PSD Aero se définit souvent comme un grossiste de l'aéronautique. Cette société gère un stock de 7.000 tonnes de matières premières métalliques qui alimentent toute la filière aéronautique. "Nous sommes actuellement au centre de la tornade avec des hausses de prix énormes et une raréfaction de l'offre", observe Pauline Lambert, directrice générale déléguée de PSD Aero.
Contrairement à la filière automobile, où la pénurie de composants a parfois obligé les constructeurs à stopper la fabrication des voitures, rien de tel, pour l'instant, dans l'aéronautique. "Nous ne sommes pas dans la même situation que l'automobile où il y a des centaines de milliers de voitures qui ne se fabriquent pas parce qu'il n'y a pas de composants. Les livraisons d'avions ne sont pas en danger", souligne Christophe Cador, président du Comité Aéro-PME du Gifas. Pour autant, ajoute-t-il, "des cellules de crise se mettent en place chez les fabricants d'éléments d'avions et les avionneurs pour travailler sur ces sujets, là où il existe de fortes tensions". Plusieurs acteurs de la filière craignent d'être au début d'une crise dont les effets commencent tout juste à devenir visibles.
"Passer d'un extrême à l'autre"
"Sur l'aluminium, l'alliage de nickel, l'inox et le cuivre, les prix ont quasiment doublé", remarque Pauline Lambert. Surtout, pointe-t-elle, "la supply chain doit gérer le passage d'un extrême à l'autre".
"Tout le monde avait trop de stocks et aujourd'hui, nous sommes en train de nous retrouver dans la situation complètement inverse, cela crée des dysfonctionnements".
Lors de l'effondrement des cadences au printemps 2020, les sous-traitants d'Airbus ont commencé à accumuler des stocks de matières premières inutilisées. D'où l'idée de charger la plateforme d'achat Aerotrade (filiale de PSD Aero) d'acquérir ces stocks dormants et de les redistribuer au fur et à mesure des besoins de la supply chain au moment de la reprise d'activité.
Un système qui permet également d'éviter de plomber les bilans financiers des sociétés aéronautiques à cause de stocks de matières. Depuis fin 2020, 45 millions d'euros ont déjà été engagés par le biais d'un PGE Aero dans cette optique. Une nouvelle enveloppe de 50 millions d'euros doit permettre de financer le rachat de matières premières dans l'optique de la remontée des cadences. "Malgré la situation conjoncturelle non avantageuse, avec tous les prix qui augmentent, Aerotrade essaie en groupant tous les achats, de bénéficier d'une force de frappe pour limiter la casse", note Pauline Lambert.
Le pari est de taille tant les remontées de cadences annoncées par Airbus sont spectaculaires. Sur l'A320 NEO, le rythme de production était descendu de 60 à 40 appareils par mois pendant la crise mais l'avionneur européen veut remonter à une cadence de 45 avions mensuels au quatrième trimestre 2021 et compte atteindre 65 appareils par mois d'ici mi-2023. Et des études sont d'ores et déjà en cours pour tendre vers 70 à 75 avions par mois. "La remontée des cadences est deux fois supérieure à la vitesse du précédent ramp-up. C'est très rapide", note Frédéric Lescure, PDG de la société bretonne Socomore et vice-président du comité Aero-PME du Gifas.
Pénurie de magnésium, forte hausse des produits chimiques
Le dirigeant s'alarme tout particulièrement d'une probable pénurie de magnésium :
"Ce dernier entre à 2 à 3% dans les références d'aluminium utilisées par l'aéronautique et l'automobile. Or le magnésium est fabriqué à 95% par les Chinois. Ce matériau demande une très forte consommation d'énergie. Dans le contexte de pénurie énergétique actuelle, les autorités chinoises ont coupé la majorité de la production de magnésium ou du moins opté pour ne pas l'exporter. Nous sommes à quelques semaines d'un problème majeur."
Même chez les plus prévoyants, surgissent des risques de pénurie inopinée. "Nous sommes au début d'une crise. Il y a six mois, il n'existait pas de problème majeur. Autant nous avons su prévoir les approvisionnements de métal, autant nous n'avions pas anticipé certains éléments. Typiquement, des dates de péremption figurent sur les matériaux composites et nous ne pouvons pas stocker certains composites au-delà de six mois à un an", pointait Patrick Derbois, directeur des achats de Ratier-Figeac, fin octobre lors de l'inauguration du centre d'excellence hélices du groupe dans le Lot.
Dernier point de friction inattendu, l'approvisionnement en produits chimiques est beaucoup plus contraint. Ce qui affecte en particulier les sociétés aéronautiques chargées du traitement de surface et de la peinture des avions.
"Dans la chimie, c'est la folie absolue. Beaucoup de matières premières ont doublé, triplé, quadruplé de valeur. Il s'agit de tous les solvants à base de pétrole (dont le prix à lui même doublé), les résines et les polymères", relève Frédéric Lescure au sein de sa société Socomore, positionnée sur le traitement de surface pour l'aéronautique. Des difficultés renforcées par la réglementation européenne Reach qui pousse l'industrie à remplacer les solvants les plus toxiques. Mais comme ce marché est émergent, les sources alternatives de matières premières sont limitées pour les fournisseurs aéronautiques.
La remontée des cadences sera au cœur de l'événement Aeroforum organisé par la Tribune ce jeudi 18 novembre à Toulouse. Retrouvez le programme ici.
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Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique
Entretien avec le professeur Philippe Chalmin
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