Des data centers autonomes en énergies et hors réseau imaginés à Toulouse

Face à la consommation électrique croissante des data centers dans le monde, l'Institut de Recherche en Informatique de Toulouse s'est lancé dans le projet fou de concevoir un data center autonome en énergie et déconnecté des réseaux de distribution électrique. Après huit années de recherche, cette ambition est sur le point d'aboutir. Les détails.
Jean-Marc Pierson, qui coordonne ce projet, était invité par La Tribune, jeudi 14 décembre pour présenter cette démarche à Toulouse, lors du forum Zéro Carbone.
Jean-Marc Pierson, qui coordonne ce projet, était invité par La Tribune, jeudi 14 décembre pour présenter cette démarche à Toulouse, lors du forum Zéro Carbone. (Crédits : Rémi Benoit)

Sous l'impulsion d'une société de plus en plus numérisée, les data centers, ces centres de données souterrains qui stockent la data en masse et qui assurent le fonctionnement des divers services, ont une croissance énergétique qui croît en flèche. Selon Jean-Marc Menaud, professeur à l'école d'ingénieurs IMT Atlantiques de Nantes, « la consommation énergétique des data centers est estimée à 2 ou 3 % de la consommation ​électrique mondiale », à en croire une interview accordée au journal Ouest France en novembre 2022.

C'est dans ce contexte qu'un laboratoire toulousain mène des travaux d'ampleur sur le sujet, à savoir comment rendre un data center sobre dans sa consommation énergétique. Depuis 2015, l'Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRT) s'est lancé dans le projet ANR Datazero, financé par deux fois par l'Agence nationale de la recherche. En huit ans, ce projet a donc vu son objectif final changer en passant d'un objectif d'optimisation énergétique, dans un premier temps, à un objectif de sobriété voire de zéro émission carbone aujourd'hui.

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« Notre ambition est de se passer totalement des réseaux de distribution en énergie comme EDF et compagnie, en ayant un data center hors réseau, alimenté par des sources d'énergie renouvelable comme le solaire ou l'éolien, avec des moyens de stockage », présente Jean-Marc Pierson, le directeur de l'IRIT et le coordinateur scientifique de ce projet de recherche.

Menée conjointement avec le laboratoire Laplace à Toulouse (Université Paul-Sabatier) et le FEMTO-ST de Besançon, cette étude vise à permettre à un data center d'exploiter plusieurs sources d'énergie locales tout en proposant des moyens de stockage locaux, comme des batteries, un secteur qui attire beaucoup d'entreprises actuellement, ou des piles à combustible à hydrogène.

« Plusieurs acteurs annonçaient alors alimenter leurs centres de données par 100 % d'énergies renouvelables, ce qui n'était pas entièrement vrai puisqu'ils étaient toujours reliés au réseau de distribution d'électricité. Nous nous sommes demandé s'il était possible d'aller plus loin et de devenir complètement indépendants vis-à-vis du réseau. Deux questions scientifiques principales se sont posées. La première est celle du dimensionnement d'une infrastructure autosuffisante lors de la phase de construction. La seconde est celle de l'optimisation de son fonctionnement », développe Jean-Marc Pierson.

Intégrer l'incertitude

Le projet Data Zéro vise ainsi à imaginer un data center autonome en énergie avec une puissance d'environ d'un mégawatt heure et une surface d'environ 1.000 m2, un équipement d'une taille honorable qui pourra suffire à couvrir les besoins d'une métropole comme Toulouse. Seulement, ces infrastructures demandent un service continu. Le principal défi est donc d'accorder ce point majeur avec des sources d'énergie verte, comme l'éolien, qui sont intermittentes par nature.

« Le défi étant de résoudre le problème d'adéquation entre la production d'énergie renouvelable, telle solaire et éolienne, qui par nature est intermittente, et la consommation de ces centres de données qui doit être résiliente à tout moment et fiable », confirme le FEMTO-ST dans son bilan d'étude à la fin de la première phase, au début de l'année 2020. « L'équipe a confirmé qu'il était théoriquement possible de gérer un centre de données de 1 MW alimenté uniquement par de l'énergie renouvelable locale, ainsi que par le stockage de l'énergie à court et à long terme », ajoute-t-il dans ses conclusions.

Pour surmonter ces défis de génie électrique, « qui sont nombreux » selon Jean-Marc Pierson, l'IRIT et ses partenaires ont mis au point, et c'est certainement le coeur du projet, des algorithmes de décision et d'optimisation pour assurer un service continu de l'équipement. La nouvelle phase du projet Data Zéro enclenchée courant 2020, qui a bénéficié d'un soutien de près d'un million d'euros de l'Agence nationale de la recherche, vise à rendre plus robuste ces algorithmes d'intelligence artificielle en y intégrant une part d'incertitude.

« Les prévisions météo et les prédictions de charge constituent par essence des données incertaines. Pour la deuxième étape du projet, nous avons souhaité prendre en compte l'incertitude dès le départ. Nous avons attaché aux prédictions de production électrique et de charge informatique un objet d'incertitude et développé de nouveaux algorithmes d'optimisation sous incertitude. Nous espérons que les résultats nous montreront que l'impact des erreurs est moins important, et que l'on n'est plus obligé de relancer une optimisation car le système est capable de les anticiper et de s'adapter automatiquement », projette le chercheur.

Avec cette nouvelle phase, qui doit prendre fin courant 2024, l'IRIT et ses partenaires espèrent parvenir à un TRL (maturité technologique) de niveau cinq (sur neuf) pour, à terme, en faire un produit commercial en s'associant avec des investisseurs et des industriels. Pour les convaincre, les porteurs du projet Data Zéro ont développé un logiciel pour projeter le retour sur investissement en fonction de la superficie du data center et les technologies d'énergie renouvelable retenues, ainsi que la localité de l'équipement.

« Avant cela, il y a une barrière physiologique à franchir qui est en réalité une certaine frilosité des opérateurs de data centers. Ils verront peu d'intérêt à investir dans un tel équipement dans un pays comme la France, où le réseau est stable, l'électricité peu chère et le réseau déjà bien décarboné. Mais il y a des régions du monde, comme le Texas, où le réseau électrique n'est pas à des niveaux de stabilité comme le nôtre et qui pourraient être intéressées par notre projet. Avec un investisseur, notre preuve de concept pourrait devenir un équipement industriel dans trois à cinq ans », estime le coordinateur du projet.

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