À Toulouse, Continental Automotive cherche des alternatives face à la pénurie de semi-conducteurs

L'Allemand Continental dispose à Toulouse de son unique usine française à fabriquer des équipements électroniques pour l'automobile. Depuis un an, elle est en première ligne face à la pénurie mondiale de semi-conducteurs, l'obligeant à une réorganisation permanente de la production en fonction de l'arrivée des composants. Alors que les difficultés d'approvisionnement sont parties pour durer, Continental Automotive développe de nouveaux outils pour prédire au mieux ses besoins à long-terme de semi-conducteurs.
Continental Automotive compte environ 1450 salariés sur son site de Toulouse.
Continental Automotive compte environ 1450 salariés sur son site de Toulouse. (Crédits : Continental)

Depuis plus d'un an, l'usine toulousaine de Continental vit dans l'œil du cyclone face à la pénurie mondiale de semi-conducteurs. Ce site de 1450 salariés héberge à la fois le siège social de Continental Automotive France, filiale de la holding allemande, et l'unique lieu de production du groupe en France d'équipements électroniques pour l'automobile. On y fabrique des systèmes de pression de pneus, des unités de commande électronique pour contrôler les divers accessoires électroniques dans la carrosserie d'un véhicule ou encore des solutions automobiles intégrées aux smartphones.

Les lignes de production perturbées par la pénurie mondiale

Les semi-conducteurs - qui contrôlent le flux de courant dans l'électronique - sont donc au cœur de la fabrication de nombreux nœuds technologiques essentiels à une voiture. Ils sont conçus à partir de métaux stratégiques, comme le silicium et le germanium, ainsi que d'autres éléments purs.

Alors que des tensions pourraient apparaitre ces prochaines années sur l'approvisionnement des métaux stratégiques nécessaires à ces puces, tirées par l'explosion de la demande liée à la transition écologique de nombreuses industries, la pénurie actuelle n'est pas justifiée par le manque de ressources brutes. C'est bien la capacité de fabrication de ce produit intermédiaire qui est en cause. L'Europe et les États-Unis ont préféré ces dernières décennies se détourner de la conception de ces circuits. Résultat, la production est désormais ultra-concentrée en Asie.

La reprise économique post-Covid, qui a généré un boom de la demande en semi-conducteurs, a mis en lumière les fragilités d'approvisionnement de l'Europe. Difficile pour les unités de production situées à l'autre bout du monde de répondre à la demande en si peu de temps, tant la fabrication de ces puces est complexe et longue. De Renault à Stellantis, jusqu'aux équipementiers automobiles comme l'usine Continental Automotive, de nombreux acteurs ont ainsi vu leurs lignes de production perturbées, voire arrêtée, par manque de ces précieux composants électroniques.

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"Les tensions d'approvisionnement ont démarré dès l'été 2020, se remémore Jean-Philippe Sola, responsable des achats de production de Continental Automotive France. À la sortie du confinement, les consommateurs avaient envie de se faire plaisir et les ventes de véhicules ont redémarré très fortement. La reprise de l'activité était très soutenue et bien supérieure à ce qu'on avait prévu. Nous avons commencé à vraiment ressentir la pénurie de composants à partir du troisième et surtout du quatrième trimestre 2020".

Dès les premières difficultés, Continental met en place des points quotidiens avec une équipe pluridisciplinaire composée des membres du comité exécutif de la société, des cadres des services achats et des ventes. L'activité de production à Toulouse a dû être complètement revue à l'aune des difficultés d'acheminement des composants.

"La production n'a jamais été complètement stoppée mais elle a été désorganisée. Nous avons été et nous sommes toujours dans une situation où nous avons le personnel mais pas les composants. Il a fallu faire preuve de beaucoup de flexibilité pour s'adapter en fonction des livraisons de semi-conducteurs qui nous parvenaient", détaille Jean-Philippe Sola.

Continental Automotive confirme avoir eu recours ces derniers mois au chômage partiel sans pour autant en préciser l'ampleur.

La maison-mère n'a pas éludé les difficultés lors de la publication de ses résultats du troisième trimestre. Le groupe Continental a réduit ses perspectives annuelles de chiffre d'affaires entre 32,5 et 33,5 milliards d'euros, contre un objectif précédent de 33,5 à 34,5 milliards d'euros.

Pas de solution miracle

Pour autant, l'équipementier multiplie les pistes pour parer les pénuries, sans qu'il n'existe de solution miracle.

"Nous essayons de trouver des alternatives. Cela peut être des solutions techniques qui nous sont proposées par le fournisseur avec un composant qui a au moins des fonctionnalités équivalentes à celui qui est en pénurie. Mais ce n'est pas toujours possible. Par exemple, les microcontrôleurs sont des composants complexes qui ne sont pas interchangeables à cause de leur empreinte sur le circuit imprimé. D'un fournisseur à l'autre, cette empreinte change. D'autre part, les microcontrôleurs sont associés à un logiciel très spécifique. Changer de source d'approvisionnement nous demanderait de nouveaux développements logiciels", avance le responsable toulousain.

De la même manière, Continental a rarement eu recours à un redesign de ses équipements pour s'adapter à un nouveau fournisseur. Une telle option demande de se relancer dans un très long processus de qualification.

Ponctuellement, Continental Automotive a fait appel à des brokers, autrement dit des revendeurs de composants.

"Ce n'est pas une solution miracle car il y a très peu de composants disponibles sur le marché compte tenu de la pénurie mondiale et ces distributeurs peuvent proposer des composants à des prix exorbitants, jusqu'à 50 fois le prix habituel. Il y a aussi la problématique de la qualité. Notre service qualité s'assure de la traçabilité du composant pour vérifier qu'il s'agit bien de pièces en provenances de l'un de nos fabricants. Dans le passé, nous avons pu tomber sur des composants de contrefaçon : le boîtier était vide ou nous n'avions pas la fonctionnalité technique attendue", indique Jean-Philippe Sola.

Lisser sa production sur le long-terme

Désormais, Continental se prépare à une crise partie pour durer. "Nous pensions que le dernier trimestre de cette année allait être le moins éprouvant. En réalité, ce n'est pas du tout le cas. Nous continuons à rencontrer de très grandes difficultés d'approvisionnement et à fonctionner en mode dégradé comme depuis le début de l'année", poursuit-il.

Face aux difficultés qui se profilent à long-terme, le groupe allemand a lancé un plan stratégique pour lisser la livraison des composants.

"Nous nous battons depuis des mois pour nous assurer que les fournisseurs mettent en place des capacités supplémentaires pour répondre à nos demandes. Mais pour les fournisseurs, investir dans de nouveaux équipements coûte de plus en plus cher : une ligne de production de semi-conducteurs c'est plusieurs milliards d'euros, une usine entière de semi-conducteurs représente plusieurs dizaines de milliards d'euros. Désormais nous nous engageons sur des volumes d'achat de composants sur le long-terme contre seulement un à deux mois auparavant", remarque le responsable.

Continental finalise actuellement ses achats de composants pour l'année 2022. Chose inhabituelle, les négociations ont début dès le mois d'avril. Mais prendre de tels engagements demande d'avoir une visibilité précise de la production dans ses usines.

Pour y parvenir, la société multiplie les échanges également avec les constructeurs automobiles afin d'avoir une vue plus affinée des cadences de fabrication qui seront demandées à moyen-terme. Elle s'appuie aussi sur des analyses de marché, fournies par certains cabinets comme McKinsey.

Enfin, la filiale est en train de développer en interne des outils prédictifs basés sur l'intelligence artificielle pour anticiper sa production sur les prochains mois et les prochaines années.

Car si aujourd'hui l'automobile ne consomme que 10% du marché global des composants, les besoins de la filière seront amenés à doubler d'ici à 2030 avec l'essor des nouvelles technologies d'aide à la conduite et des voitures électriques.

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Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident

Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique

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