À Toulouse, les restaurants recherchent désespérément du personnel

Les terrasses sont pleines et pourtant, en cuisine, les équipes ne sont pas toujours au complet à Toulouse. Une première pour beaucoup de professionnels, qui s'expliquerait par de nombreuses reconversions pendant la crise, et par un désintérêt temporaire de la jeune génération pour les métiers de l'hôtellerie-restauration. Reportage dans la Ville rose et décryptage des raisons de cette problématique.
Les restaurateurs toulousains rencontrent des difficultés à recruter des profils expérimentés en cuisine.
Les restaurateurs toulousains rencontrent des difficultés à recruter des profils expérimentés en cuisine. (Crédits : Rémi Benoit)

"C'est surprenant car nous n'avions jamais eu de soucis de recrutement par le passé, surtout avec l'emplacement que nous avons. De moins en moins de personnes passent déposer un CV. C'est pour cela que j'ai diffusé une annonce en ligne, alors que normalement nous ne le faisons pas", explique Leandro Savini, gérant du restaurant Hyppopotamus du centre-ville de Toulouse.

Presque un mois après la réouverture des terrasses de restaurants et au lendemain de celle des salles intérieures avec jauge, les candidats expérimentés manquent toujours à l'appel, selon les restaurateurs toulousains. Pourtant, le travail, lui, ne manque pas. Ainsi, 110.000 offres d'emploi restent à pourvoir en France dans le secteur de la restauration selon le chef de l'Etat, dont une partie dans la Ville rose. Et il suffit de franchir la porte de quelques établissements situés dans l'hypercentre de Toulouse pour s'en rendre compte.

"Nous n'avions jamais eu de soucis de recrutement par le passé"

Au numéro 1 bis du boulevard de Strasbourg, sur la terrasse du restaurant Hyppopotamus, le gérant Leandro Savini fait passer un entretien d'embauche. Depuis des semaines, il est à la recherche de personnel expérimenté pour sa cuisine. En vain.

"Il y a quelques CVs, mais ce sont principalement des personnes sans expérience. Je me demande où sont partis les travailleurs expérimentés ! Je ne suis pas un expert de l'emploi sur Toulouse, mais je constate vraiment un avant et un après Covid. J'avais dix CV par jour avant, désormais si j'en ai dix par semaine, c'est déjà un exploit. J'espère que c'est une situation temporaire", raconte le dirigeant.

Même constat pour le restaurant Orly Food, à quelques pas de là, le long de la place du président Thomas Wilson. L'établissement a perdu les trois quarts de son équipe pendant les mois de fermeture engendrés par la crise de la Covid. Si la plupart ont été remplacés, un poste de serveur avec expérience d'un an minimum reste à pourvoir. Une situation qui étonne le patron, alors que son offre d'emploi indique un salaire de 1.700 euros par mois, en CDI, avec d'autres avantages.

"C'est très compliqué de recruter. Il y a moins de personnel à la recherche, parce qu'il y a eu beaucoup de reconversions, du fait de l'année passée au ralenti. Il est très facile de trouver des petites mains, même des personnes formées avec juste une à deux années d'expérience, c'est devenu rare. Je pense que les personnes en début de carrière ont lâché très facilement en comparaison avec ceux qui sont là depuis très longtemps. Ici nous avons la chance de travailler en continu, mais malgré cela, il reste compliqué de trouver le bon profil", fait savoir Mickaël Ianni, à la tête d'Orly Food.

Dès lors, pourquoi ne pas se rabattre sur de jeunes candidats sans expérience, qui sont prêts à apprendre ? "Les restaurateurs cherchent davantage des candidats qui ont de l'expérience parce que le business est bien reparti et qu'ils manquent de temps pour former le personnel", répond Charles Ozgec, consultant en recrutement dans la restauration (Charlie's Bubble).

Une hausse des exigences du côté des candidats

Mais alors, où sont passés les profils qui attirent habituellement les recruteurs ? Julien Deyrat, avec son cabinet de conseil et recrutement Ambassade Conseil, a quelques pistes. Depuis déjà plusieurs mois, il voit arriver une pénurie de main d'oeuvre dans les métiers de l'hôtellerie-restauration, du fait de nombreuses reconversions professionnelles.

"Nous sommes un cabinet qui propose aussi des formations et des bilans de compétence. Donc même si nous n'avons pas induit les reconversions professionnelles, c'est un phénomène que nous avons constaté. Soit les candidats ont souhaité évoluer en termes de capacité professionnelle, soit ils ont eu des projets de reconversion, dans la commercialisation ou l'horticulture, par exemple. Nous nous étions donc préparés à une perte de salariés potentiels. Et sans surprise, nous manquons désormais de candidats", dépeint Julien Deyrat, gérant d'Ambassade Conseil.

D'après lui, plusieurs raisons expliquent les difficultés de recrutement actuelles. Logiquement, une partie des candidats, les reconvertis, ne recherche plus un poste dans ce secteur d'activité. Aussi, certains disent vouloir profiter de leur été après cette année passée à l'isolement. Et pour cause, les conditions de travail difficiles de la filière (coupures prolongées, rythme, polyvalence des tâches) couplées à une affluence incomparable aux années passées, auraient eu raison de certains candidats, qui n'envisagent pas de reprendre le chemin du travail avant juillet, voire septembre. Mais ce n'est pas tout :

"Il est vrai qu'avec les confinements à répétition, les travailleurs de l'hôtellerie-restauration ont constaté une amélioration des conditions de travail dans d'autres secteurs d'activité, notamment avec le télétravail. Ils ne veulent plus du tout travailler dans les mêmes conditions qu'il y a quelques années. Mais ce n'est pas simplement dû au Covid. Il y a une nouvelle génération qui est arrivée, avec un nouveau système économique. Dès l'été dernier, nous avons senti que les candidats pouvaient être présents si les conditions étaient meilleures", décrit-il.

Ainsi, salaires, logements et avantages divers compteraient plus qu'auparavant pour la jeune génération de travailleurs. Pour attirer les candidats, il faudrait donc que les recruteurs toulousains revoient leurs offres d'emploi.

Des grilles de salaire inférieures à la moyenne nationale

Car selon le dirigeant d'Ambassade Conseil, les grilles de salaire sont, sur Toulouse, "un peu en dessous du marché". Pour justifier ses dires, il explique qu'en Bretagne ou en Corse, à poste équivalent, les candidats peuvent toucher 200 à 400 euros de salaire en plus chaque mois. De quoi irriter quelques professionnels de la restauration toulousaine...

"Je ne fais pas foncièrement une critique du système toulousain. Simplement, dans la ville, les recruteurs ont tendance à croire qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Or, les autres y parviennent, et ils ont du personnel. Je me demande moi-même comment c'est possible que j'arrive à placer des gens partout sauf à Toulouse.

Proposer un logement de démarrage, le temps que les candidats trouvent autre chose, a déjà prouvé son efficacité. Il faut que les recruteurs réfléchissent à ce que veulent les travailleurs, ce qui va attirer des candidats. Les recruteurs ont trop tendance à croire qu'ils sont indispensables, alors qu'on est dans une situation où les candidats ont le choix entre les offres de poste", rappelle Julien Deyrat.

L'expert en recrutement conseille aux chefs d'entreprise de veiller à proposer des offres visuellement attractives et à les diffuser sur un maximum de canaux de communication, car une fiche de poste ne suffit plus à séduire les jeunes générations.

Les candidats d'aujourd'hui seraient aussi dans une demande participative. Une quête de responsabilités et de sens, en somme : "Nous sommes dans l'époque des réseaux sociaux, mais en réalité les jeunes aujourd'hui se sentent assez seul. Leur dire qu'ils vont faire partie d'un groupe, d'un concept, cela les engage davantage", conclut Julien Deyrat. La balle est donc dans le camp des recruteurs...

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Commentaire 1
à écrit le 26/08/2021 à 23:36
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Bien fait. Le jour où vous arrêterez de traiter vos employés comme le bétail qu'ils cuisinent ou servent, ils reviendront vers vous. En attendant, personne ne veut travailler 60h par semaine en horaire coupées pour moins que le smic horaire.

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