"Les sportifs de haut niveau développent des qualités requises pour l'entrepreneuriat"

(Série 2/3) La reconversion professionnelle des sportifs. On ne compte plus les anciens rugbymen toulousains devenus chefs d'entreprise. Chercheuse en management à l'Essca, Orsolya Sadik-Rozsnyai a étudié leur parcours. Pour elle, l'esprit de compétition, la résilience ou encore la capacité à encaisser les critiques sont autant de compétences qui facilitent une reconversion dans l'entrepreneuriat. Même si le cocon dans lequel évoluent les sportifs peut "les rendre vulnérables" une fois leur carrière terminée. Interview.
Chercheuse en management à l'Essca, Orsolya Sadik-Rozsnyai a étudié le parcours d'anciens sportifs de haut niveau.
Chercheuse en management à l'Essca, Orsolya Sadik-Rozsnyai a étudié le parcours d'anciens sportifs de haut niveau. (Crédits : DR//Rémi Benoit)

Vous avez mené sur l'année 2016-2017 des entretiens de sportifs de haut niveau devenus entrepreneurs en France et des chercheurs allemands ont réalisé le même suivi. En quoi une carrière sportive peut-elle les aider à devenir chef d'entreprise ?

Les sportifs de haut niveau développent des qualités requises pour l'entrepreneuriat. À commencer par l'esprit de compétition. Un créateur d'entreprise est confronté sans cesse à la concurrence sur son marché, à des rivaux. Un sportif rêvant de devenir champion du monde va établir un plan d'objectifs intermédiaires pour obtenir ce titre : des victoires régionales, nationales, européennes... De la même manière en entreprise, il va découper ses objectifs : décrocher les premiers clients, améliorer le produit... plutôt que déclarer dès le début vouloir être leader mondial dans son domaine.

Par ailleurs, dès leur plus jeune âge les athlètes reçoivent des retours et des critiques régulières comme par exemple "Tu n'avais pas de jambes pendant le match" ou "Il faut que tu améliores ton coup droit". Au début, c'est très dur pour eux mais ils l'acceptent à la longue. Alors que beaucoup d'entrepreneurs considèrent leur boîte comme leur bébé et acceptent mal la critique, c'est moins le cas chez ces anciens sportifs. Le corollaire de cette qualité est que les athlètes de haut niveau développent une résilience face à l'échec. Un footballeur que j'ai interrogé me disait : sur les 50 à 60 matches de la saison, je ne vais pas tout gagner. L'important est de comprendre pourquoi cela n'a pas marché pour s'améliorer. Les destins à la Mark Zuckerberg (fondateur de Facebook, ndlr) sont minoritaires, la majeure partie des entrepreneurs est confronté à l'échec.

L'entrepreneuriat est une voie intéressante pour les anciens sportifs puisque l'on peut créer son entreprise à 26, 30, 40 ans. Il est plus difficile d'intégrer une grosse boîte quand on y a aucune expérience. Pour ces entreprises, le profil des sportifs est un peu atypique.

Paradoxalement vous remarquez que peu de sportifs ont conscience que ces qualités peuvent les aider à entreprendre...

Oui, les athlètes de haut niveau ont parfaitement conscience de leurs points forts et de leurs points faibles. Ils ont confiance dans leur valeur sportive mais manquent parfois de confiance en eux en dehors du terrain. C'est en partie car leur vie s'est concentrée jusqu'alors sur leurs performances. Les détections de jeunes talents sont réalisées de plus en plus tôt et il est très dur pour eux d'arriver à concilier des études et leur carrière.

Existe-t-il une différence en termes de reconversion professionnelle entre les sportifs qui ont fait ou non des études ?

Ceux qui ont fait des études ont davantage conscience de leurs compétences en dehors d'un terrain de sport. Ils ont également noué un réseau de relations hors de leur club. S'ils ont suivi des études de gestion par exemple, ils maîtrisent "les codes" du milieu de l'entreprise. Alors que les athlètes n'ayant pas de diplômes ont davantage le syndrome de l'imposteur.

Il y a à Toulouse une longue lignée de rugbymen qui se sont lancés dans les affaires. Est-ce parce que pendant longtemps on ne vivait pas du rugby ?

Si on ne peut pas tirer des revenus suffisants du sport, effectivement cela force à trouver d'autres moyens de subvenir à ses besoins. Mais je ne crois pas que cela soit la seule explication. Il y a dans le rugby comme dans le judo, un esprit de corps très fort, une grande solidarité et de l'entraide entre les joueurs. D'anciens rugbymen devenus entrepreneurs peuvent introduire dans leur réseau professionnel un joueur qui vient de finir sa carrière.

En même temps, vous observez que les sportifs sont vulnérables une fois leur carrière terminée...

Les sportifs de haut niveau sont dans un cocon. On s'occupe pour eux de tous les aspects logistiques pour qu'ils puissent se concentrer sur leurs performances. L'un d'eux m'expliquait qu'il n'avait jamais payé de facture EDF. Cela peut les rendre vulnérables s'ils ne sont pas bien entourés. D'autant que le prestige autour de leur nom ne perdure que pendant quelques années, au bout de quelques saisons on les oublie.

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