Spatial : cet expert toulousain des radiations au coeur de la mission Juice

La sonde européenne Juice doit s'élancer ce 14 avril pour un périple de huit années avant d'atteindre l'orbite de Jupiter et partir à la découverte de ses lunes. Une mission qui a fortement mobilisé le savoir-faire de Trad. Cette PME installée près de Toulouse a développé un logiciel qui permet d'évaluer l'impact des radiations spatiales sur les instruments du satellite.
La sonde européenne Juice va réaliser un voyage de huit années vers les lunes de Jupiter.
La sonde européenne Juice va réaliser un voyage de huit années vers les lunes de Jupiter. (Crédits : Nasa)

La sonde européenne Juice doit s'élancer ce vendredi 14 avril depuis une fusée Ariane 5 pour commencer une longue odyssée de huit années avant d'atteindre l'orbite de Jupiter et partir à la découverte de ses lunes.

Un environnement radiatif très agressif

Au-delà de l'autonomie en carburant et des températures extrêmes traversées au cours du périple (de 250°C lors du survol de Vénus à -230°C autour de Jupiter), le principal défi technique de la mission consiste à protéger le vaisseau spatial des gigantesques radiations attendues au cours du voyage, dix fois plus importantes qu'en quinze ans de mission en orbite géostationnaire.

« L'une des particularités de cette mission est que la sonde va devoir survivre à un environnement radiatif très agressif. Autour de Jupiter, la sonde va être bombardée en permanence par des particules à très haute énergie et très haute vitesse qui vont venir frapper les surfaces externes du satellite, impacter les équipements internes et progressivement les endommager », décrivait en janvier dernier Cyril Cavel, chef de projet Juice chez Airbus Defence and Space à quelques jours de la livraison de la sonde.

Pour limiter ce phénomène, Airbus a développé pour la première fois un système de coffres-forts (le premier est placé sous l'antenne, et le second à l'arrière de la sonde) blindés au plomb pour protéger les équipements les plus sensibles et en particulier l'électronique de ces radiations.

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Un logiciel au coeur de la mission

Ce qui explique que pour cette mission, l'agence spatiale européenne et Airbus se sont fortement appuyés sur l'expertise de Trad. Cette PME installée à Labège près de Toulouse a développé Fastrad, un logiciel qui permet d'évaluer l'impact des radiations spatiales sur les instruments du satellite. « Notre logiciel a été utilisé pour tous les instruments de Juice et même pour le design du coffre-fort. Fastrad aide à prendre toute une série de décisions : comment protéger l'électronique, quelle épaisseur pour le coffre-fort... », décrit Athina Varotsou, responsable du service ingénierie radiations de Trad. La PME a aussi développé un autre logiciel pour définir sur l'orbite d'un satellite, les contraintes en termes de flux de particules. Pour la mission Juice, l'ESA a été contrainte de fixer le circuit de la mission entre les différentes lunes de Jupiter en fonction de la dose de radiation reçue à chaque étape. Raison pour laquelle le vaisseau spatial ne va survoler que deux fois la lune Europe, dont le champ magnétique est très important.

Pour cette mission et notamment le spectromètre imageur Majis, Trad a développé une nouvelle fonctionnalité dans son logiciel qui permet de visualiser le processus physique de radiation. « Nous rendons visible l'invisible en montrant la propagation des champs de particules sur le satellite », résume Christian Chatry, fondateur de la société. La fonctionnalité est désormais intégrée dans la version commerciale de Trad. Le logiciel est utilisé par les principales agences spatiales dans le monde (CNES, ESA, NASA, CASC) et les grands industriels (Airbus, Thales Alenia Space, Lockheed Martin ) grâce à un savoir-faire précieux.  « Nous avons voulu faire un outil d'ingénieurs et pas un outil de chercheurs. Le logiciel est facile à utiliser. En une journée, un ingénieur bien formé peut l'utiliser. Il est modulable et peut servir pour tester une carte électronique comme un satellite entier », explique Christian Chatry, dont la société réalise 50% de son chiffre d'affaires à l'étranger.

Trad met un pied aux USA

Une technologie qui a tapé dans l'oeil de l'Américain Heico Corporation qui a annoncé en octobre dernier le rachat de Trad via sa filiale française 3D PLUS grand fabricant de composant pour le spatial.

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« Ce rachat nous permet plusieurs choses. La première, c'est de nous ouvrir un peu facilement le marché aux Etats-Unis. Les Américains sont parfois réticents à utiliser des logiciels étrangers pour des usages stratégiques. Cela va permettre un partenariat plus étroit avec 3D Plus qui est un fabricant de composants mondialement reconnu. Et puis moi, cela me permet aussi de voir l'avenir de façon plus sereine sachant que je suis à quelques années de la retraite », avance Christian Chatry.

Une entité a été créée au sein de Heico en Floride et la PME réfléchit à la forme que prendra sa présence aux USA. Avec l'essor du NewSpace, Trad pourrait trouver de nouveaux débouchés pour ses logiciels. « Tout ce que nous avons mis en place depuis 25 ans répond aux enjeux du NewSpace aujourd'hui. Les startups ont besoin d'accompagnement sur la fiabilité des composants et pour définir que leurs équipements fonctionneront jusqu'à la durée de vie prévue malgré les radiations », poursuit le dirigeant.

Avec le NewSpace, les fabricants de satellites cherchent de plus en plus à utiliser des composants du commerce (utilisés par exemple dans l'automobile) plutôt que des composants spécialement fabriqués pour le spatial afin de faire chuter les coûts de production. Dans cette optique, Trad, qui dispose dans ses locaux d'une salle capable de recréer l'environnement spatial, a décidé d'acheter lui-même des composants du commerce, de tester leur résistance aux radiations et de les stocker pour les revendre aux sociétés intéressées.

Réfléchir à la radioprotection sur la Lune

La société, qui réalise 80% de son chiffre d'affaires dans le spatial, essaie aussi de se diversifier vers d'autres secteurs comme le nucléaire grâce à ses compétences en radioprotection. Ses logiciels peuvent estimer par exemple l'épaisseur nécessaire d'un mur dans une installation nucléaire pour éviter les radiations sur les salariés. Trad travaille déjà avec le CEA (commissariat de l'énergie atomique) et Areva.

Avec sa double compétence en matière de radiations spatiales et de radioprotection, Trad réfléchit déjà à l'impact des futures missions lunaires comme Artemis. « Nous sommes en train de faire évoluer nos logiciels pour adresser la protection de l'humain dans l'espace », fait remarquer Athina Varotsou. Un doctorant travaille même sur l'utilisation de la régolithe, une roche présente sur la Lune pour confectionner un abri pour protéger les futurs astronautes des radiations.

Trad, qui emploie 75 salaires pour un chiffre d'affaires de 8,2 millions d'euros en 2022, cherche toujours à recruter des ingénieurs et doctorants pour ses futurs projets.

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Commentaire 1
à écrit le 14/04/2023 à 12:35
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"Trad travaille déjà avec le CEA (commissariat de l'énergie atomique) et Areva." voire Commissariat de l'énergie atomique et aux énergies alternatives (depuis Mr Fillon 1er ministre).

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