Il est bientôt 18h30, l'heure à laquelle Charlène Doucet commence son "shift". Cette jeune ingénieure au Cnes à Toulouse est chargée de veiller sur les opérations de l'instrument ChemCam. Perchée sur le rover Curiosity, la caméra ChemCam envoie quotidiennement des tirs laser sur les roches martiennes. "L'analyse de la lumière nous permet d'identifier la composition chimique des roches. Nous avons pu établir une cartographie chimique de Mars tout au long du trajet du rover", explique Olivier Gasnault, chercheur à l'Irap (Institut de recherche en astrophysique et planétologie) et responsable en France de l'instrument.
Arrivé sur la Planète rouge le 6 août 2012, le rover Curiosity ne devait à l'origine y rester que deux années. Mais malgré des roues un peu abîmées aujourd'hui à force de sillonner la surface hostile du cratère Gale, l'astromobile fêtera la semaine prochaine ses 10 ans de présence sur Mars, soit 3546 sols (l'unité de mesure du temps sur la planète). Forte de ce succès, la Nasa a décidé de prolonger la mission Mars Science Laboratory jusqu'en 2025. En France, ce sont plus de 300 personnes qui ont déjà été impliquées dans le programme.
Un travail de nuit pour veiller sur la ChemCam
Depuis le Cnes à Toulouse, ingénieurs et scientifiques veillent sur les moindres faits et gestes de l'engin et de ses instruments. En raison du décalage horaire avec les équipes de la Nasa aux États-Unis, l'essentiel du travail s'effectue de nuit.
"Ce soir, mon 'shift' s'étend jusqu'à 1h du matin, décrit Charlène Doucet. La première partie consiste à recueillir les données collectées par la ChemCham et à vérifier que l'instrument va bien, que les miroirs fonctionnent parfaitement par exemple. Ensuite, nous allons programmer la prochaine séquence à réaliser par l'instrument."
À l'aide de lignes de code, les ingénieurs envoient les instructions que devra suivre la ChemCam dans les prochaines 24h. Sur son écran d'ordinateur, Charlène Doucet visualise un panorama sur la surface martienne que va emprunter le rover. Des petits points apparaissent sur l'image, ce sont les roches ciblées lors des prochains tirs laser que souhaitent réaliser les scientifiques. "En jaune s'affiche sur l'image, le passage estimé du Soleil. Nous ne pouvons pas faire de tirs laser dans ce cas. Il faut donc vérifier en amont que les cibles visées par les scientifiques ne se situent pas sur un point de passage du Soleil", décrit-elle.
Les ingénieurs du Cnes envoient chaque nuit des instructions à la ChemCam. (Crédits : Florine Galéron)
"Mars fut dans le passé habitable"
Depuis son arrivée sur la surface martienne, la ChemCam a déjà réalisé près d'un million de tirs laser avec à la clé d'importantes découvertes scientifiques.
"Le principal enseignement est que Mars fut dans le passé habitable. Si elle a été habitée, on ne parle pas de présence d'animaux mais d'une forme de vie simple comme des bactéries. Grâce notamment à l'analyse des roches, nous savons qu'il y a eu de l'eau liquide sur la planète", pointe Valérie Mousset, cheffe de projet de la partie française de la mission martienne au Cnes.
Le succès de la ChemCam a aussi fortement inspiré sa petite soeur, la SuperCam qui équipe le rover Perseverance de la mission Mars2020. En plus du laser, cette dernière est dotée d'un micro conçu à Toulouse qui a pu enregistrer les premiers sons de Mars.
Outre ChemCam, la France a piloté les faits et gestes de SAM, un instrument de mesure de la composition chimique de l'atmosphère et d'échantillons de sols et de roches prélevés par le rover Curiosity. "Nous avons pu réaliser la première détection de molécule organique sur Mars. Une source de méthane assez récente (moins de 300 ans) a également été identifiée", indique Arnaud Buch, scientifique de l'instrument Sam. Les éléments recueillis par les deux instruments ont donné lieu à plus de 250 publications scientifiques.
Dans les trois prochaines années, le rover Curiosity qui a déjà parcouru plus de 28 km sur le cratère Gale va poursuivre son exploration de la Planète rouge. "Jusqu'ici le rover a surtout étudié une surface riche en argiles, ce qui est utile pour détecter des traces d'eau et donc de vie passée sur Mars. Désormais, Curiosity va entrer dans une zone de la planète plus aride qui est composée de sulfates. Nous allons pouvoir étudier cette transition climatique sur Mars entre une zone qui a abrité de l'eau à une partie ayant connu un assèchement et pouvoir reconstituer l'histoire géologique de la planète", conclut Olivier Gasnault.
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