Après le vide, Lourdes en quête d'un miracle économique. Reportage

Destination mondiale pour son aspect religieux, l'activité de Lourdes s'est effondrée ces douze derniers mois avec l'émergence de la pandémie et les restrictions liées. Frappé brutalement, le territoire, qui fait l'objet d'un plan d'accompagnement spécifique de l'État, tente de remobiliser ses forces et ses troupes autour d'un objectif : la renaissance de la destination Lourdes, par tous les moyens. Reportage au coeur de la cité religieuse.
Le Sanctuaire de Lourdes a terminé l'année 2020 avec un déficit d'exploitation important.
Le Sanctuaire de Lourdes a terminé l'année 2020 avec un déficit d'exploitation important. (Crédits : Rémi Benoit)

Malgré un soleil radieux, les rues sont désespérément vides dans la capitale religieuse française. Seul l'artisan confiseur-chocolatier du coin connaît un certain afflux à quelques jours des fêtes de Pâques. Pour le reste, la majorité des commerces en tout genre de Lourdes (Hautes-Pyrénées) ont leurs rideaux de fer tirés vers le bas et cette suite uniforme de gris est parfois chamboulée par une pancarte "À VENDRE". Pourtant, cette fête religieuse associée à la dégustation de chocolats est un rendez-vous incontournable pour la cité, pour laquelle pèlerins du monde entier comme touristes s'y pressent afin d'y passer quelques jours. Mais depuis 12 mois et l'émergence d'une pandémie mondiale liée à la Covid-19, plus rien n'est comme avant.

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Neuf commerces sur dix sont fermés à Lourdes, par manque de fréquentation (Crédits : Rémi Benoit).

"Entre la crainte des gens et les mesures sanitaires, nos hôtels ont dénombré 90% des nuitées annulées en 2020", fait savoir Thierry Lavit, le nouveau maire de Lourdes (sans étiquette). "Après une année 2020 compliquée, avec tout de même 800 groupes accueillis, nous avons 95% des pèlerinages prévus en 2021 qui sont annulés. Mais nous espérons une reprise de l'activité dès le mois de juin voire juillet. La clé réside dans la vaccination de la population mondiale", ajoute Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur du Sanctuaire qui fait la réputation mondiale de Lourdes.

Au final, l'année dernière, ils sont seulement 800.000 visiteurs à s'être rendus dans le poumon de la ville, contre trois à quatre millions habituellement. Une statistique d'autant plus regrettable pour la ville qui a enregistré 2,142 millions de nuitées en 2019 dans ses établissements hôteliers, dont 63% réalisées par une clientèle étrangère.

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Depuis le début de la crise sanitaire, nombreux sont les hôtels à avoir définitivement fermé leurs portes (Crédits : Rémi Benoit).

Les saisonniers, entre espoir et reconversion

Pour en arriver à une telle performance, la commune aux 15.000 habitants dispose d'une capacité de 10.000 chambres proposées dans 200 hôtels, dont 140 sont classés. Sans surprise donc, la ville qui propose la seconde capacité hôtelière de France après Paris voit son économie dépendre à 90% du tourisme, selon une étude du cabinet Coach Omnium d'août dernier. Comme Toulouse avec la dominance de son industrie aéronautique, la dépendance au tourisme (principalement religieux) de Lourdes a fragilisé le pouvoir d'achat de nombreuses familles composées avant tout de saisonniers. D'après l'Insee, le bassin d'emploi local est même celui qui a subi la plus importante hausse de chômage en Occitanie depuis le début de la crise sanitaire, devant l'agglomération toulousaine. Pour apercevoir cette réalité, il suffit de parcourir les quelques centaines de mètres qui séparent le Sanctuaire et l'avenue Alexandre Marqui, à l'entrée de la ville. Dans un local prêté par un particulier, les saisonniers, réunis dans une association pour y former un collectif, y ont trouvé refuge afin d'offrir une aide alimentaire pour leurs consoeurs et confrères dans le besoin.

"Nous avons crée l'association et le comptoir alimentaire en juillet, quand nous nous sommes rendus compte que certains n'avaient déjà même plus de quoi à manger. Grâce au mécénat, aux dons privés et aux subventions des collectivités, nous accompagnons au quotidien plus de 70 familles avec cette initiative", raconte Émilie Auburgan, la présidente de l'association, entourée de certains saisonniers bénévoles.

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Émilie Auburgan (seconde en partant de la gauche) et une poignée de saisonniers ont fondé une association pour venir en aide à leurs homologues dans le besoin (Crédits : Rémi Benoit).

Certains ont préféré sortir du circuit de la saisonnalité lourdaise, qui se concentre sur sept à huit mois environ, de courant février à courant octobre. Pôle Emploi estime que sur les 2.500 saisonniers que comptait la cité religieuse avant la crise, ils ne sont plus que 1.500 aujourd'hui. "Beaucoup sont partis dans l'aide à la personne, dans le BTP, ou se sont même faits embaucher par la plateforme téléphonique Sitel non loin d'ici. D'autres ont carrément préféré quitter le territoire", témoigne la saisonnière à la tête du collectif qui n'entend pas quitter cet univers et mise sur des jours meilleurs. Preuve de cette spécificité locale dans la population active, la nouvelle Maison France Services (nouveau dispositif national qui consiste en un même lieu à réunir au moins neuf services publics, ndlr) de Lourdes - inaugurée le 29 mars par la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault - abritera une "Maison des saisonniers", où de nombreux services et personnels seront dédiés à leurs besoins professionnels comme sociaux.

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Face à l'ampleur de la crise à Lourdes, les ministres se succèdent ces douze derniers mois dans la cité religieuse, comme Jacqueline Gourault le 29 mars dernier (Crédits : Rémi Benoit).

Le numérique, la voie du salut

S'ils sont les premiers témoins et les premières victimes de cet écosystème local, pour autant les saisonniers ne sont pas les seuls travailleurs touchés par cette dépendance au tourisme. La fermeture des commerces et des hôtels a également mis à mal les fabricants de souvenirs religieux, très présents à Lourdes. Sur les hauteurs de la ville, non loin du stade de rugby municipal, l'entreprise Seral est la plus ancienne en la matière. Une fois la porte franchie dans des locaux refaits à neuf après un incendie ravageur en 2012, le calme règne. Les ateliers sont vidés de leurs 17 salariés habituels et les machines de production de médailles, spécialité première de la maison, sont à l'arrêt. Une situation surprenante alors qu'habituellement cette période de l'année est propice à une importante production.

"Nos salariés sont au chômage partiel car la Covid-19 nous a mis une belle claque. Je les appelle régulièrement pour les tenir au courant de l'entreprise et je fais appel à eux en fonction des besoins. Pour le moment, la pandémie a provoqué l'arrêt des commandes. Après 1,4 million d'euros de chiffre d'affaires en 2019, nous sommes tombés à 700.000 euros et encore, nous avons limité la casse grâce à l'export et une importante commande des Japonais à hauteur de 300.000 euros", expose aux milieux de ses ateliers Jean-Aimé Boutelier, le propriétaire des lieux depuis 2016.

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Un des modèles de médaille produit à Lourdes par l'entreprise Seral (Crédits : Rémi Benoit).

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L'entreprise historique produit également des statues à caractère religieux (Crédits : Seral).

Situation à laquelle il faut ajouter les 400.000 euros de marchandises qui dorment à l'étage, dédiés à son activité de négoce. "Habituellement, c'est vide ici", précise au passage le dirigeant, qui mène la visite. Néanmoins, l'optimisme est toujours au rendez-vous et les idées ne manquent pas pour remonter la pente.

"Nos clients sont pour 98% français voire lourdais. Seulement, il y a un milliard de catholiques sur la planète, nous avons donc de quoi faire. Au plus fort de la crise, quand nous ne savions pas ce que nous allions devenir avant l'intervention des aides économiques de l'État qui nous ont sauvé, nous nous sommes interrogés pour savoir si nos compétences pourraient nous permettre de produire d'autres pièces dans d'autres secteurs d'activité. Finalement, nous avons fait le choix de rester sur notre coeur de métier tout en développant l'export notamment via la Pologne, le Japon et les États-Unis. En plus, nous sommes une société labellisée 'entreprise du patrimoine vivant' et le savoir-faire français séduit beaucoup à l'étranger", admet Jean-Aimé Boutelier.

Mêlant sincérité et stratégie marketing, le drapeau bleu-blanc-rouge est sur tous les packagings des produits de Seral. Des emballages de la marque qui sont également disponibles depuis quelques mois sur la plateforme d'e-commerce Amazon, mais uniquement en Europe. "Avant la crise, nous ne faisions que du BtoB, mais nous avons dû nous ouvrir au BtoC et le bilan est plutôt positif. La crise est toujours source d'adaptation", pour le patron de la PME. En plus de développer son propre site internet qui accueillera une boutique et "180 références", Jean-Aimé Boutelier réfléchit à l'idée d'envoyer du stock sur Amazon USA pour intégrer le marché BtoC de cette zone géographique.

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Ce coffret tenu par Jean-Aimé Boutelier offre tous les accessoires nécessaires pour faire un lieu de prière "mobile" (Crédits : Rémi Benoit).

Comme ce fabricant de souvenirs religieux, le Sanctuaire a également pris le tournant numérique, notamment pour diffuser ses prières quotidiennes en partie via une chaîne Youtube, tout en ayant un équipement adéquat. "Nous nous adressons chaque jour en moyenne à cinq millions d'auditeurs, à travers une centaine de radios de 88 pays", se félicite Mathias Terrier, le responsable communication et ressources du Sanctuaire. "La crise a été une formidable caisse de résonance pour le Sanctuaire. Nous avons même reçu pas moins de 500.000 demandes de prière. Cela démontre que Lourdes est toujours un lieu d'espérance et de résilience. Il y a encore du désir autour de ce lieu", complète Mgr Olivier Ribadeau Dumas.

Étaler la saison des pèlerinages, une autre solution

En plus du don, le virage digital pris par le Sanctuaire a permis de développer de nouvelles ressources et de limiter la casse financière pour ce lieu aux 116 bâtiments sur 150 hectares, qui n'emploie pas moins de 330 salariés. "Sur 2020, nous avons un déficit  d'exploitation de quatre millions d'euros contre huit initialement prévus", ajoute le recteur. Un trou qui s'explique par le fait que l'institution a beaucoup moins perçu ce qu'il surnomme "l'euro pèlerin", une sorte de taxe de 10 euros par pèlerin, pour tout pèlerinage de trois jours. La diversification des ressources est donc devenue vitale pour le Sanctuaire.

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Mgr Olivier Ribadeau Dumas, à droite, a dressé un constat de la situation du sanctuaire à Jacqueline Gourault lors de sa visite fin mars à Lourdes, entourée du maire de Lourdes, Thierry Lavit (Crédits : Rémi Benoit).

Désormais, pour accompagner le territoire de Lourdes dans sa quête de résilience, Mgr Olivier Ribadeau Dumas a engagé un travail de fond avec divers acteurs pour étaler la saison des pèlerinages du 11 février au début du mois de décembre. "Ce phénomène de saisonnalité des pèlerinages à Lourdes n'est pas lié à une volonté du Sanctuaire, mais plutôt pour des questions d'ordre climatique", justifie-t-il. Pour passer sur une saison touristique de sept mois à désormais 10, le représentant estime qu'il faut s'adresser aux différentes populations de tous les continents en prenant en compte les climats de chaque zone géographique.

"Cela fait deux-trois années que le Sanctuaire évoque cette idée, mais il ne se passait rien. Désormais, ils sont obligés de le faire donc cela change tout. Pour nous, cela nous permettrait d'avoir des contrats de 35 heures contre 42 heures actuellement, mais plus longs dans la durée, avec certainement des embauches en CDI si l'activité est suffisamment étalée sur toute l'année et que nous jugulons avec nos congés payés", juge Émilie Auburgan du collectif des saisonniers locaux.

L'enjeu de la diversification

Néanmoins, l'épisode de la Covid-19 aura permis une chose : "elle a démontré que notre modèle était devenu obsolète. Le tourisme religieux restera important à Lourdes, mais nous devons développer aussi un modèle de tourisme culturel et de nature", n'hésite pas à dire le maire Thierry Lavit. "Une crise n'est jamais une parenthèse. On ne fera pas après ce qu'on faisait avant. Il faut s'adapter et, même si les pèlerins reviendront, je suis certaine qu'il y aura de nouvelles demandes de la part des touristes", commente Jacqueline Gourault à ses côtés.

Pour amorcer cette mutation profonde, le conseil régional d'Occitanie, l'État et d'autres acteurs locaux ont bâti un plan dénommé "Lourdes, horizon 2030", avec des dizaines de millions d'euros à la clé qui vont irriguer le territoire à travers 47 actions. L'une d'elles consiste à revoir la stratégie de communication du territoire pour placer la ville comme point central pour plusieurs activités. Est ainsi né le slogan "Lourdes, coeur des Pyrénées". Un pari qui consiste à appuyer l'attractivité du territoire, en plus du Sanctuaire, sur sa proximité avec des stations de ski, des villes thermales ou encore les vallées de Gavarnie.

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Lourdes se situe à un positionnement géographique que la nouvelle équipe municipale et ses partenaires veulent exploiter pour relancer l'économie locale (Crédits : Rémi Benoit).

"L'un des enjeux est de faire découvrir la ville autre que sous le prisme religieux. Si les pèlerins deviennent des touristes sur Lourdes et tout le département, l'impact serait conséquent pour nous. Par exemple, le séjour moyen est de trois nuitées à Lourdes. Si nous arrivons à passer cette moyenne à quatre, ce sont +30% de nuitées que recevront les hôtels de la ville", projette Thierry Lavit.

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Thierry Lavit, le nouveau maire de Lourdes, veut développer le tourisme culture et de nature à Lourdes (Crédits : Rémi Benoit).

Enfin, l'édile prévoit un important plan d'investissement pour rénover certains axes stratégiques et mettre en avant son patrimoine historique, comme son château-fort qui surplombe la ville. Une volonté de modernisation de l'espace urbain qui cache une autre ambition de l'élu local : obtenir le label "Destination Pour Tous". "Une destination en situation d'accessibilité globale voit sa fréquentation touristique bondir de 20% en moyenne ! Qui ne souhaiterait pas une telle croissance ?", lâche enthousiaste le maire. Certainement pas Lourdes, "dont sa survie dépend de son adaptabilité" prévient-il.

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Commentaires 6
à écrit le 04/04/2021 à 2:15
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Faut arrêter de se voiler la face : le covid n'a fait qu'accélérer notre décadence économique. Plus on tardera à adapter notre système aux réalités physiques à l'origine de notre effondrement, plus la chute sera douloureuse.

à écrit le 03/04/2021 à 17:51
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Que devient l'exception cultuel, chère au chef des marcheurs ?

à écrit le 03/04/2021 à 10:58
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C'est parce que les croyants ne prient pas assez pour elle. Flagellation !

à écrit le 03/04/2021 à 2:32
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Les voies du saigneur sont impenetrables. (Faute a dessein).

à écrit le 03/04/2021 à 0:05
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Ils ne faut pas ce mettre des œufs «  de Pâques » dans le même panier... le covid nou rappelle que la diversification permet adaptation Et donc la survie du tissu économique .. la mono- activité est d un autre temps ...

à écrit le 02/04/2021 à 19:55
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Pour les miracles, désormais il faut aller chez Astrazeneca, c'est pas non plus garanti.

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