Autoroute Toulouse-Castres : plongée au coeur « d'une mobilisation historique », avec l'espoir de stopper le projet

REPORTAGE. Dans la petite commune tarnaise de Saix, 4.000 à 8.000 personnes ont battu le pavé, samedi 22 avril, contre le projet d'autoroute entre Toulouse et Castres. Consommation de terres agricoles, « projet du siècle dernier », lobbying du groupe Pierre Fabre, existence d'un projet alternatif, faible gain de temps de trajet... Les opposants, qui s'apprêtent à contester devant la justice l'autorisation environnementale délivrée pour ce chantier, ne manquent pas d'arguments selon eux pour obtenir l'arrêt de ce projet autoroutier. La Tribune, qui a suivi le cortège, a notamment pu constater la présence de nombreux élus locaux, mais aussi celle de Christophe Cassou, célèbre climatologue membre du GIEC.
(Crédits : Rémi Benoit)

« No macadam ! No macadam ! No macadam !  ». À l'arrivée à Saix (Tarn), difficile de passer à côté de ce slogan hostile au goudron. Pendant 48 heures, cette petite commune du Tarn a réuni plusieurs milliers de personnes hostiles au projet d'autoroute A69, entre Toulouse et Castres, sur un champ de plusieurs hectares où de nombreuses installations provisoires ont vu le jour pour l'occasion.

« Pour la future autoroute entre Toulouse et Castres, on parle de déverser 60 kilomètres de bitume sur des terres agricoles et naturelles. C'est perdre à jamais 400 hectares de terres ! », peste au milieu des manifestants Laurence Marandola, la secrétaire nationale de la confédération paysanne, l'une des associations à l'origine du rassemblement du jour.

Pour Atosca, la société de projet derrière laquelle se cache le groupe NGE, retenu par l'État pour mener à bien ce chantier, ce sont seulement 300 hectares de foncier qui vont être impactés par le futur tracé de l'A69. « Les propriétaires qui nous accueillent aujourd'hui sont concernés par les expropriations car l'autoroute va traverser leur terrain et ils y sont opposés. Nous ne laisserons pas passer cette autoroute, jamais », met en garde Aliénore, du mouvement Extinction Rébellion lui aussi associé à la mobilisation du jour.

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Les organisateurs ont tenu une conférence de presse en milieu de matinée, samedi 22 avril, à Saix (Crédits : Rémi Benoit).

Le trajet de Toulouse jusqu'à ce camp de base éphémère créé pour l'occasion est le symbole de la mobilisation en cours contre ce projet d'infrastructure autoroutière. Sur chaque kilomètre, à intervalle régulier, diverses pancartes « Non à l'A69 » sur fond noir décorent les chaussés. Quand ce ne sont pas les pancartes, ce sont les parcelles agricoles abandonnées et des maisons aux entrées murées qui forment le paysage. À Vendine, sur le tracé de la future autoroute A69, là où plusieurs activistes se sont accrochés pendant plusieurs jours dans des platanes pour les protéger de l'abattage, les traces d'un camping sauvage sont aussi encore là. « Tant que ce projet ne sera pas abandonné, nous aurons d'autres camping des platanes, partout où il le faudra », prévient une porte-parole du Soulèvement de la Terre, association sous la menace d'une dissolution en raison des débordements lors d'une manifestation contre un projet de méga-bassine.

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La vie sur le camp de base des manifestants a été marqué par diverses animations dont des initiations à l'agriculture, mais aussi des concerts (Crédits : Rémi Benoit).

« Dans un moment pivot »

À l'heure où le débat public est notamment occupé par l'entrée en vigueur de la loi ZAN,  - zéro artificialisation nette - et particulièrement ses conséquences sur le secteur immobilier, les opposants au projet d'autoroute A69 ont du mal à cerner l'intérêt d'un tel projet. « C'est un projet archaïque, du siècle dernier », tacle Aline, de l'association La Voie est libre. « Ce sont des fermes agricoles très lourdement impactées et un processus d'écoulement de l'eau dans les nappes phréatiques perturbé dans un contexte de sécheresse », ajoute Laurence Marandola, de la Confédération paysanne. « C'est clairement une aberration écologique », lance une habitante de Saix, qui met en avant la destruction de lieux de vie d'espèces protégées comme les loutres. Les opposants dénoncent également la politique tarifaire de la future autoroute Toulouse-Castres (17 euros l'aller-retour pour un véhicule léger en plein tarif) et le faible nombre de véhicules attendus sur cette route avec un risque de déséquilibre financier du projet. S'ils évoquent le chiffre de 8.000 véhicules par jour, Atosca avance quant à lui 8.400 voitures et 800 poids-lourds au quotidien.

« L'autoroute A69 est un maillon essentiel pour les déplacements en Occitanie. Lien entre la rocade de Castres et l'autoroute A680, elle répond notamment aux besoins de désenclavement et de développement du bassin de vie et d'emploi de Castres et Mazamet, en offrant un haut niveau de service aux usagers qui l'emprunteront », défend Atosca. L'opérateur rappelle également que cette autoroute a été classée priorité nationale dans la loi LOM de 2018. « L'agglomération Castres-Mazamet est la seule grande agglomération qui n'est pas connectée à une liaison autoroutière encore aujourd'hui », soulignait Eric Ducournau, le directeur général du groupe Pierre Fabre, dans une interview accordée à La Tribune en juin dernier.

Cependant, à quelques minutes du début de la marche sur le tracé de la future autoroute, les opposants ont reçu un soutien de poids voire une caution scientifique en la personne de Christophe Cassou, scientifique expert du climat et directeur de recherche au CNRS, ainsi que membre du GIEC. Le climatologue s'est ainsi rendu sur place, pour prendre la parole devant les milliers de manifestants.

« Nous sommes dans un moment pivot, charnière. Les effets du changement climatique s'aggravent et s'intensifient (...) On rentre dans le dur au niveau des décisions politiques car les décisions esthétiques ne suffisent plus, nous sommes face à des choix politiques fondamentaux (...) C'est notre rôle de scientifique de défendre la contestation autour de certains projets (...) En France, les transports, c'est le poste le plus émetteur de gaz à effet de serre, donc aujourd'hui construire une autoroute nous verrouille dans des pratiques qui sont carbonées n'est pas compatible avec la stratégie nationale bas carbone », a expliqué Christophe Cassou, interrogé par La Tribune pour justifier sa présence.

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Le cortège aura marché un total de 12 kilomètres, samedi 22 avril (Crédits : Rémi Benoit).

Un mur érigé en symbole

Quelques minutes après la prise de parole du scientifique, parfois contestée par quelques membres du public, les manifestants se sont lancés dans un seul et même cortège à travers des champs et des zones protégées, dans une ambiance festive et conviviale comme espéré par les organisateurs. Et ce malgré la présence de quelques éléments radicaux voire violents. 200 selon la préfecture du Tarn, qui avait déployé un important dispositif de sécurité au sol et dans les airs pour éviter tout débordement. « Nous n'avons jamais vu un tel dispositif pour une manifestation de ce genre », confie même un membre du corps préfectoral, le gouvernement craignant la naissance d'une nouvelle ZAD en France. Cependant, les forces de l'ordre ont tout fait pour éviter de se retrouver en frontal avec les manifestants malgré l'important déploiement sur le terrain. Ce qui a sans nul doute contribué au fait que la manifestation s'est déroulée sans aucun heurt majeur entre ces mêmes forces de l'ordre et les 4.500 participants, selon la préfecture du Tarn, et les 8.200, selon les organisateurs de la marche.

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Le cortège est arrivé en fin d'après-midi à sa destination (Crédits : Rémi Benoit).

Ce n'est qu'au niveau de Soual (Tarn), à proximité de locaux du groupe Pierre Fabre, que la manifestation a été ponctuellement animée par des huées à destination des forces de l'ordre présentes sur le toit et autour de ces bureaux pour les protéger, les autorités craignant des dégradations des actifs de l'entrepris. « Les collectivités locales ont cédé à la pression du groupe Pierre Fabre qui voulait cette autoroute depuis des années », regrette Gilles Garric, membre de La Voie est libre. Lors des prises de parole des organisateurs avant le départ du cortège, chaque prononciation des mots « Pierre Fabre » a d'ailleurs fait l'objet de huées et d'insultes de la part des manifestants, preuve de la colère à l'égard du premier employeur privé du Tarn. « Une tentative d'intrusion sur le site du groupe Pierre Fabre de Soual a été repoussée par les gendarmes mobiles sans faire usage de la force », a même déploré le préfet du Tarn en fin de journée.

Si une course de caisses à savon est aussi venue animée la marche du jour, sur une portion de la future autoroute entre Toulouse et Castres, dans une ambiance digne d'un grand prix de Formule 1, le véritable point final de cette marche - qui a fédéré des participants de tous les âges - aura été la construction d'un mur en parpaing directement sur la route pour symboliser une nouvelle fois l'opposition à cette future A69. Dans un communiqué en début de soirée, samedi 22 avril, les organisateurs ont salué « une réussite » et « une mobilisation historique » pour qualifier cette journée. Pour autant, ce n'est qu'une étape supplémentaire dans leur combat.

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(Crédits : Rémi Benoit)

Le gouvernement étudie le sujet

Les organisateurs ont fait savoir qu'ils s'apprêtent à déposer un recours en annulation de l'autorisation environnementale, avec un référé en suspension contre cette même autorisation environnementale « qui ne tient sur aucun argument sérieux », selon eux. Ces derniers, comme de nombreux élus locaux contre ce projet d'autoroute, défendent depuis plusieurs années un projet alternatif face au faible gain de temps annoncé avec l'A69, à savoir une vingtaine de minutes. « Le gain de temps Castres - A68 par l'autoroute par rapport à l'aménagement de la RN126 est faible et inférieur à 10 minutes », appuie la synthèse d'une pré-étude sur cette alternative commandée par les collectivités.

Ce projet consisterait en un aménagement de la RN 126 existante, entre Verfeil et Castres, avec notamment un important travail sur certains carrefours réputés dangereux actuellement. Si plus d'expropriations seraient générées par ce projet bis, en revanche davantage de terres agricoles seraient conservées pour un coût total du projet estimé à moins de 200 millions d'euros hors taxe. « L'autoroute nécessite un investissement
pour les collectivités 75% plus important que l'aménagement de la RN126 », précise particulièrement la synthèse de cette pré-étude financée à l'époque par 15 communes, deux communautés de communes et la région Midi-Pyrénées (aujourd'hui région Occitanie) et commandée auprès de deux cabinets d'études toulousains spécialisés dans le BTP.

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La construction d'un mur a été le point final de la marche contre l'autoroute entre Toulouse et Castres (Crédits : Rémi Benoit).

Avec cet argument supplémentaire, les opposants n'espèrent ni plus ni moins que l'annonce d'un moratoire sur le projet de la part du gouvernement. Le ministre des Transports, Clément Beaune, a demandé dès janvier une revue des projets autoroutiers, soit sept projets, dont celui de l'A69. Selon une source citée par l'AFP, l'objectif est de « réinterroger chaque projet au regard des enjeux actuels : lutte contre l'artificialisation des sols, réduction des émissions de CO2, mais aussi désenclavement des territoires ». Cependant, l'État, qui a déjà signé un contrat pour une concession de 55 ans avec Atosca pour cette autoroute entre Toulouse et Castres, pourrait être tenté de mener à son terme les travaux pour cette nouvelle route attendue pour l'été 2025.

Lire aussiFuture autoroute entre Toulouse et Castres : ce qu'il faut savoir

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Commentaires 5
à écrit le 15/05/2023 à 23:29
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L'industrie de construction est devenu un monstre insatiable qu'il faut alimenter tout le temps au point qu'elle a englouti le pays entier. <pP Il y a un grand contournement pres de moi autour le petite ville de Beuzeville – un contournement surdim...

à écrit le 24/04/2023 à 12:34
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Encore une fois on se focalise sur quelques milliers d'activistes venus pour une seule journée de tous les coins du pays. Mais pourquoi ne prend-on pas en compte les milliers d'utilisateurs qui emprunteront l'autoroute tous les jours de l'année ? Ce...

le 31/05/2023 à 16:32
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Une autoroute en 2023 ! mais c'est à contre courant (sans faire de mauvais jeu de mot avec la voiture électrique) : l'avenir de notre société ce fera avec beaucoup moins de trajet avec des voitures individuelles, car ce type de trajet devient et cont...

à écrit le 24/04/2023 à 9:30
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On va perdre 400ha de terres agricoles cite l'article, c'est vraiment peu de chose.

le 24/04/2023 à 13:01
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Ils veulent construire une autoroute alors qu'il y a une nationale à 500 mètres de distance , absurde. .

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