La filière aéronautique face au défi de la montée en compétence des nouvelles recrues

Après avoir recruté en masse, la filière aéronautique française doit maintenant faire monter en compétence ses nouvelles recrues sans faire baisser la qualité de la production de ses avions. Un enjeu crucial pour éviter le cauchemar traversé actuellement par son principal rival, Boeing.
Après avoir recruté en masse, la filière aéronautique française doit maintenant faire monter en compétence ses nouvelles recrues.
Après avoir recruté en masse, la filière aéronautique française doit maintenant faire monter en compétence ses nouvelles recrues. (Crédits : Rémi Benoit)

Ils et elles étaient coiffeuses, bouchers ou travaillaient à la chaîne pour le secteur agroalimentaire et ont été propulsés en quelques mois dans l'industrie aéronautique pour participer à l'importante remontée des cadences insufflée par Airbus.

Après un record absolu de commandes d'avions en 2023 et un carnet global de 8.000 appareils, soit onze années de production, l'avionneur européen doit considérablement augmenter ses cadences. Le groupe vise des niveaux de production jamais connus dans l'industrie aéronautique avec sur le programme A320, avec une cible de 75 avions par mois en 2026.

Pour y parvenir, la filière aéronautique, qui a déjà réalisé un objectif dantesque de 25.000 recrutements en 2023, prévoit à nouveau entre 20.000 et 25.000 embauches en France en 2024 d'après le GifasPour sa part, Airbus avait annoncé début 2023 un plan de 13.000 recrutements à travers le monde, dont 7.000 créations nettes d'emplois. Mais au final, le groupe a embauché au-delà de ses prévisions pour atteindre 13.000 créations nettes l'an passé.

« Pour 2024, nous devrions recruter la moitié de ce que nous avons fait l'année dernière d'après des estimations prudentes », a précisé Guillaume Faury, le patron du groupe, mi-février lors de la présentation des résultats annuels.

Lire aussiEn pleine accélération, Airbus reste vigilant face aux tensions sur sa supply chain

La semaine dernière encore, près de 4.000 candidats se sont pressés à Toulouse à l'occasion d'un job-dating organisé par l'avionneur. A la clé des centaines de postes ouverts dans les métiers de production.

« Côté cols bleus, nous recherchons des mécaniciens structures et systèmes, des monteurs cabine, des électriciens et des peintres. Côté cols blancs, nous sommes en quête de compétences sur les métiers de support à la production tels que les contrôleurs qualité ou les préparateurs techniques », décrit Jean-Luc Rouy, DRH d'Airbus Opérations Toulouse.

Une reconversion en quelques mois

Pour étoffer ses effectifs, le groupe doit élargir son vivier traditionnel de candidats et n'hésite plus à faire à appel à des profils n'ayant jamais travaillé dans l'industrie aéronautique. A condition bien sûr de passer avec succès les tests d'habileté présentés par le groupe. Après une formation de six mois environ (dont quatre mois de théorie et deux mois en entreprise) via l'obtention d'un certificat de qualification paritaire de la métallurgie (CQPM), les nouvelles recrues sont prêtes à rejoindre les rangs de l'industriel. 900 personnes ont ainsi été formées l'année dernière au sein d'Airbus Opérations à Toulouse.

« La montée en compétence est un vrai challenge, ajoute Jean-Luc Rouy. A l'issue de leur formation, ces nouvelles recrues vont continuer leur apprentissage en étant accompagnées sur les postes de travail avec le soutien de leur tuteur. Une personne très éloignée de nos métiers mettra forcément un peu plus de temps pour obtenir toutes les qualifications délivrées par nos services qualité. L'enjeu est de nous assurer à la fois de l'acquisition des compétences techniques comme de la culture aéronautique. »

Atteindre les hauts niveaux d'exigence de l'aéronautique

Cette montée en compétence préoccupe aussi de près l'imposante chaîne de fournisseurs de l'avionneur. Premier fabricant mondial d'hélices de forte puissance, Ratier-Figeac (groupe Collins Aerospace) emploie près de 1.500 salariés dans le Lot, soit 15% de plus qu'avant la crise sanitaire, dont une part importante de recrutements en reconversion professionnelle.

« Nous accueillons des anciennes coiffeuses ou des bouchers. Ces personnes n'avaient pas l'habitude de travailler dans l'industrie aéronautique, où les exigences de qualité sont de très haut niveau. Il faut une période d'adaptation pour adopter cette culture. Cela peut générer une légère dégradation de la qualité interne mais nous arrivons à réparer suffisamment tôt, cela nous permet de maintenir une qualité de livraison des pièces au client exceptionnelle. Nous avons atteint zéro ppm pour Airbus, et 17 ppm pour l'ensemble de nos clients, soit 17 défauts par million de pièces livrées », observe Jean-François Chanut, président de Ratier-Figeac.

Lire aussiAéronautique : Ratier-Figeac fait bondir sa fabrication d'hélices, dopée par l'A400M

Pour atteindre ces niveaux d'excellence escomptés par l'aéronautique, Mecachrome, fabricant de pièces aéronautiques pour Airbus et Safran, n'hésite pas à prodiguer des piqûres de rappel en cas de lacunes des nouvelles recrues à l'issue de l'obtention de leur certificat.

« A chaque fois que nous constatons, auprès de nos collaborateurs, des défauts de compétences suite à des problèmes opérationnels, ces personnes peuvent retourner dans notre école de formation interne pour bénéficier de rafraîchissements de connaissances », indique Christian Cornille, président de Mechachrome.

Eviter le syndrome Boeing

Pour autant, malgré les recrutements massifs réalisés au sein du groupe de 4.800 collaborateurs (plus de 600 embauches en CDI, CDD et intérim depuis deux ans et encore 400 attendus en 2024), Mecachrome n'est pas inquiet outre mesure sur le maintien de cette qualité de production.

« Parmi notre vingtaine d'usines, nous avons détecté dans l'une d'elles une problématique au niveau de nos murs qualité, nous avons tout de suite changé notre dispositif de formation pour corriger le tir », se remémore Christian Cornille.

Pour le dirigeant, le succès des reconversions tient parfois « au moins autant dans le savoir-être que le savoir-faire ». Et de citer « la belle surprise » dans une usine de Sablé-sur-Sarthe avec la reconversion de personnes et un fort contingent de personnel féminin issu des usines locales du secteur agroalimentaire.

Au-delà des compétences techniques, ces nouvelles recrues doivent acquérir les standards de sécurité du secteur : « Il faut en permanence rappeler à nos hommes et femmes qu'à chaque fois qu'ils effectuent une opération d'ajustage et qu'ils sont devant une machine-outil, ils détiennent la vie des passagers qui embarqueront demain sur l'avion. Dans nos usines, aucune opération n'est anodine. L'avion est devenu le moyen de transport le plus sûr au monde et on voit bien à travers les problèmes rencontrés par Boeing que ce type de problème peut avoir des conséquences extrêmement graves sur la réputation d'une entreprise  »

« Il ne suffit pas d'apprendre le job »

Alors que le principal rival d'Airbus accumule les déconvenues depuis quelques mois, (le rapport d'enquête préliminaire de l'Agence de sécurité des transports (NTSB) a notamment révélé qu'il manquait les boulons censés bloquer la porte du 737 MAX qui s'est détachée en plein vol en janvier dernier), Guillaume Faury a martelé lors des résultats du groupe que « la quantité d'avions à livrer ne peut pas être réalisée au détriment de la qualité, car le rôle d'Airbus est de délivrer un mode de transport sûr ». Le patron de l'avionneur européen a ajouté qu' «il ne suffit pas d'apprendre le job, il faut aussi enseigner la manière dont nous faisons du business au sein d'Airbus, mais aussi notre culture d'entreprise. »

Raison pour laquelle, il y a un an, Airbus a inauguré à Toulouse son centre de promotion de la sécurité aérienne. Les salariés de l'avionneur européen peuvent y découvrir l'histoire des améliorations techniques et réglementaires instaurées par la filière aéronautique en réponse aux crashs aériens. Cet espace, destiné à faire perdurer la culture de la sécurité aérienne en interne, est en passe d'être décliné à proximité de ses principaux sites de production, notamment à Hambourg en Allemagne et à Mirabel au Canada.

Lire aussiAéronautique : Japan Airlines vole en Airbus pour ses liaisons internationales

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.