"Nous voulons tendre vers des usines zéro émission" (Éric Ducournau, DG du groupe Pierre Fabre)

À l'occasion des 60 ans du groupe Pierre Fabre, son directeur général, Éric Ducournau a accordé un entretien fleuve à La Tribune. Perspectives économiques, plan de transformation, enjeux environnementaux, relocalisations de certaines production en France... Le dirigeant, en poste depuis 2018, déjà dresse sa feuille de route pour les années à venir. Entretien.
Éric Ducournau, le directeur général du groupe Pierre Fabre, compte demander à ses usines de réaliser des économies sur la consommation en eau en revoyant certains process industriels.
Éric Ducournau, le directeur général du groupe Pierre Fabre, compte demander à ses usines de réaliser des économies sur la consommation en eau en revoyant certains process industriels. (Crédits : Rém Benoit)

La Tribune - Le groupe Pierre Fabre fête ses 60 ans aujourd'hui. Quels sentiments vous traversent à cette occasion, vous qui en êtes le directeur général depuis juillet 2018 ? Quel regard portez-vous sur le développement de Pierre Fabre et plus particulièrement sur les 20 dernières années, vous qui êtes dans la société depuis 2000 ?

Éric Ducournau - Il y a un sentiment de fierté et aussi de responsabilité parce que c'est un lourd héritage. Il y a beaucoup de lignes de force dans cette entreprise qui étaient dues à son fondateur et qui perdurent. Pierre Fabre avait compris un certain nombre de choses en avance, comme le circuit court pour ses matières premières par exemple.

Vous parlez de "lourd héritage". Qu'entendez-vous par là ? Il y a une certaine pression à représenter une telle marque ?

C'est surtout un modèle complexe et à la fois original. La complexité de cette entreprise est de faire deux métiers différents, avec d'un côté le médicament et la santé familiale, et de l'autre côté la dermo-cosmétique. Cela n'existe dans aucune autre entreprise. C'est partout l'un ou l'autre. Cela veut dire pour tous ceux qui y travaillent, qu'il faut être capable de jongler entre les deux en permanence. Ici, sur le site de Gaillac (lieu de l'entretien, ndlr) c'est un bon exemple parce que si vous passez d'une salle à l'autre, vous avez des actifs pour le médicament, des actifs pour la cosmétique puis des actifs pour la santé familiale. C'est un beau symbole. Et c'est ça que j'appelle entre guillemets le lourd héritage. C'est quelque chose qui est complexe à maintenir.

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Au départ, Pierre Fabre était uniquement une petite officine qui créait des médicaments. Aujourd'hui, vous êtes plutôt sur la dermo-cosmétique, du moins dans l'esprit du grand public. Est-ce-que cela signifie qu'une des deux activités a pris le dessus sur l'autre ? Actuellement, le chiffre d'affaires est pour 55% apporté par la dermo-cosmétique et le reste le médicament.

Il y a toujours eu la volonté de maintenir les deux activités de manière égale, ce qui est prouvé par le fait que nos investissements en recherche et développement ont toujours été forts dans le domaine du médicament et de la santé familiale, aux alentours d'une centaine de millions d'euros par an. Une somme à laquelle il faut ajouter ceux pour la dermo-cosmétique. Donc il y a toujours eu ce souci de mener les deux activités de front. Simplement, leurs cycles ne sont pas les mêmes. Pour un produit dermo-cosmétique, vous pouvez commercialiser le produit après deux ans de développement, tandis que pour un médicament il faut entre huit et douze ans de développement avant sa mise sur le marché.

L'activité dermo-cosmétique est devenue plus puissante que celle du médicament uniquement en raison de cycles de développement plus rapides ? Ou d'autres raisons peuvent expliquer ce léger déséquilibre entre vos deux activités ?

Tout d'abord, il y a en effet des cycles plus courts. La deuxième raison est que l'internationalisation en dermo-cosmétique est plus facile car l'accès au marché est un peu moins complexe que dans le domaine du médicament. Mais le souci de l'entreprise a toujours été d'équilibrer les deux activités.

Pour ce qui est de l'arbitrage des moyens consacrés à chacune d'elles, nous sommes en pleine transformation depuis 2020. Nous voulons vraiment donner toutes les chances aux différents business. Il a donc fallu prendre un certain nombre d'actions. Dans le domaine du médicament par exemple, la décision majeure a été de concentrer nos efforts parce qu'on s'était dispersé. Pierre Fabre pouvait mener des recherches dans le système nerveux central, le cardiovasculaire, la cancérologie, etc. On ne pouvait plus poursuivre dans cette voie, c'était devenu trop compliqué. Donc nous avons choisi de nous concentrer sur certains types de cancers, présentant des mutations génétiques particulièresdans une approche ciblée de niches thérapeutiques. Nous sommes passés de six axes de recherche à trois (ndlr : oncologie, dermatologie, dermo-cosmétique).

Comment imaginez-vous le développement de Pierre Fabre sur les cinq années à venir ? Quelles seront les opportunités et la croissance sur les deux branches du groupe ?

C'est une entreprise qui est outillée pour faire 200 millions d'euros de croissance par an. Et elle le fait de façon à peu près équilibrée entre ses activités de dermo-cosmétique et de médicament. J'ai beaucoup parlé des difficultés qui sont liées au développement de médicaments, mais le gros avantage avec des indications thérapeutiques nichées, c'est que vous êtes capable de définir précisément le nombre potentiel de patients, notamment grâce aux données des assurances maladies. Nous avons désormais une visibilité qui permet vraiment de se projeter.

Dans l'avenir, nous attendons à la fois une répartition équilibrée entre les deux activités, mais aussi des territoires qui vont émerger de façon plus forte à l'international. Aujourd'hui, nous avons cinq pays qui réalisent plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, qui sont dans l'ordre la France, la Chine, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Nous aurons trois pays qui devraient rejoindre ce Top 5 à plus de 100 millions d'euros et qui seront certainement la Pologne, le Mexique et les États-Unis. Il y a une répartition du chiffre d'affaires dans l'entreprise qui est intéressante car elle est assez bien équilibrée entre l'Europe, l'Asie et les Amériques au sens large. Puis, par rapport à d'autres entreprises ou d'autres secteurs d'activité, nous avons la chance d'être sur des marchés porteursque ce soit l'oncologie ou la dermo-cosmétique. Et notre défi, c'est d'être capable de renouveler le portefeuille, notamment pour le médicament. C'est ça notre défi principal.

Un autre point important de notre plan de transformation est la digitalisation de l'entreprise. Aujourd'hui, nous faisons environ 23% de nos ventes en dermo-cosmétique via le e-commerce et cela va encore progresser.

Cette mutation de l'entreprise s'accompagne également d'une volonté d'avoir une activité la plus vertueuse possible pour l'environnement. Concrètement, comment Pierre Fabre compte agir dans ce domaine ?

Nous nous sommes calés sur les accords de Paris et nous avons regardé ce que cela voulait dire pour une entreprise comme nous. À l'horizon 2025, il faut avoir réduit nos émissions de C02 de 30% (par rapport à 2015) et avoir réduit notre production de déchets industriels de 15%. Il faut aussi réduire notre consommation d'eau de 20 %. Ce sont nos principaux objectifs.

Dans l'ensemble, nous voulons tendre vers des usines zéro émission. C'est atteignable. Il faut avoir les bons partenaires. On ne peut pas faire cela tout seul, c'est impossible. La première complexité est de générer des données qui vous permettent de calculer votre impact carbone. Ainsi, nous avons pu constater que le fret de marchandises, amont et aval, représente 14% de notre empreinte carbone.

Par ailleurs, nous voulons agir à court terme sur les économies d'eau. Nous allons nous concentrer sur les pertes d'eau. Il y a beaucoup mieux à faire avec nos processus industriels, notamment sur le nettoyage des lignes de fabrication. Quand vous commencez à faire des économies là-dessus, vous réduisez très, très vite votre consommation, sans altérer le produit final.

En prenant en compte cette volonté environnementale, l'une des prochaines étapes du groupe Pierre Fabre n'est-elle pas de devenir une entreprise à mission, bien que votre entité appartient déjà à une fondation d'utilité publique ?

Pour nous, ce serait presque un retour en arrière et pas une marche en avant. Avoir comme actionnaire majoritaire une fondation reconnue d'utilité publique, c'est beaucoup plus fort. Chaque année, on distribue des dividendes, parce que l'entreprise se doit de distribuer des dividendes, et son actionnaire majoritaire est cette fondation d'utilité publique à 86%, suivie par les salariés pour 8,6%, et le reste c'est que nous appelons l'autocontrôle. Quand on distribue 100 €, 86 vont à la Fondation Pierre Fabre et celle-ci a une obligation légale de ne pas s'ingérer dans les affaires de l'entreprise. Elle mène des actions humanitaires distinctes pour l'accès des plus défavorisés à la santé. Nous n'avons aucun contrôle sur ce que deviennent ces 86 euros. C'est la Fondation qui décide et c'est uniquement pour des actions humanitaires parce que si ce n'est plus humanitaire, elle perd son agrément délivré par l'Etat français.

Tout à l'heure, vous parliez de circuits courts, mais aussi d'environnement. Et avec la crise sanitaire, il a beaucoup été question de relocalisation industrielle. Comment le groupe Pierre Fabre a abordé ce sujet sur les 24 derniers mois ?

Au début du plan de transformation, Pierre Fabre avait encore trois usines de production situées hors de France. Une en Argentine, une au Vietnam et une au Brésil. Aujourd'hui, nous n'en avons plus qu'une, au Brésil, qui produit la marque Darrow qui n'est pas du tout connue en Europe mais qui est la quatrième marque du marché dermo-cosmétique brésilien. C'est une marque que Pierre Fabre a rachetée en 2005 et qui n'a pas vocation à sortir du Brésil.

Il est difficile de faire mieux puisque 95 % de notre production est déjà faite en France. On a profité de notre plan de transformation pour rapatrier des productions en France, notamment pour deux nouveaux traitements d'oncologie. Avec le soutien du plan France Relance, la production de leurs principeactifsaujourd'hui réalisée en Allemagne, est en train d'être rapatriée à Gaillac.

Relocaliser oui, mais à quel prix ? Est-il réel de dire que produire en France coûte plus cher qu'ailleurs voire trop cher ? Et surtout, est-ce viable ?

À la question est-ce-que c'est viable ? La réponse est oui dans notre secteur d'activité. Mais il faut qu'on puisse rester compétitif. La France est-elle assez compétitive ? La réponse est non. Le deuxième axe de la question est l'environnement. La façon dont la France adresse les sujets climatiques avec des réglementations qui sont effectivement un peu plus dures que dans d'autres pays pousse les industriels à être en avance, à faire mieux et c'est un avantage. Cela permet à nos marques de créer une confiance plus forte avec leurs consommateurs. Et la troisième dimension, c'est comment on parvient à garantir l'approvisionnement de nos produitsC'est la question qui s'est posée pendant les différents confinements. Produire en France, a minima en Europe, c'est un levier pour protéger les stocks et l'approvisionnement en période de pénurie.

À propos d'approvisionnement, comment accueillez-vous l'entrée dans sa phase de réalisation de la future autoroute A69, entre Toulouse et Castres ? Il se dit que le groupe Pierre Fabre a pesé de tout son poids pour qu'elle aboutisse.

Est-ce-que cette autoroute aura vraiment une conséquence positive pour l'activité de Pierre Fabre ? Disons les choses franchement, ça sera plus simple oui. Pierre Fabre est certes le premier employeur du Tarn, mais il ne faut pas oublier que très vite derrière, vous avez des entreprises comme Valeo à Mazamet, SEPPIC à Castres, et bien d'autres. Le Tarn est un département très présent dans l'agroalimentaire, dans les matériaux comme le granit, dans la chimie, etc. Castres-Mazamet est le seul bassin de vie de plus de 120.000 habitants en France qui ne soit pas desservi par une autoroute encore aujourd'hui. Et je crois aussi que c'est important pour un territoire d'avoir une pluralité de moyens de déplacement. Le train entre Toulouse et Castres ou Lavaur, ce n'est pas évident car il est régulièrement annulé. Cette autoroute sera un moyen supplémentaire de déplacement et de connexion.

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