"93% des objets dans l'espace sont des débris", alerte Christophe Bonnal (Cnes)

Depuis 31 ans, Christophe Bonnal travaille pour le Cnes à Toulouse sur les débris spatiaux. Ces morceaux de satellites obsolètes représentent aujourd'hui une masse de 7 800 tonnes. Une goutte d'eau face à l'immensité de l'espace mais leur présence accroît le risque de collisions avec des satellites en activité et ces objets pourraient aussi retomber sur Terre.
La question des débris dans l'espace est devenue une problématique majeure.
La question des débris dans l'espace est devenue une problématique majeure. (Crédits : ESA)

"Tous les débris spatiaux dans l'espace représentent une masse de 7 800 tonnes, soit l'équivalent de la Tour Eiffel", illustre Christophe Bonnal, expert senior au Cnes. À l'occasion d'une conférence organisée le 30 octobre par l'Académie de l'air et de l'espace, le scientifique a expliqué les enjeux soulevés par ces déchets et les solutions envisagées pour les faire disparaître.

"On définit comme débris spatial tout objet orbital artificiel non fonctionnel. Il faut savoir qu'aujourd'hui les satellites en activité représentent seulement 7% des objets dans l'espace. Les 93% restant sont des débris spatiaux, dont 18% sont des satellites non fonctionnels et 11% des étages supérieurs de fusées. La majorité des autres objets sont des fragments de petite taille : 750 000 de plus d'un cm, 150 millions de plus d'un mm", détaille Christophe Bonnal.

Les débris spatiaux sont nés avec la conquête spatiale. "Lors du lancement de Spoutnik 1 en 1957, la charge utile ne représentait que 1,3% de la masse laissée dans l'espace. On a laissé en orbite le premier étage de la fusée qui pesait 6,5 tonnes. Tout ça pour une mission de 21 jours !" rappelle l'expert. Mais aujourd'hui malgré un nombre de missions moindres par rapport à la Guerre froide, le volume de débris ne cesse d'augmenter, notamment à cause des collisions.

"7 800 tonnes de débris spatiaux, c'est paradoxalement peu par rapport à l'immensité de l'espace. C'est comme si on versait deux bouteilles de coca dans la mer. Sauf que cette masse est disséminée en plein de petits morceaux qui peuvent, en se percutant, créer des centaines de nouveaux fragments. Le problème est qu'avec une vitesse orbitale de 30 000 km/h, même un morceau de 1 mm peut créer des dégâts. C'est arrivé en 2016 sur le satellite Sentinel 1A où les panneaux solaires ont perdu 15% de leur puissance électrique à cause d'un débris. Un gros débris de plus de 10 cm peut faire exploser un satellite. Aujourd'hui, la probabilité de perte d'un satellite à cause d'un débris est de 5%", avance Christophe Bonnal.

"L'autre risque est qu'un de ces débris tue quelqu'un en percutant la Terre", alerte le chercheur. Pour l'instant, par chance, rien de tel n'est encore arrivé. Les débris sont surtout tombés dans des champs ou les océans.

Comment nettoyer l'espace ?

Pour autant face à cette menace, États et industriels réfléchissent à des pistes pour "nettoyer l'espace". Entre 1995 et 2002, plusieurs réglementations internationales (par la Nasa, le Cnes, la loi française LOS) ont émis des recommandations pour limiter les débris : ne pas laisser plus de 25 ans un vieux satellite dans la même orbite que les engins en activité, rendre passif les satellites en fin de carrière pour ne pas qu'un réservoir de carburant explose... Mais celles-ci n'étaient pas obligatoires ni assorties de sanctions financières en cas de non-respect. Résultat : seuls 6% des satellites de plus de 100 kg respectent ces règles. De quoi inquiéter au vu de l'arrivée prochaine de milliers de nouveaux satellites avec l'essor des méga constellations.

Plusieurs solutions ont émergé au cours des dernières années. Ainsi, dans le cadre du projet Remove Debris, Airbus va expérimenter notamment une technique de capture de débris par harpon. "Il est aussi possible de rajouter des blindages devant les parties sensibles des satellites. On pourrait imaginer qu'un remorqueur spatial découpe un morceau d'un vieux satellite pour aller en protéger un autre", observe l'expert.

L'autre axe de recherche est d'éviter les collisions grâce à des manœuvres. "Le service anti-collision CAESAR du Cnes est le premier du genre en Europe. Mais cette activité est très chronophage. Si vous réussissez à atteindre une précision de 100 mètres dans l'espace, beaucoup d'objets seront susceptibles d'être concernés. Le Cnes a réalisé 2,7 millions de conjonctions l'an dernier, cela revient à une alerte toutes les cinq secondes, avec beaucoup de fausses alertes. D'autant que ces calculs ne sont possibles qu'avec les débris répertoriés officiellement, donc ce n'est qu'une solution partielle", décrypte Christophe Bonnal.

D'autres programmes de recherche visent à éviter juste au dernier moment la collision : créer une atmosphère artificielle devant le débris pour le freiner, créer un nuage de particules, utiliser un laser orbital....

La solution la plus pérenne à long-terme serait de désorbiter les satellites. Mais "cela représente un coût de 20 millions d'euros par débris pour les solutions classiques", note le représentant du Cnes. Un coût colossal qui demanderait des négociations entre les États pour partager l'addition. Tout en sachant que 62% des objets en orbite sont russes, 23% des USA, 4% de la Chine. La France quant à elle est en 4e position avec 3% des objets.

Lire aussi : Comment Airbus Defence and Space veut nettoyer l'espace

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.