
La France va-t-elle connaître un nouveau « Notre-Dame-des-Landes » ? La manifestation contre le projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse a débouché sur la construction d'une ZAD à Saix (Tarn), comme La Tribune a pu le constater ce samedi. Quelques heures plus tôt, 10.000 manifestants, selon les organisateurs, et 5.000 selon la police, s'étaient élancés dans une marche de plusieurs kilomètres, là où la future infrastructure autoroutière de 53 kilomètres doit être mise en service en 2025. Plusieurs centaines de personnes se sont ainsi retrouvées sur le lieu-dit de la Crémade, en fin d'après-midi, où plusieurs habitations inoccupées sont toujours sur pied.
Leurs occupants ont été expropriés il y a quelques mois afin de laisser place au futur chantier de l'autoroute entre Toulouse et Castres, qui a déjà débuté sur plusieurs points du tracé. Plus précisément, une future route départementale doit être construite en lieu et place des maisons qui occupent actuellement le terrain. Une conséquence directe du projet d'autoroute A69.
Pour éviter toute tentative d'occupation de ces logements, Atosca, la société chargée de la construction de l'A69 et de son exploitation, avait pourtant installé des dizaines de tonnes de fumier afin de décourager les intéressés. « Nous avons retiré une partie du fumier ce matin. Monter une ZAD était clairement notre objectif », ne cache pas l'un des manifestants à la manœuvre sur l'organisation de cette future occupation que les opposants veulent pérenne. En parallèle, l'opinion publique semble basculer en faveur des anti-autoroutes.
Les centaines d'occupants s'organisent depuis quelques heures (Crédits : Pierrick Merlet).
Deux prestataires d'Atosca attaqués
Sur place, certains se sont déjà approprié les lieux et ont installé dans certains bâtiments une partie de leurs effets personnels dans certaines pièces. D'autres manifestants étaient occupés en début de soirée à construire une cabane en dur afin d'accueillir des habitants supplémentaires. Un autre groupe distribuait des repas en fin d'après-midi, après la marche de l'après-midi qui a débouché sur plusieurs débordements.
Un groupe d'éléments violents de la manifestation a effectivement attaqué la cimenterie Carayon, basée à Soual. Les locaux de l'entreprise et la poignée de camions-toupies sur place ont été totalement détruits par les flammes. En signe de leur action, les opposants ont quitté les lieux en laissant sur place une grande affiche signée du slogan « No Macadam ». Cette entreprise locale devait réaliser prochainement quelques prestations pour le compte d'Atosca sur le chantier de la future autoroute. Alors que les secours et les forces de l'ordre étaient occupés à sécuriser les lieux de ce premier incendie, les manifestants s'en sont pris à une autre entreprise, Bardou Promotion, située 500 mètres plus loin. Plusieurs dégradations ont été constatées malgré l'intervention rapide des forces de sécurité.
Plusieurs engins de chantier ont été incendiés dans une cimenterie mobilisée pour le chantier de l'A69 prévue entre Toulouse et Castres (Crédits : Pierrick Merlet).
« Les individus hostiles se sont également introduits par effraction sur le site d'une entreprise de travaux publics. Ils ont pris son vigile à partie, dégradé le bâtiment et arraché ses clôtures, avant d'être repoussés par les forces de l'ordre », souligne la préfecture du Tarn.
Cette société était quant à elle chargée de la destruction des logements et bâtiments qui ont fait l'objet d'une expropriation. « C'est normal, ils payent pour ce qu'ils font », estime un manifestant présent sur le camp, et désormais « zadiste ».
« Avec les grèves de la faim et surtout de la soif, notre chantier est désormais au centre de toutes les attentions. Nous sommes devenus malgré nous le symbole d'une transition écologique que les manifestants veulent rapide et forcée », commente Martial Gerlinger, le directeur général d'Atosca.
La tension est montée ces dernières semaines autour du projet de l'A69 en raison du lancement des travaux visibles, comme l'abattage des arbres et les premiers imposants travaux de terrassement. Aussi, les deux camps s'opposent sur la surface qui va être réellement artificialisée à cause de cette future autoroute qui doit permettre de faire gagner une vingtaine de minutes de trajet entre les deux villes. Si Atosca évoque 100 hectares artificialisés sur une emprise totale de 340, pour les opposants à l'A69 c'est plus de 400 hectares dont il est question d'après leurs calculs. Une guerre des chiffres, des mots et des images, qui ne semble pas prête de s'arrêter.
La mobilisation de samedi contre l'A69 a battu son record du mois d'avril (Crédits : Pierrick Merlet).
Une occupation qui se met en place
Les centaines d'occupants de ce nouveau camp ont tenu une assemblée générale samedi soir pour organiser la vie sur place. « Notre objectif est de rester durablement ici, on ne lâchera pas », annonce un organisateur. Logement, nourriture, eau, électricité, protection, animation... Tous les sujets sont abordés de manière collective ou en petit groupe, dans une ambiance que les organisateurs veulent festive. Malgré tout, il est difficile d'oublier le contexte au regard de l'hélicoptère de la gendarmerie qui ne cesse de survoler la nouvelle ZAD (pour zone à défendre) de France.
Officiellement, la manifestation durera jusqu'à dimanche soir. Quel sera le comportement des forces de l'ordre une fois ce délai dépassé ? (Crédits : Pierrick Merlet).
« Le Préfet demande aux organisateurs de veiller à ce que le reste de la mobilisation se déroule dans le calme. Il les appelle solennellement à respecter leur engagement de libération des lieux après la manifestation », a déclaré la préfecture du Tarn en fin de journée, samedi 21 octobre, qui regrette le non-respect du parcours déclaré par les manifestants et souligne la présence de 2.500 « individus violents ».
Un chiffre qui semble disproportionné au regard des constatations sur le terrain. Par ailleurs, lors d'une conférence de presse, vendredi 20 octobre, le nouveau préfet du Tarn, Michel Vilbois, avait annoncé attendre 300 éléments violents à cette manifestation contre l'A69. De son propre aveu, c'est sur cette estimation qu'a été préparé le dispositif de sécurité de 1.600 membres des forces de l'ordre.
Si la ZAD vient à perdurer, il est fort probable que le dispositif soit revu à la hausse rapidement avec l'objectif de mettre fin à cette occupation dans les plus brefs délais. Pour mémoire, ce département a déjà connu une occupation illégale et prolongée là où devait s'établir le futur barrage de Sivens. Dans les rangs des manifestants, on espère une issue similaire à celle de Notre-Dame-des-Landes. Pendant plusieurs années, des opposants à un projet d'aéroport international dans l'agglomération nantaise avaient occupé la zone du chantier jusqu'à l'abandon du projet par le gouvernement en 2018. Les zadistes de la Crémade espèrent ni plus ni moins qu'un abandon du projet de l'A69 en 2023. « C'est une infrastructure du siècle dernier », peste Thomas Brail, le président du GNSA, qui milite avec ses soutiens pour un réaménagement de la RN 126 existante.
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