Spatial : la bataille des talents fait rage à Toulouse face à l'essor du NewSpace

ENQUÊTE. En quelques années, l'écosystème spatial toulousain s'est profondément transformé. Avec l'arrivée de startups du NewSpace et l'essor des nouveaux programmes de constellations chez les acteurs établis, les besoins de recrutement du secteur explosent. Les dirigeants se livrent à une bataille des talents pour de nouveaux métiers ou des compétences spécifiques très recherchées à tel point que la filière réfléchit à ajuster les formations à cette nouvelle donne.
Les besoins de recrutement explosent dans le secteur spatial à Toulouse.
Les besoins de recrutement explosent dans le secteur spatial à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

Depuis quelques jours, Loft Orbital s'est installé dans 1.000 m2 de nouveaux locaux en plein centre-ville de Toulouse. Trois ans après son arrivée dans la Ville rose, la startup, fondée à San Francisco et spécialisée dans le déploiement de ses satellites de services partagés, y emploie désormais une cinquantaine de collaborateurs. Une montée en puissance qui va se poursuivre en 2023 : « Nous allons recruter une trentaine de personnes cette année avec des ingénieurs spécialisés dans le spatial mais aussi des profils sur le software et des fonctions support (RH, ventes) », confirme à La Tribune Emmanuelle Méric, directrice générale de Loft Orbital France.

En quelques années, l'écosystème spatial toulousain s'est profondément transformé avec l'essor de toute une série d'acteurs du NewSpace comme Anywaves ou Exotrail sans compter l'arrivée de startups étrangères comme le Canadien Connektica ou l'Espagnol Pangea Aerospace. Les nouveaux programmes de constellations tractent aussi de forts besoins de recrutement chez les acteurs établis. Airbus vient notamment de recevoir une nouvelle commande de 15 nouvelles plateformes pour la future constellation de services partagés de la startup Loft Orbital. « Nous avons recruté à Toulouse autour de 600 personnes en 2022 et nous allons cette année continuer à embaucher de manière significative », assure Véronique Chantrelle, responsable du recrutement et de la formation pour Airbus Defence and Space France qui emploie 5.000 personnes à Toulouse.

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Ces forts besoins de recrutement sont un challenge clairement identifié par la filière. Dans un rapport publié fin octobre, le collectif des assises du NewSpace a émis une série de préconisations pour aider la nouvelle génération d'entreprises du spatial à percer. Les auteurs du rapport appellent à « augmenter le volume de jeunes ingénieurs formés au spatial » et à la formation d'une « nouvelle génération d'ingénieurs » remarquant le manque d'ingénieurs système pour couvrir les besoins de nouveaux acteurs et que « le NewSpace exige des connaissances spécifiques en industrialisation, une approche multiculturelle et de solides compétences en vente à l'export ».

« Beaucoup de startups se sont créées et les entreprises déjà établies ont également de nouveaux contrats sur les constellations ou la production de satellites mais dans le même temps les écoles n'ont pas augmenté significativement les quotas d'ingénieurs qu'elles mettent sur le marché, ce qui fait que globalement, il existe une pénurie », observe Eric Giraud, directeur général du pôle de compétitivité Aerospace Valley.

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Des talents qui naviguent entre startups et grands groupes

Cette pénurie génère une bataille des talents à Toulouse sur certaines compétences à la fois convoitées par les startups et les acteurs établis.

« Le marché est tendu au point que nous remarquons depuis quelques années un renversement de tendance en faveur des candidats en recherche d'un emploi qui deviennent plus sélectifs que les entreprises. Nous observons chez Airbus Defence and Space des mouvements dans les deux sens. Certains salariés nous rejoignent après une première expérience dans une startup. À l'inverse, des déçus de la grande entreprise peuvent partir dans les startups et revenir ensuite chez nous », note Véronique Chantrelle.

De son côté, Emmanuelle Méric de Loft Orbital fait savoir que la startup « bénéficie d'une belle dynamique de croissance qui attire naturellement les talents, qu'ils soient jeunes ou très expérimentés. » « Nous avons déjà fait venir des personnes issues des grands grands groupes comme Airbus, Thales Alenia Space ou Hemeria et qui ont envie de rejoindre une aventure entrepreneuriale », ajoute la dirigeante qui identifie tout de même quelques tensions de recrutement sur des compétences très pointues à l'image des ingénieurs FPGA. Des profils très spécialisés qui manquent aussi à la startup Anyfields en train de développer un boîtier portatif pour tester la performance des antennes des satellites. La jeune société fait face par exemple à une pénurie de profils d'ingénieurs radiofréquence. « C'est un domaine très complexe et les filières dédiées attirent de moins en moins », remarque Stéphane Gemble, directeur général de la startup qui prévoit quatre recrutements en 2023.

anyfields

Anyfields en train de développer un boîtier portatif pour tester la performance des antennes des satellites. (Crédits : Rémi Benoit)

Airbus Defence and Space est relativement préservé des tensions de recrutement sur les métiers traditionnels du spatial sur lesquels le géant européen est « clairement identifié par les ingénieurs qui souhaitent faire une carrière dans le domaine spatial» . Les tensions de recrutement sont concentrées principalement sur les métiers émergents liées au cloud, au développement logiciel et à l'intelligence artificielle. Autant de compétences où Airbus se retrouve en concurrence non seulement avec l'écosystème spatial mais avec l'ensemble des secteurs de l'économie française. Pour y remédier, le groupe noue des partenariats avec les écoles spécialisées dans le numérique et a soutenu la création d'un master Intelligence artificielle à l'Isae-Supaero. Elle a aussi initié il y a un an un programme baptisé Attract and Retain pour rendre les offres d'emplois plus attractives sur le marché du travail, valoriser ses valeurs (travail en équipe, respect, fiabilité) ou encore faire savoir que 20% des salariés viennent en transports en commun sur le site.

Pour les entreprises du spatial, attirer les talents peut aussi passer par de nouveaux bâtiments. Installée depuis 45 ans près de Toulouse, la PME Comat va construire cette année une usine flambant neuve dédiée au NewSpace. « Il s'agit d'un élément-clé dans notre stratégie de recrutement pour attirer des talents, » estime l'entreprise qui veut étoffer son effectif de 30 personnes en trois ans.

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Quête de sens au travail

Mais outre les conditions de travail, les recruteurs doivent désormais se démarquer en répondant à la quête de sens des candidats. « Les dirigeants nous disent qu'ils doivent expliquer à de jeunes postulants le sens de leur future mission du point de vue de l'intérêt pour l'humanité. Les salariés ne sont pas en poste uniquement parce que le poste les intéresse techniquement. Les entreprises doivent se transformer et aller encore au delà de l'offre traditionnelle », relate Eric Giraud.

Un constat partagé par Philippe Boissat, président honoraire de 3i3s, association qui dispose de plus de 330.000 contacts dans le secteur :

« Il faut remotiver la filière avec un message médiatique disruptif. Mettre en exergue, par exemple, qu'une opération à cœur ouvert est toujours basculée par un lien satellitaire ou que sans les satellites, nous ne pourrions pas connaître l'étendue de la déforestation », plaide-t-il alors que chaque Français utilise 47 satellites différents pour ses activités quotidiennes.

La filière a déjà pris le sujet bras-le-corps et s'est lancée dans une réflexion collective pour faire remonter les besoins les plus criants. Dans le cadre de France 2030, le pôle de compétitivité Aerospace Valley pilote la réalisation d'un diagnostic qui sera rendu courant mai sur les compétences et métiers d'avenir nécessaires pour le secteur spatial. Les écoles devront ensuite proposer à l'État des formations spécifiques pour répondre à ces besoins identifiés dans le diagnostic. Elles pourront bénéficier d'un soutien financier au sein de l'enveloppe de 2,5 milliards et demi de financements prévus sur le volet compétences du plan France 2030. Par ailleurs, la Région Occitanie consulte actuellement l'écosystème notamment sur les besoins de recrutement pour établir son futur plan de soutien à la filière spatiale.

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