Plongée au cœur du Commandement de l'Espace à Toulouse

REPORTAGE. Le Commandement de l'Espace vient d'inaugurer ses locaux provisoires au sein du CNES à Toulouse. Une cinquantaine de militaires y œuvrent avant la construction de bâtiments définitifs qui accueilleront environ 300 personnes en 2025. Ces pionniers du spatial militaire se forment chaque jour pour donner à la France de nouveaux outils face à la croissance des débris spatiaux et des manœuvres inamicales qui menacent nos satellites les plus précieux.
Le Colonel Rouchette commande la nouvelle formation de l'armée de l'Air et de l'Espace à Toulouse.
Le Colonel Rouchette commande la nouvelle formation de l'armée de l'Air et de l'Espace à Toulouse. (Crédits : Frédéric Scheiber)

À l'issue de son école d'ingénieurs, il aurait pu suivre les bataillons de jeunes diplômés qui intègrent Airbus ou Thales pour y faire toute leur carrière. Mais après une première expérience professionnelle dans l'aéronautique, Tony a intégré il y a six ans l'armée de l'Air dans les équipes spatiales de la base aérienne de Creil (Oise). En 2020, le capitaine a rejoint les effectifs du Commandement de l'Espace à Toulouse en tant qu'ingénieur mission inséré dans les équipes du CNES.

"Je suis en charge de la programmation de la charge utile du satellite, en l'occurrence il s'agit d'un instrument optique. Mon rôle est de m'assurer que la chronologie de la mission est respectée. Des militaires nous envoient des listes de besoins en imagerie et nous les traduisons en messages de programmation pour le satellite. Cela suppose de prendre en compte les contraintes techniques comme par exemple les opérations de maintenance ou les manœuvres programmées du satellite", décrit le Capitaine Tony.

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53 militaires travaillent désormais au sein du Commandement de l'Espace (CDE) à Toulouse (Crédits : Frédéric Scheiber).

Ils sont désormais 53 militaires à œuvrer au sein du Commandement de l'Espace (CDE) à Toulouse. Créé officiellement en septembre 2019, le CDE a pour vocation de doter la France de nouveaux outils de face aux menaces croissantes rencontrées en orbite. En septembre 2018, la ministre des Armées Florence Parly dévoilait depuis Toulouse une tentative d'espionnage russe ciblant un satellite français, Athena-Fidus, mettant en évidence la vulnérabilité de l'infrastructure spatiale française. Plusieurs pays comme la Chine, l'Inde et plus récemment la Russie ont été jusqu'à tirer sur un satellite pour faire une démonstration de force. Des opérations qui créent de multiples débris spatiaux qui risquent de percuter, ou du moins gêner, les satellites français indispensables pour assurer notamment les réseaux de télécommunications.

Pas question d'en arriver là pour le moment du côté de la France qui privilégie des modes d'action défensifs face à ce type de menace. Un premier aperçu a été donné en mars dernier à l'occasion d'AsterX, le premier exercice européen spatial militaire organisé au sein du Commandement de l'Espace (CDE) en présence du président de la République, Emmanuel Macron. Au programme : des brouillages de signal ou des changements de trajectoire de satellites pour éviter une menace mais aussi des lancements en urgence pour pallier la panne d'un satellite stratégique.

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Recréer une véritable base militaire à Toulouse

Après des débuts à l'été 2020 dans des bureaux mis à disposition par le CNES à Toulouse, le Commandement de l'Espace a inauguré le 7 décembre dernier ses premiers locaux provisoires en présence du Général d'Armée Aérienne Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace.

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Le CDE a inauguré début décembre ses locaux provisoires au sein du CNES (Crédits : Frédéric Scheiber).

"Il s'agit de bâtiments modulaires (Algeco) qui peuvent accueillir jusqu'à 120 personnes en attendant la construction de bâtiments définitifs dont la livraison est prévue en 2025. La ministre des Armées Florence Parly a décidé en juillet dernier de les implanter sur une parcelle au sud du CNES. Un bâtiment sera dédié au Commandement de l'Espace qui accueillera à terme environ 300 personnes et l'autre bâtiment hébergera le centre d'excellence de l'Otan (dont l'arrivée à Toulouse a été annoncée en début d'année, ndlr)", décrit le Colonel Rouchette, commandant de la nouvelle formation de l'armée de l'Air et de l'Espace à Toulouse.

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Parmi la cinquantaine de militaires, 25 sont rattachés à des équipes opérationnelles du Commandement de l'Espace, notamment pour monter en compétences auprès des équipes du CNES. Le restant des effectifs regroupe un échelon de commandement, des bureaux dédiés au soutien de la formation et des bureaux qui travaillent en lien direct avec le CDE à Balard. C'est le cas par exemple de la section Emploi chargée de rédiger la doctrine spatiale ou encore de préparer le prochain exercice AsterX. L'armée de l'Air et de l'Espace a également implanté son laboratoire d'innovation spatiale au sein du B612 dans la Ville rose. En 2025, les équipes de ce laboratoire rejoindront les nouveaux bâtiments du Commandement de l'Espace avec les équipes du centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) de Lyon, la plupart des effectifs du Centre militaire d'observation par satellites (CMOS) de Creil ainsi qu'une partie de l'état-major parisien CDE. À terme, le site toulousain sera doté de gendarmes de l'air pour assurer l'accueil comme sur d'autres bases aériennes.

Un défi de formation et de recrutement

Cette montée en puissance va demander un défi en termes de ressources humaines pour recruter et former les effectifs nécessaires aux ambitions affichées dans la stratégie spatiale de défense de 2019.

"Nous allons sélectionner des officiers ou des sous-officiers qui ont eu une expérience dans un premier métier et qui vont basculer dans le spatial. Nous allons aussi recruter des personnes spécifiquement pour intégrer le monde du spatial. En étant basé à Toulouse, nous avons l'avantage de pouvoir bénéficier d'une belle attractivité", fait remarquer le Colonel Rouchette.

Les équipes du CNES assurent la montée en compétence des militaires. Ces derniers apprennent leur métier sous la supervision d'un ingénieur du Centre spatial avant de gagner au fil des mois en autonomie sur leur mission. Suivant leur niveau de diplôme, les débouchés seront différents. "Les officiers vont réaliser l'équivalent de missions d'ingénieur quand les sous-officiers auront davantage un travail de technicien", complète le haut gradé.

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L'armée va devoir recruter et faire monter en compétences des militaires pour les besoins du CDE (Crédits : Frédéric Scheiber).

C'est le cas par exemple du Sergent-chef Franck.

"Après un bac management et gestion, j'ai tout de suite intégré l'Armée de l'air où je me suis lancé en 2014 dans l'informatique au Centre militaire d'observation par satellite de Creil. Je réceptionnais les demandes des organismes de la défense, pour pouvoir planifier les besoins de prises de vue lors des missions", se souvient-il.

En août dernier, il a rejoint les effectifs toulousains en tant que contrôleur au niveau de la mission CERES. Lancés en novembre dernier, les trois satellites militaires CERES dotent la France d'une capacité de renseignement électromagnétique unique en Europe pour l'écoute des signaux radars et de télécommunication. "Mon poste de contrôleur sur la mission CERES vise à contrôler l'état du satellite, notamment de ses antennes pour que la connexion soit optimale et que l'intégralité du plan programmé par les militaires de Creil soit bien envoyé au satellite pour sa mission", explique le Sergent-chef Franck.

L'arsenal du Commandement de l'Espace va être amené à s'étoffer dans les prochaines années. De petites caméras sont déployées sur les satellites de télécommunication Syracuse 4 pour détecter plus avant l'arrivée d'une menace dans l'espace. "Avec le projet Yoda, nous voulons déployer des nanosatellites chargés de patrouiller dans l'espace immédiat autour de nos grands satellites les plus précieux, comme par exemple nos satellites de télécommunication en orbite géostationnaire", indiquait en juin dernier Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées lors sa participation au Space Forum organisé par La Tribune. Le premier démonstrateur Yoda devrait être lancé en orbite en 2023 avec une entrée en pleine capacité d'ici 2030. En attendant, un nouvel exercice AsterX devrait être organisé d'ici le mois de mars à Toulouse.

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"Les membres du Commandement de l'Espace sont des pionniers du spatial militaire. Ils pourront dire dans quelques années qu'ils ont contribué à cette montée en puissance. C'est une belle aventure à vivre", conclut le Colonel Rouchette.

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