"En France, nous sommes dans une situation de cessation de paiements" Olivier Sadran (président de Newrest)

ENTRETIEN. L’ancien actionnaire majoritaire et président du Toulouse Football Club, Olivier Sadran, se consacre aujourd’hui pleinement à son entreprise spécialisée dans la restauration hors foyer, Newrest. Après avoir vu son chiffre d’affaires se réduire de 50% en quelques mois, le dirigeant revient dans les colonnes de La Tribune sur la manière dont son groupe s’est adapté pour en sortir quasiment indemne et comment il compte redresser la barre désormais. Gestion sociale, politique d’investissement et enjeux de demain au programme.
(Crédits : Rémi Benoit)

La Tribune - Il y a un an environ, vous quittiez la présidence du Toulouse Football Club, après la vente d'une part majoritaire du capital du club à RedBird Capital Partners. Une période durant laquelle vous ne cachiez pas votre inquiétude pour votre entreprise, Newrest, spécialiste du catering et de la restauration hors foyer. 12 mois après, comment votre groupe a traversé ce choc qu'est la crise sanitaire, d'autant plus que la reprise de l'activité économique n'est pas encore totale ?

Olivier Sadran - Le choc est le terme le mieux approprié. C'est toujours un choc quand une entreprise en février 2019 a un chiffre d'affaires de 1,8 milliard d'euros, un résultat en Ebitda de très bonne qualité pour le secteur, d'ailleurs largement supérieur à beaucoup d'entreprises de notre secteur. 18 mois après nous sommes plutôt sur un chiffre d'affaires de 900 millions d'euros, avec un résultat Ebitda toujours positif, même s'il est moindre, et une situation de cash qui fait que nous sommes sans dette.

Cette moindre casse est due, selon vous, à un développement prudent de Newrest sur les dernières années ou à l'accompagnement de l'État français à l'égard des acteurs économiques, salué par beaucoup ?

Cette solidité financière que nous constatons aujourd'hui nous le devons à un historique voire à l'ADN de l'entreprise, qui a toujours été de favoriser la croissance organique. Depuis 1996, la société a toujours été prudente et limitative en matière de dettes. À aucun moment nous n'avons suivi les tendances de la finance et du marché, qui nous auraient permis soi-disant de nous endetter à très bas coûts. Nous avons une responsabilité car l'entreprise appartient à 95% à ses salariés et nous avons une responsabilité vis-à-vis des 400 managers qui dirigent l'entreprise.

Maintenant, si nous avons réussi à traverser la crise, nous le devons à beaucoup de choses, mais pas à la France. D'abord, nous le devons à la diversité de nos métiers, au nombre de quatre, à savoir l'aérien, le ferroviaire, le retail et la restauration collective, avec aussi le minier et le pétrolier. Ensuite, nous le devons à notre diversité géographique, Newrest étant présent dans 60 pays. Dans cette période, nous avons tenu grâce au minier et au pétrolier, nous avons tenu dans l'aérien grâce à notre développement aux États-Unis avec la compagnie Delta Air Lines. Là-bas, le trafic ne s'est jamais arrêté. Nous avons aussi tenu grâce à un partenariat avec la SNCF de bonne qualité et que nous avons su ensemble appréhender la crise.

Pour ce qui est de la partie Inflight France (filiale du groupe dans l'Hexagone dédiée au catering aérien, ndlr), nous sommes dans une situation qui est une situation de cessation de paiements. Nous y perdons 12 millions d'euros par an. À date, nous avons perdu 80% de notre chiffre d'affaires et nous avons un niveau d'activité de 15% à 20% à celui qu'il était en 2019. Tout cela avec des usines entièrement ouvertes qui ont donc un coût phénoménal. Bien sûr, l'État français est intervenu via le chômage partiel, le fonds de solidarité, mais là nous attendons le support aux frais fixes que nous ne voyons pas venir alors que nous le demandons depuis le mois de janvier.  Par ailleurs, nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés car nous ne sommes pas du tout dans les volumes d'activité permettant d'accéder à l'APLD (activité partielle longue durée, ndlr), donc que va-t-il se passer à partir du 1er juillet, après le dispositif de chômage partiel ? Malgré le support de l'État français sur l'Inflight France, la situation est catastrophique. Si nous pouvons assumer nos engagements sociaux et envers nos fournisseurs en France, c'est uniquement parce que le groupe, de par sa diversité de métiers et géographique, a du cash et peut ainsi supporter les filiales en difficulté.

Malgré votre situation financière correcte, du moins à l'échelle du groupe, ces 18 mois de crise sanitaire ont-ils eu des conséquences sociales chez Newrest, notamment sur les activités en lien avec le secteur aéronautique qui fait face à une saignée sociale ?

Nous avons réagi très très vite avec un arrêt, dès mars 2020, de tous les contrats temporaires partout dans le monde. Par ailleurs, une bonne partie de nos 400 cadres propriétaires de la société ont réduit leur rémunération, ce qui nous a permis de supporter une partie des rémunérations de nos salariés en Afrique et en Amérique du Sud, où le support social est bien moindre qu'en Europe. Ensuite, nous avons généré un PSE, sur la partie Inflight France de 214 personnes. C'est le seul à ce jour et nous avons beaucoup travaillé sur la flexibilité pour optimiser ce qui pouvait l'être et limiter au maximum les impacts sociaux.

En France et au sein de l'Union européenne, le pass sanitaire est beaucoup mis en avant et est même présenté comme la solution pour relancer le trafic aérien dans ce secteur géographique et par conséquent votre activité sur le continent. Quelle est votre position à ce propos ?

Si nous ne raisonnons que sur la partie catering aérien, notamment sur la partie française, nous ne retrouverons jamais les niveaux de 2019 avant 2026. D'abord, parce que le marché va se structurer différemment avec une diminution des vols longs courriers et une baisse d'activité sur les classes affaires et première. Les low-cost vont se développer et même si ce sont de bons clients pour nous ils ne représentent pas la même intensité d'activité. Par ailleurs, ce n'est pas du tout le même métier et nos grosses unités parisiennes sont plutôt faites pour faire du long-courrier. Au global, je pense que notre groupe retrouvera son niveau de chiffre d'affaires de 1,5 à 1,8 milliard d'euros d'ici deux à trois ans, mais pas grâce à l'aérien, et encore moins grâce à l'aérien français et européen.

C'est dans cette logique de retrouver un chemin de croissance que Newrest continue à investir à l'étranger, malgré la crise ? Il y a eu des annonces d'investissement en Israël ou encore au Maroc récemment...

Nous n'avons pas une politique d'investissement pro-française ou anti-française. Notre politique d'investissement est dictée par l'évolution de nos métiers dans toutes les parties du monde et pour répondre aux besoins de nos clients. Nous avons débuté les bases de vie minières en 2005, en accompagnant Total sur le lancement de ses activités en Afrique. Aujourd'hui, le gros de nos investissements se fait sur le territoire américain parce que nous développons nos relations avec un client important qui s'appelle Delta Air Lines, sur un nouveau modèle de contrat très spécifique entre nos deux entreprises. Donc ce n'est pas impossible que nous mettions quelques millions voire dizaines de millions en 2021 et 2022 aux États-Unis, après avoir investi déjà 35 millions d'euros sur les six derniers mois.

Il y a quelques jours, la SNCF a annoncé officiellement renouveler le contrat avec Newrest pour la restauration à bord de ses TGV. Est-ce un soulagement pour vous en la période actuelle ?

Depuis le début de notre collaboration en 2013, je crois que nous pouvons dire en toute humilité qu'en partenariat avec la SNCF nous avons réussi ensemble à modifier profondément l'image de la restauration ferroviaire. Récemment, il y a eu un appel d'offres, qui a été disputé, sur lequel je crois nous avons fait preuve d'innovation et sur lequel nous avons pris des risques. Pour nous, cela reste un soulagement car sur cinq ans cela représente presqu'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. Désormais, les enjeux de demain sur ce marché sont de préserver la qualité de service, mais aussi de digitaliser l'offre, permettre au consommateur d'avoir une offre plus variée, de limiter les files d'attente au bar ou encore instaurer le click-and-collect. Nous allons installer à bord des TGV InOui des bornes de commande qui permettront de désengorger le bar. Nous voulons aussi mettre en avant les produits locaux et aller vers le zéro plastique. Voilà tous les enjeux de ce futur contrat de cinq ans, avec une option potentielle de deux années.

Vous avez lancé il y a quelques mois une dark kitchen à Rungis, ces fameux restaurants sans salle qui sont nés en réponse à la crise sanitaire et la fermeture des restaurants. C'est quelque chose que Newrest veut développer par la suite ou cela relève davantage de l'anecdote ?

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Ce n'est pas anecdotique car nous regardons tout ce qui se passe dans le monde de la foodtech, peut-être un œil lié au monde ancien. Mais pour nous ce n'est pas nouveau, nous avons une unité de production au Bourget qui dans les faits était déjà une dark kitchen avant qu'on parle de cette tendance. Il y a longtemps que nous sommes là-dedans finalement. Maintenant, nous regardons les sociétés qui ont créé de tels établissements et qui ont besoin de notre support, notamment dans la street food. Nous aurons peut-être des prises de participation dans les semaines à venir dans ce domaine.

Après ces 18 mois compliqués, quel est votre état d'esprit quant à l'avenir de Newrest ?

Notre objectif est de continuer à développer cette magnifique entreprise qui appartient à ses salariés, tout en imaginant ce que seront les dix prochaines années.

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Commentaires 2
à écrit le 29/06/2021 à 12:18
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Financer un club de foot, en gros une danseuse, en vendant de la "malbouffe", des produits hyper transformés issus de l'agroindustrie, tel est le business de ce monsieur. Toujours selon le principe de base du néolibéralisme de faire payer au plus gra...

à écrit le 29/06/2021 à 10:08
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Il est assez plaisant d'entendre les lamentations de ces individus. M. Sadran a dégagé suffisamment de cash, et nul ne lui en fait grief, pour financer le TFC qui n'est pas exactement une source de revenus....C'est son droit. Mais il ne faudrait pas ...

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