Chez Tonton, Bibent, Florida : à Toulouse, les gérants divisés sur le pass sanitaire

C'est une annonce qui a eu l'effet d'une bombe. Emmanuel Macron a affirmé que le pass sanitaire serait étendu aux bars et restaurants dès le mois d'août. À Toulouse, les gérants de ces établissements sont divisés sur le sujet, tant d'un point de vue éthique que financier ou organisationnel.
Le pass sanitaire sera obligatoire dans les restaurants et les bars au début du mois d'août.
Le pass sanitaire sera obligatoire dans les restaurants et les bars au début du mois d'août. (Crédits : Rémi Benoit)

"Il y a mille raisons de ne pas se faire vacciner. Je ne me vois pas dire aux clients de rester devant la porte de l'établissement alors qu'ils viennent boire un café. Nous sommes en train de culpabiliser les gens, alors que c'est à chacun de prendre ses responsabilités. Surtout qu'on déresponsabilise aussi ceux qui sont vaccinés, et qui croient donc pouvoir tout se permettre. Dans quel monde vit-on ?" s'interroge Sandrine Fernandez, membre de la famille qui gère le Café Albert, situé place du Capitole à Toulouse.

C'est peu dire que les annonces d'Emmanuel Macron divisent les commerçants dans la Ville rose. Le président de la République a affirmé lors de son allocution le 12 juillet vouloir étendre le pass sanitaire aux lieux de loisir et de culture rassemblant plus de 50 personnes dès le 21 juillet. Puis, début août, aux centres commerciaux, transports longue durée (bus, train, avion), hôpitaux, Ehpad, bars et restaurants, sans minimum de clientèle. Il sera d'ailleurs nécessaire aux travailleurs de ces lieux publics. Le non-respect de l'exigence du pass sanitaire entrainera des sanctions pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement.

Au Florida, une jeune salariée découvre les annonces du président de la République alors qu'elle s'affaire à préparer l'établissement pour les clients du midi : "C'est n'importe quoi. Moi, je ne le ferai pas, j'irai vivre en forêt", ironise-t-elle, sans toutefois masquer son mécontentement.

Comme elles, des milliers de Français ont partagé leur colère et leur frustration sur Twitter à la suite des annonces d'Emmanuel Macron. Pour preuve, le hashtag #Dictature s'est glissé dans le top 10 des tendances du réseau social pendant de nombreuses heures ce 13 juillet, en comptabilisant près de 50.000 tweets.

"Dans la restauration, la règle, c'est de sans cesse s'adapter"

Des avis que le gérant du restaurant libanais Byblos, place du Président Thomas Wilson, ne partage pas du tout : "c'est typiquement français ce type de réaction. Je pense que l'on devrait regarder ce qu'il se passe ailleurs dans le monde avant de contester les mesures du gouvernement", indique Rigily Elias. Il ne se cache de soutenir les annonces faites hier soir.

"C'est une bonne chose si l'on veut éviter un nouveau confinement, car beaucoup de gens ont déjà oublié les gestes barrièreS. Si un client est malade, j'estime que nous sommes en droit de le savoir, car je ne souhaite pas qu'il me contamine et qu'il contamine mon personnel. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi certains gérants sont en colère. S'ils ont envie de tomber malade, c'est leur problème, mais ici nous sommes dans un espace public, qui est partagé", exprime le gérant de Byblos.

À quelques pas de là, au numéro 5 de la place du Capitole, le Bibent adopte un discours similaire.

"Nous suivons le protocole sanitaire. Depuis un an et demi, nous sommes habitués aux allocutions, aux nouvelles règles à suivre, donc dès le mois d'août, nous nous mettrons à la sauce pass sanitaire. Dans la restauration, la règle, c'est de sans cesse s'adapter. C'est donc une contrainte que nous assumerons car c'est une manière de protéger nos équipes et la clientèle", indique Marine Gil, chargée de communication.

La porte-parole de l'établissement reconnaît néanmoins que les salariés du restaurant sont fatigués par cette crise sanitaire qui semble interminable : "Je ne dis pas que tous ces changements ne se font pas dans la douleur, mais il faut le faire, nous n'avons pas le choix si nous voulons sortir de cette crise. Il nous faut se plier à ce que demande le gouvernement", dit-elle, tout en partageant le sentiment de certains de voir les libertés individuelles être amputées.

Françoise Pujo, la patronne des bars de la place Saint-Pierre (Chez tonton, La couleur de la culotte et Le Saint des seins) confie à La Tribune soutenir les mesures mises en place par le gouvernement, quoi qu'en disent ses confrères :

"Je ne souhaite pas que l'on vive éternellement enfermés. Autant que tout le monde soit vacciné et qu'on en finisse. Nous aurions du le faire à la réouverture selon moi, et pas un mois après. C'est un peu tard. Alors oui, certes, nous allons perdre de la clientèle pendant un mois, mais au moins en septembre nous serons tranquilles !" fait savoir la patronne emblématique du bar étudiant Chez tonton.

"Personne ne peut se permettre une nouvelle chute de chiffre d'affaires"

Au Bibent, l'équipe s'inquiète davantage des répercussions financières qu'aura le pass sanitaire sur le chiffre d'affaires du mois d'août, voire de ceux d'après, et n'exclut pas de devoir réajuster son organisation actuelle pour atteindre la rentabilité.

"La perte de chiffre d'affaires est évidemment une grosse crainte. De ce point de vue, nous ressentons un peu ces mesures comme une sanction. Personne ne peut se permettre une nouvelle chute de chiffre d'affaires en ce moment. Nous n'avons pas d'autres choix que de subir. Peut-être que nous devrons libérer du personnel pour libérer nos charges aussi. Nous allons en discuter, car nous allons avoir une baisse de fréquentation, c'est sûr", explique Marine Gil, chargée de communication du Bibent.

Un constat partagé par Sandrine Fernandez, du Café Albert, pour qui la désertification de la clientèle non-vaccinée laisse peu de place au doute : "Potentiellement, les non-vaccinés ne vont plus venir. Je n'arrive pas à imaginer que l'on refuse l'accès à l'établissement pour un QR Code. Ce n'est pas envisageable, cela me semble hallucinant. Nous n'avons pas envie de faire la police !", répète-t-elle.

Rigily Elias est plus confiant sur les répercussions que pourrait avoir une telle mesure sur la rentabilité de son établissement :

"Je ne m'inquiète pas d'une baisse du chiffre d'affaires, tout simplement parce que depuis ce matin, des gens qui doutaient encore hier ont pris rendez-vous pour leur première injection. Les gens ont envie de voyager, de manger au restaurant, de sortir en discothèque, donc ils n'auront de toute manière pas trop le choix", fait savoir le gérant du restaurant Byblos.

Des questions en suspens

Reste que des questions sont encore sans réponse au lendemain du discours d'Emmanuel Macron, et sèment donc le trouble au sein de ces établissements.

"Ce sera aux patrons de bars et restaurants de vérifier le pass sanitaire." Ces mots, prononcés le 13 juillet au matin par la ministre du travail Elisabeth Borne, sur LCI, ont suscité quelques inquiétudes au sein des restaurants et des bars toulousains. D'autant que "la police et les forces de l'ordre vérifieront que le responsable de l'établissement fasse bien ses contrôles" a-t-elle ajouté.

Si Rigily Elias n'y voit pas de problème, c'est en revanche plus compliqué à envisager pour les autres gérants que La Tribune a rencontré. "Patron, cela ne veut rien dire. C'est qui le patron ? Le directeur, le responsable, celui qui a les parts ? Cela dépend du statut des sociétés", s'agace-t-on au Café Albert. Le gérant du Florida indique, lui, qu'il aura des difficultés à prendre en charge cette mission, tandis que Françoise Pujot (qui détient au total quatre établissements) compte embaucher des salariés pour assurer ces contrôles, ne pouvant pas se "cloner", pour reprendre ses mots. La problématique est la même pour le restaurant le Bibent.

Pour préserver le chiffre d'affaires des bars et des restaurants pendant la saison estivale et laisser aux dirigeants de ces établissements le temps de se préparer à ces nouvelles restrictions, l'union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) et le Groupement national des indépendants (GNI) ont demandé, ce jour, le report de l'application du pass sanitaire dans ces lieux au mois de septembre, demande refusée par le gouvernement.

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