Toulouse face au défi climatique

Des canicules plus intenses et plus fréquentes, une quasi disparition de la Garonne, la pollution chronique aggravée… voici les conséquences du changement climatiques qui se profilent pour la Ville rose dans les années à venir. Comment s’y prépare-t-elle ? Décryptage.
En août dernier, la température a atteint 38 °C dans la Ville rose.
En août dernier, la température a atteint 38 °C dans la Ville rose. (Crédits : Rémi Benoit)

Nous sommes au début du mois d'août 2018 à Toulouse. Il est minuit et il fait encore 30°C dehors, 28°C dans un logement sans climatisation. Dans la journée, le thermomètre grimpe jusqu'à 38°C. La Ville rose suffoque. Malheureusement, ces épisodes de canicule sont appelés à devenir plus intenses et plus réguliers dans les décennies à venir.

"Deux phénomènes sont à l'œuvre : les rejets de gaz à effet de serre font monter la température, c'est ce qui relève du réchauffement climatique. Et par ailleurs, durant la journée, le soleil va chauffer tous les matériaux urbains et toute cette chaleur emmagasinée est rendue à l'atmosphère la nuit, ce qui fait qu'elle se refroidit moins vite qu'en zone rurale. À Toulouse, il peut y avoir 6°C de différence entre l'hypercentre et la campagne. C'est ce qu'on appelle les îlots de chaleur urbains, un phénomène observé dès 1820, donc bien avant le réchauffement climatique", explique Valery Masson, directeur de recherches en climat urbain à Météo-France et coordinateur du projet Acclimat.

Ce programme de recherche a publié une étude montrant que la hausse des températures pourrait atteindre entre 3 et 9°C de plus à Toulouse d'ici 2100, selon des scénarios plus ou moins pessimistes. Les îlots de chaleur seraient responsables d'une aggravation de 1 à 3°C, quand les gaz à effet de serre provoqueraient une hausse du thermomètre de 2 à 6°C. De son côté, le Cerfacs, pôle de recherche de Météo France et du CNRS, a estimé en 2017 que si rien n'est fait, dès 2025, des pics réguliers à 51,6°C sont attendus dans le Sud-Ouest.

Du photovoltaïque sur les toits des bâtiments publics

Comment la Ville rose se prépare-t-elle à ces bouleversements ? Dans son rapport annuel sur le développement durable, Toulouse Métropole met en avant en premier lieu des avancées en matière de transition énergétique avec plusieurs projets de centrales solaires.

La marché d'intérêt national, le "Rungis" toulousain, accueille sur ses toits depuis mars dernier 6 000 panneaux, en mesure de fournir deux gigawatts heure, l'équivalent de 800 foyers alimentés en électricité. De même, une friche de l'usine pétrochimique AZF, qui a explosé en 2001, va devenir un parc photovoltaïque de 19 hectares capable de produire 21 gigawatts heure par an, soit l'équivalent de la principale centrale hydroélectrique municipale installée sur l'Île du Ramier. Cet ouvrage, qui doit entrer en service fin 2019, fournirait l'équivalent de 75% de l'énergie nécessaire à l'éclairage public de la ville. D'autres bâtiments publics vont suivre : le parking du futur Parc des expositions, la médiathèque José Cabanis et la station d'épuration de Castelginest.

Des chiffres à rapporter à la consommation de Toulouse Métropole : "28 GWh sont nécessaires pour l'éclairage public et 75 GWh pour l'éclairage et le chauffage des bâtiments publics", avance Émilion Esnault, conseiller municipal de Toulouse en charge de l'éclairage. L'élu estime ainsi qu'en incluant les centrales hydroélectriques sous régie municipale, la collectivité autoproduit 66% de ce qu'elle consomme.

"Bien sûr, l'ampleur est moindre en comparant à la consommation globale des habitants (en incluant les besoins des particuliers et des entreprises, ndlr). Mais l'idée est que la Métropole montre l'exemple en produisant de l'électricité sur les toits de ses propres bâtiments. Cela rapporte aussi de l'argent, c'est une autre manière de dégager des ressources pour la collectivité», ajoute-t-il.

Étendre les réseaux de chaleur urbain

L'autre versant du volet énergie du plan climat de la Ville rose consiste à développer encore davantage les réseaux de chaleur urbain. Depuis 1965, l'incinérateur SETMI, implanté au cœur du quartier du Mirail, utilise la chaleur produite en brûlant les déchets. Elle entraîne ensuite une turbine qui la transforme en électricité.

L'énergie générée va alors alimenter en chauffage et en eau chaude un réseau de chaleur de 18 km au niveau des quartiers du Mirail, de la Reynerie et de Bellefontaine. Ce sont 9 000 logements, un supermarché, une université, des écoles, des établissements publics et bureaux qui sont ainsi desservis, d'après la SETMI. Ce réseau est en train d'être largement étendu.

"Nous construisons 36 km de canalisations supplémentaires pour desservir l'hôpital de Rangueil, la ZAC de Montaudran Aerospace et le quartier Empalot", décrit Pierre Trautmann, vice-président de Toulouse Métropole en charge de la commande publique. Le réseau fournira 120 GWh d'électricité, soit l'équivalent de 15 000 logements, dont 90 GWh en provenance de l'usine. Le restant sera généré par une centrale d'appoint au gaz, un équipement nécessaire pendant les périodes plus froides comme en hiver.

Le réseau (qui sera géré par la société Dalkia) devrait entrer en service d'ici l'été 2019 et va demander 50 millions d'investissements. Toulouse Métropole souhaite également agrandir le réseau de géothermie de Blagnac de 4km jusqu'à l'aéroport en y ajoutant une centrale biomasse. Une étude doit être remise à la collectivité début 2019 pour savoir où il est encore possible d'étendre les réseaux de chaleur. Pour autant, pour Pierre Trautmann, les limites sont bientôt atteintes, il apparaît impossible de reproduire cette technologie jusque dans l'hypercentre toulousain.

Quid de la rénovation de l'habitat ?

Pour Antoine Maurice, président du groupe d'opposition écologiste Toulouse Vert Demain, "ces projets sont un point positif car c'était un axe très peu engagé jusqu'ici. Pour autant, il ne suffit pas d'agir sur des projets très visibles en terme d'image, il faut engager une véritable sobriété énergétique. Rappelons que les émissions de gaz à effet de serre proviennent à 54% des transports et à 30% du résidentiel. Peu est fait pour la rénovation des logements des particuliers et la plupart des habitants n'ont pas connaissance des aides dont ils pourraient bénéficier".

L'adjoint au maire chargé de coordonner la politique de développement durable François Chollet convient que si la collectivité peut imposer des normes de rénovation dans le parc public notamment auprès des bailleurs sociaux, "il est plus difficile d'en faire de même pour les particuliers". L'élu fait remarquer tout de même qu'une prime métropolitaine "vert bois" prend en charge 15% des investissements nécessaires pour installer des inserts dans des cheminées anciennes qui n'ont pas de porte vitrée, laissant entrer le froid l'hiver.

Pour le chercheur de Météo France Valery Masson, la rénovation de l'habitat est un enjeu crucial aussi bien dans la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi pour contenir les îlots de chaleur. "Si on n'en tient pas compte dès maintenant, cela sera difficile de revenir en arrière. Il faut comprendre que les bâtiments construits aujourd'hui seront toujours là en 2100", relève-t-il. L'étude qu'il a coordonné dans le cadre du projet Acclimat souligne l'impact, été comme hiver, de l'absence de rénovation des logements anciens. "Les déperditions de chaleur des bâtiments participent à l'augmentation des consommations en hiver. L'îlot de chaleur urbain est également aggravé par ces déperditions de chaleur...", relève le rapport.

À l'inverse, "l'isolation des murs empêche le stockage de la chaleur dans les matériaux". Du côté de l'aménagement de la ville, les effets sont plus complexes. Parmi tous les scénarios réalisés par l'étude, celui qui générait un îlot de chaleur urbain le plus faible prévoyait d'étaler les populations vers des villes moyennes voisines comme Albi ou Montauban.

"Mais ce scénario émettait beaucoup de gaz à effet de serre à cause des transports. C'est pour cela qu'il faut concentrer les populations. Même si en faisant cela, cela veut dire plus d'habitants dans le centre-ville où les températures sont plus chaudes. Lors de la canicule de 2003, la grande majorité des décès ont d'ailleurs eu lieu en ville".

Plus de vert en ville ?

En revanche, pour atténuer les deux phénomènes, une des solutions les plus efficaces requiert de recréer des espaces verts en ville. "Il faut reproduire ce qui se fait à la campagne", note Valery Masson. Plusieurs stratégies sont possibles. Par exemple, créer un grand parc urbain pour que les habitants puissent s'y ressourcer pendant les canicules.

"Cependant, il ne faut pas tout miser sur un grand parc au milieu de la Garonne. Il faut garder à l'esprit que ce parc n'aura un effet rafraîchissant sur une portée seulement de quelques centaines de mètres, il en est de même pour un cours d'eau. C'est pour cela qu'une autre stratégie peut être de réaliser des petits parcs pour créer d'autres îlots de fraîcheur", décrypte le scientifique.

Par ailleurs, Météo France travaille avec la Métropole sur l'installation de 60 stations pour mesurer plus précisément les îlots de chaleur à l'échelle des quartiers de Toulouse. Le président de la Métropole Jean-Luc Moudenc revendique la plantation de 11 500 arbres depuis le début de son mandat en 2014. La Ville a également annoncé vouloir "créer un poumon vert" sur l'île du Ramier, notamment en remplaçant les halls du Parc des expositions actuel par un jardin botanique. Mais pour Antoine Maurice, cela reste largement insuffisant. "L'artificialisation du foncier se poursuit, nous avons gagné zéro surface agricole. Il faut regagner la nature en ville".

Pollution chronique

L'autre défi que devra relever la Ville rose est de lutter contre la pollution. Selon l'étude européenne menée dans le cadre du projet Aphekom, si l'on réduisait le taux de particules fines de 5 microgrammes par m3, les Toulousains pourraient gagner 4 mois d'espérance de vie et éviter chaque année 124 décès. Les services de l'État et les élus toulousains ont annoncé en novembre 2017 la mise en place d'une circulation différenciée lors des pics de pollution via la vignette Crit'air. Mais la mesure n'a pas encore été appliquée, la procédure n'étant déclenchée qu'au troisième jour consécutif de dépassement des valeurs règlementaires.

Lire aussi : Pollution : comment Toulouse va appliquer la vignette Crit'air

Pour lutter cette fois contre la pollution chronique (qui augmente les risques d'AVC et d'asthme chez les populations confrontées quotidiennement aux particules), la Métropole s'est engagée envers l'État à mettre en place une zone à faibles émissions dans laquelle les voitures les plus polluantes n'auraient pas le droit de circuler au moins cinq jours sur sept. Le périmètre de l'expérimentation devrait être connu au printemps prochain.

Les services de l'État et les élus toulousains ont annoncé en novembre 2017 la mise en place d'une circulation différenciée lors des pics de pollution, via la vignette Crit'Air. (Crédit : Rémi Benoit)

Pénurie d'eau

Dernière menace pour Toulouse, et pas des moindres, à l'heure du réchauffement climatique, c'est la pénurie d'eau. "Dans le bassin Adour-Garonne, il y a déjà un déficit annuel de 250 millions de m3 en eau. D'ici 2050, ce déficit pourrait atteindre 1,2 milliard de m3 si rien n'est fait", indiquait Pascal Mailhos, alors encore préfet de la région Occitanie mi-octobre à l'occasion d'une conférence intitulée "La Garonne est-elle menacée ?". En cause, l'activité humaine, la hausse des températures mais aussi un besoin accru en eau face à l'afflux démographique attendu dans les années à venir dans une région toujours plus attractive.

Pour y remédier, la Métropole va investir 12 millions d'euros par an, entre 2020 et 2030, afin de réduire le taux de fuite du réseau de distribution en eau sur la Métropole, actuellement de 10%. Une initiative qui va dans le bon sens au niveau local, mais qui est bien insuffisante pour économiser de la ressource en eau suffisamment à grande échelle.

"Le problème du bassin Adour-Garonne est qu'il ne dispose pas de sources de retenues. Nous avons des barrages, mais ce sont des barrages hydrauliques pour produire de l'électricité seulement", constate Martin Malvy, président du Comité de bassin Adour-Garonne.

Alors, la préfecture de région a confié il y a quelques mois une mission au Département de la Haute-Garonne sur la construction d'éventuelles retenues en eau sur le territoire. Créer des réserves d'eau ne sera pas l'unique solution. Il est également primordial que les citoyens, les industriels, et les agriculteurs revoient leurs manières de consommer l'eau. D'après Martin Malvy, "l'agriculture consomme 70 % de l'eau et un quart des agriculteurs français se trouve sur le bassin Adour-Garonne". Réduire la place de la voiture, remettre la nature en ville, rénover l'habitat ancien, économiser l'eau, voilà autant de défis que devra relever la Ville rose dans les années à venir.

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