Gestion de l’eau à Toulouse : la Métropole submergée par les critiques

Toulouse Métropole a convié, mardi 13 novembre, les citoyens à une réunion publique d’information et de débat sur le choix du mode de gestion de l’eau et de l’assainissement. Alors, régie publique ou délégation de service public ? Les résultats de l'étude comparative entre les deux modes de gestion y ont été dévoilés lors d'une soirée qui a duré plus de trois heures. Celle-ci, pour ne pas dire houleuse, a suscité bon nombre de réactions et de frictions entre les uns et les autres. Immersion au cœur d'un événement animé.
Environ 250 personnes étaient présentes à cette soirée débat sur la future gestion de l'eau au sein de la métropole toulousaine.
Environ 250 personnes étaient présentes à cette soirée débat sur la future gestion de l'eau au sein de la métropole toulousaine. (Crédits : Pierrick Merlet)

Dans un mois, le conseil métropolitain devra mettre fin à un débat majeur. Les élus, réunis en conseil le 13 décembre prochain, devront voter pour désigner le prochain mode de gestion de l'eau et de l'assainissement unique aux 37 communes de Toulouse Métropole dès 2020, une première. Alors, régie publique, ou délégation de service public ? C'est exactement à un mois de ce choix crucial que l'instance a décidé d'organiser une réunion d'information et de débat ouverte au public.

C'est la salle Jean Mermoz, située sur l'Île du Ramier, qui a accueilli l'événement tant attendu. Les participants s'attendaient à une salle comble tant ce sujet divise. Pourtant, seulement, 200 à 250 personnes ont fait le déplacement alors que la salle disposait d'une capacité de 1 300 places assises. Il faut dire que cette réunion publique est une décision de "dernière minute" de la part de Toulouse Métropole et son président, Jean-Luc Moudenc. L'événement participatif a fait l'objet d'une communication très minime voire inexistante...

Néanmoins, des acteurs importants étaient présents à ce rendez-vous. Dans l'assistance, des citoyens bien sûr, mais également, Jean-Luc Moudenc, des membres d'associations de consommateurs telles que le collectif Ô Toulouse, l'instance d'expression citoyenne de Toulouse Métropole le Codev, mais également des élus tels que la vice-présidente de la Région Occitanie Nadia Pellefigue, le président du Conseil économique, social et environnemental d'Occitanie (CESER) Jean-Louis Chauzy, la maire de Colomiers, Karine Traval-Michelet, ou encore le conseiller municipal et président du groupe Toulouse Vert Demain, Antoine Maurice.

Un prix de l'eau qui va diminuer

Peu après 19 heures, la réunion a débuté dans un silence religieux avec l'intervention de Sébastien Guenegou, le dirigeant de la société Naldeo, le cabinet à qui a été confié la mission d'assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) par Toulouse Métropole afin de comparer la gestion en régie publique et en délégation de service public (DSP), avec Veolia et Suez, les deux entreprises privées qui se sont portées candidates. Les résultats de cette étude comparative, dont Jean-Luc Moudenc a pris connaissance vendredi 9 novembre, ont surpris une bonne partie des citoyens présents.

Contre toute attente, le prix en régie publique est bien supérieur à celui d'une DSP avec un acteur privé, fait rare pour être souligné. Avec une régie publique, le prix de l'eau au m3 pour les habitants de la métropole toulousaine reviendrait à 3,46€ TTC dès le 1er janvier 2020 (soit 1,81€ pour l'eau et 1,65€ pour l'assainissement). Tandis que la moyenne des deux offres de Veolia et Suez fait tomber le prix du m3 à seulement... 2,95€ TTC (1,57€ pour l'eau et 1,38€ pour l'assainissement). À titre de comparaison, le prix moyen du m3 de l'eau sur la métropole est actuellement de 3,75€ TTC. Donc quel que soit le futur mode de gestion, la population sortira gagnante de ce processus. Mais cela n'a pas suffi à rendre le débat plus paisible, au contraire...

Un écart de prix qui fait débat 

Très calme lors de la présentation de ces chiffres inattendus, le public a exprimé son mécontentement dès la première prise de parole du maire de Blagnac, Joseph Carles, plutôt en faveur d'une DSP.

"Si nous passons en régie en janvier 2020, qui va répondre au marché si ce n'est Veolia ou Suez ? Pendant une certaine période nous n'aurons pas une régie, cela en portera le nom, mais ceux qui interviendront dans les différents marchés de services, ce seront les opérateurs privés, s'est inquiété l'élu.

Il a ensuite surenchéri sur l'écart de prix de 0,51 centimes d'euros entre les deux moyens de gouvernance.

 "Est-ce que vous me voyez dire à la population, au moment où tout augmente, qu'il y a 17% de moins qui sont possibles, mais que l'on ne va pas les prendre parce qu'on est favorables à la régie ?".

Cette remarque a valu au maire des cris de désaccord et des sifflets du public. "Je pensais participer à une réunion publique où il y a avait des partisans des deux parties. Finalement, c'est un meeting (pro-régie)".

"Je pense que lorsque je vais proposer aux Blagnacais de payer 150 euros en moins par an, ils vont y être sensibles", a conclu l'élu non sans difficulté.

Face à lui, le maire de Brax, François Lépineux, favorable a une régie publique et qui a mis en place une votation citoyenne pour les habitants de sa commune, doute de la légitimité des élus politiques à choisir seuls un projet qui va engager Toulouse Métropole sur un contrat de 1,2 milliard d'euros durant 12 ans soit deux mandats. Il réclame l'implication citoyenne.

"Je m'interroge qu'une DSP ait ces prix-là malgré des handicaps majeurs. Par exemple, une entreprise privée n'a pas les mêmes avantages fiscaux pour investir. Ce que l'on souhaite, c'est une analyse poste par poste pour essayer d'expliquer ces différences tarifaires. À Toulouse, nous avons Veolia en tant que délégataire, cela veut dire que si on les reprend, ils vont revenir et être capables de rendre le même service mais 25% moins cher qu'auparavant. Alors, pourquoi ne pas l'avoir fait avant ?", a-t-il fait remarquer sous un tonnerre d'applaudissements.

Lire aussi : Eau : deux communes de Toulouse Métropole lancent une votation citoyenne

Son homologue Joseph Carles s'est directement adressé à lui d'un ton ferme pour lui rappeler que l'ensemble de ces questions a été soulevé durant l'AMO.

"Tu ne penses pas que ce travail a été fait avec toutes les réunions et les armoires pleines de dossiers que nous avons ? Sinon, nous ne serions pas là ce soir ", a-t-il rétorqué sous des sifflets encore une fois.

Des groupes privés prêts à baisser leur marge

Le calme est revenu durant une courte durée dans la salle avant que Pierre Trautmann, adjoint au maire de Toulouse en charge de l'eau, n'aborde de nouveau le sujet central qu'est le prix et l'avantage économique apporté par Veolia à Toulouse.

"En général, durant la délégation, les Toulousains ont payé un prix inférieur à la moyenne des grandes villes. Le délégataire a pris en charge la dette de 300 millions d'euros et il a payé des redevances de 450 millions d'euros. Aujourd'hui, nous baissons le prix car le délégataire en fin de contrat a payé 35 millions d'euros en travaux afin de rendre les installations en parfait état et enfin, il nous rend le service sans aucune dette ce qui permet de financer des choses et de baisser le tarif", a-t-il commenté.

Nicole Miquel-Belaud, conseillère municipale déléguée, elle aussi favorable à une délégation de service public, a rebondi sur ce même thème avant d'être interrompue par une partie de l'auditoire mécontent.

"Vous êtes en guerre frontale contre deux grands groupes qui ont décidé qu'ils allaient gagner. Ils ont décidé de baisser leur marge pour gagner le contrat...", explique-t-elle avant d'être coupée.

91% ou 100% des habitants gagnants ?

Le sénateur de la Haute-Garonne, Claude Raynal, souligne la baisse de la facture pour la majorité des habitants de la Métropole grâce à la régie publique. Une remarque qui sera applaudie par une partie du public. Pour autant, la différence serait moins importante si c'est une régie publique qui est mise en place.

"Vous auriez 91% de la Métropole qui serait gagnante avec la régie publique. Ils gagneraient jusqu'à 15 euros par mois et par famille en moyenne. Et les 9% restants perdront au maximum 1,50 euros par mois", se défend-t-il.

En effet, actuellement une poignée de communes des 37 de Toulouse Métropole propose un prix inférieur au prix potentiel calculé avec une régie (3,46/m3 TTC), ce qui ferait gonfler la facture pour ces communes. Alors qu'avec les offres proposées par les acteurs privés qui candidatent pour la DSP, 100 % des habitants devraient voir leur facture diminuer grâce au prix bas proposé.

Le débat a alors tourné au règlement de comptes entre hommes politiques lorsque Pierre Trautmann a redemandé la parole afin de lui répondre. Il lui a reproché sa "soudaine appétence" pour la régie sachant que lorsque Claude Raynal était vice-président de Toulouse Métrpole il aurait pu agir en faveur de la régie.  

L'adjoint au maire a ensuite demandé la projection d'un tableau où figure le prix actuel moyen à Toulouse Métropole et les prix d'une future régie à 3,46 euros/m3 et d'une DSP à 2,95 euros/m3, le tout comparé à d'autres grandes villes de France. "La parole au public, donnez nous la parole", peut-on entendre dans l'assemblée citoyenne à ce moment-là. "Je pense que ça vous gêne ce tableau", dit d'un ton moqueur Pierre Trautmann.

Favoriser les citoyens économes en eau

Après plus de deux heures de débat entre les 12 pro-régie et pro-DSP présents sur scène, une partie du public commence à s'impatienter de l'arrivée du débat public et des questions. Certains n'ont pas hésité à redemander la parole à voix haute.

"Il est là le peuple, donnez-lui la parole !", s'insurge un homme qui bondit de sa chaise.

La parole est à ce moment-là accordée à l'assemblée citoyenne et les micros distribués dans la salle. Durant les questions des citoyens le président de Toulouse Métropole et maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, installé au premier rang, semble attentif. Il se tourne vers chacun des citoyens qui parle acquiesçant même par moment face à certaines remarques et questions.

"La tarification progressive dans les deux moyens de gestion a-t-elle été prise en compte dans l'étude ?", demande un citoyen.

"On l'a étudié dans une réunion de la commission de l'eau, on a préféré faire quelque chose de plus intéressant et de réduire pratiquement à zéro les abonnements. Quand dans une commune vous payez 50 euros pour votre abonnement, chez nous c'est 10 euros par an qui est le niveau d'abonnement le plus bas en France", lui a répondu Pierre Trautmann.

 Le maire de Blagnac, Joseph Carles a complété la réponse en apportant un exemple.

"Lorsque vous avez un abonnement à 100 euros si vous consommez 80 litres vous payez 100 euros plus les 80 litres. Plus vous avez un abonnement élevé plus, vous en faites bénéficier celui qui consomme beaucoup. Un abonnement zéro privilégie celui qui consomme peu".

Cette initiative est censée lutter contre le gaspillage de l'eau.

Un débat public trop tardif, qui doit se prolonger ?

"Je vous remercie pour ce débat, mais il est un peu tardif. Cependant, il n'est pas trop tard pour prendre une décision, d'éclairer les citoyens et les amener à se positionner", s'est directement adressé un homme à Jean-Luc Moudenc, l'invitant à consulter les citoyens. Il sera applaudi par une partie du public.

Un avis partagé par Marie-Françoise Vabre, représentante du collectif Eau secours 31.

"Le débat public est là ce soir, mais il arrive trop tard. Nous avons accepté d'être là, mais il nous faudrait au moins six mois devant nous pour faire que ce débat se prolonge et se multiplie dans les 37 communes et tous les quartiers toulousains", regrette-t-elle.

Le conseiller régional Jean-Christophe Sellin, a quand à lui, exprimé son doute quant aux propositions de Suez et Véolia.

"Chacun a compris dans la salle qu'il y a un peu d'enfumage, puisqu'il y a des gens qui ont vu les propositions de contrat et d'autres non. Ensuite, il y a une simulation sur une régie qui n'existe pas, avec des organisations privées qui ont déjà la possibilité de faire des projections par rapport à ce qu'elles ont fait".

Il s'est ensuite directement adressé à Jean-Luc Moudenc en lui demandant de repousser le vote métropolitain final du 13 décembre prochain.

"Vous devez prendre en compte ce qui s'est dit ce soir, les consultations citoyennes, les pétitions, etc. À partir de 2019, puisque vous allez reculer votre décision, comment allez-vous consulter nos concitoyens ?"

Sous de forts applaudissements et encouragements, il a ensuite prouvé son argument en demandant à l'ensemble de la salle qui était pour la régie publique et qui était pour la DSP. La majorité des mains en l'air étaient pour une gestion publique.

Jean-Luc Moudenc prendra sa décision avant la fin de la semaine

Assis dans l'assemblée durant les trois heures de débat, Jean-Luc Moudenc, a conclu la soirée avec un discours. Il a remercié l'ensemble des citoyens et officiels présents, mais il a tenu à préciser qu'il n'y avait pas une manifestation citoyenne suffisante qui pour entraîner un référendum.

"Les textes prévoient que pour déclencher la procédure il faut qu'il y ait 75 000 pétitionnaires, cela représente 20% des électeurs totalisés sur les 37 communes de la Métropole. Aujourd'hui et sauf erreur de ma part, j'ai l'information selon laquelle, sur internet du moins, il y a 8 300 pétitionnaires", a constaté le maire de Toulouse.

Il a déclaré qu'il devrait annoncer son choix de mode de gestion pour la Métropole d'ici "la fin de semaine".

"Quelle que soit cette positon, il y a une certitude, c'est que les habitants sortiront gagnants de ce long et lourd travail", a-t-il conclu.

Lire aussi : Gestion de l'eau à Toulouse : verdict le 13 décembre

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