La canne à sucre de l'île Maurice, le nouveau filon pour les crèmes anti-âge qui intéresse Pierre Fabre

Après plus de cinq années de recherche, l‘équipe dirigée par le Toulousain Jérôme Jaen dans l’une des principales sucreries de l’île Maurice, a réussi à extraire de la « mélasse », le résidu liquide de la canne à sucre, des antioxydants aux vertus nutritives et cosmétiques prometteuses. Des laboratoires, comme le groupe tarnais Pierre Fabre, s’intéressent déjà à cette innovation. Les détails.
Ce projet dans la cosmétique est une diversification vitale pour l'exportateur de sucre de l'île.
Ce projet dans la cosmétique est une diversification vitale pour l'exportateur de sucre de l'île. (Crédits : Omnicane)

On en trouve partout : dans les fraises, les pépins de raisin, le saumon ou encore les huîtres. Poules aux œufs d'or des solutions anti-âge, les antioxydants sont massivement présents dans la nature, y compris donc dans la canne à sucre. Nous le savions mais il fallait encore trouver comment les extraire et les concentrer.

« Ce que nous avons découvert, c'est qu'il y avait énormément de polyphénols, des composés antioxydants, dans le résidus de jus de canne qui était perdu à cause du process industriel, explique Jérôme Jaen. Nous avons donc développé un procédé pour caractériser le produit, le filtrer, le récupérer, le concentrer et ensuite le valoriser. »

Né et grandi à Toulouse, le Français dirige le département agro-industrie d'Omnicane, l'une des trois plus importantes sucreries de l'île Maurice, ouverte en 2007. Il affirme que les applications envisagées de ces molécules sont nombreuses, notamment en cosmétique : « Les antioxydants servent à lutter contre le stress oxydant, c'est-à-dire toutes les maladies liées au vieillissement de la peau et des cellules, comme Parkinson, Alzheimer ou les maladies cardiovasculaires ».

Ce projet suscite d'ailleurs déjà un intérêt certain chez les distributeurs. Ainsi, les laboratoires Pierre Fabre de Castres sont sur les rangs pour intégrer le produit à leurs propres crèmes ou sérums. « Les discussions en sont encore à un stade très précoce, un premier contact a été initié très récemment », confirmait à La Tribune du bout des lèvres fin avril le groupe pharmaceutique et cosmétique tarnais.

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Deux essais cliniques en cours

Omnicane a misé gros sur le projet. La sucrerie emploie 1.500 personnes et a investi 10 millions d'euros dans une nouvelle ligne de production entièrement dédiée à ces débouchés prometteurs. Les tests de cette usine dans l'usine, flambant neuve, ont été effectués en 2023 et la production industrielle doit démarrer dès cet été.

« Avec 800.000 tonnes de canne à sucre, soit la quantité qu'on travaille chaque année, on peut produire environ 80.000 tonnes de sucre et 100 tonnes d'antioxydants », avance le Toulousain. Depuis des années déjà, Omnicane produit, à petite échelle, des sucres raffinés enrichis en antioxydants. Ils sont vendus sur l'île Maurice et sur quelques marchés à l'exportation mais il manquait ce procédé de filtration, de concentration et d'évaporation des polyphénols qui permet d'extraire les antioxydants des résidus de la canne.

Le principe est d'ailleurs aujourd'hui breveté. « L'opération permet d'obtenir le produit sous la forme d'une poudre marron foncée, sa couleur naturelle, explique Jérôme Jaen. Les tests cellulaires sont très positifs. » Deux essais cliniques sont en cours à l'Institut européen des antioxydants basé à Nancy, une référence en Europe sur le sujet. « On teste sur les différents paramètres de santé, la partie complément alimentaire et aussi l'efficacité sur la peau », résume le Français. Les résultats sont attendus dans les semaines qui viennent.

Le meilleur parti de la canne

Face à la baisse régulière de sa production et de son chiffre d'affaires, l'industrie sucrière doit se réinventer en permanence et se diversifier, c'est une question de survie. « On a développé tout un modèle d'économie circulaire autour de la canne, détaille Jérôme Jaen, on essaie d'en tirer le meilleur parti. On utilise par exemple depuis longtemps la bagasse, le résidu solide de la plante, pour produire de l'énergie en la brûlant, à raison de 1000 m³ par heure pendant la saison. » Cela représente aujourd'hui 20 % de toute l'électricité consommée sur l'île Maurice, avec un rendement de 100 kilowattheures par tonne de canne.

Omnicane réfléchit par ailleurs à remplacer le charbon utilisé en dehors de la saison de la canne à sucre, par du bois produit en partie localement. En plus des antioxydants, différents types d'alcool pour l'industrie pharmaceutique ou celle des spiritueux, comme le rhum, sont également extraits de la mélasse. Le résidu de distillation est lui utilisé comme fertilisant liquide naturel. Quant au CO₂ issu du processus de fermentation, il est entré dans la fabrication des boissons gazeuses.

Après avoir connu leur apogée au XIXe siècle, les exportations de sucre représentent aujourd'hui à peine 2% du PIB mauricien. Même s'il emploie encore de nombreux salariés, le secteur souffre de la concurrence étrangère, surtout chinoise. Les coûts de production ont aussi largement augmenté. Résultat : l'île Maurice produit aujourd'hui environ 250.000 tonnes de sucre chaque année, soit à peine 1% de la production mondiale. Le pays se place, en revanche, au 8e rang pour la production de sucres raffinés et spéciaux. 40.000 hectares sont encore plantés en canne à sucre sur le territoire de l'île de l'Océan indien. Quant au nouveau procédé d'extraction des antioxydants développé par Omnicane, il est saisonnier : la production fonctionne uniquement pendant la période de coupe de la canne à sucre, pendant six mois environ à partir de juillet.

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