une partie de la réponse pour assurer la montée en cadence du New Space. Un énième défi pour une mission commune : produire plus.

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