La hausse du livret A menace les projets de nos territoires

« Risque de faillite du logement social », « péril sur la transition écologique », les élus s’alarment des conséquences de la hausse du livret A sur les investissements locaux. Le temps est venu d’une profonde réforme, selon Sacha Briand, vice-président de Toulouse Métropole en charge des Finances et Président du Conseil de surveillance de l’Agence France Locale, banque dont les collectivités sont les seules propriétaires, bénéficiaires et garantes. À travers ce texte, l'élu souhaite alerter quant au risque qui pèse sur les collectivités à recourir à des emprunts à taux indexés, en insistant sur la situation d’acteurs occitans, en premier lieu des communes ou des organismes de logement social.
Sacha Briand s'inquiète des conséquences de la remontée du taux du Livret A sur les projets des collectivités locales.
Sacha Briand s'inquiète des conséquences de la remontée du taux du Livret A sur les projets des collectivités locales. (Crédits : DR)

Réveil brutal

Dans un environnement de taux très bas, le débat semblait clos dans une unanimité tranquille : les prêts indexés sur le livret A constituaient un levier pour les collectivités permettant de financer leurs investissements à long terme. Certes, ce n'était pas le levier le plus efficient, mais il avait le mérite d'être un modèle de sécurité et de stabilité, régulé par l'Etat. Un taux variable pourtant, même si souvent souscrit comme un quasi-taux fixe dans l'esprit des emprunteurs. Les années de taux bas étaient parties pour durer et mettaient les emprunteurs à l'abri de toute mauvaise surprise.

Le réveil est brutal : comme l'environnement des taux en général, en quelques mois, le taux du livret A a été multiplié par six, passant de 0,5 à 3 %. De nombreuses collectivités se sont retrouvées prises à la gorge et voient leurs échéances augmenter, parfois de 20 ou 30 %. Oui, nous l'avions oublié à force d'entendre vanter sa stabilité : le taux du livret A est un taux variable. Régulé oui. Peu volatile oui. Mais sa formule colle à l'inflation. Il peut donc monter. Haut, et vite. C'est alors que la mémoire revient, douloureusement, avec le souvenir d'un taux à plus de 8% au début des années 80, encore à 4% au moment de la crise de 2008. Un calcul théorique au 23 avril 2023 porte le taux à 3,90% pour la révision du mois d'août.

Pour des petites communes aux ressources limitées, cela peut rendre la situation intenable. Le cas emblématique de Lassy (Val-d'Oise), qui a attiré l'attention au cours des dernières semaines et a mené à une interpellation du gouvernement par l'Association des maires de France, est loin d'être isolé et concerne nombre de nos collectivités en Occitanie.

C'est également le cas des organismes finançant le logement social, dont 80 % du financement provient de crédits indexés sur le Livret A. L'Habitat audois se voit ainsi privé d'une capacité d'emprunt d'1,6 millions d'euros, les Logis cévenols ont voté un budget en déficit et voient multiplier par 2,5 leur charge d'intérêt entre 2022 et 2023. Habitalys, premier bailleur social du Lot-et-Garonne, va voir ses intérêts d'emprunt doubler pour cette année.

Les prêts variables menacent les finances et les investissements des collectivités

Et s'il y a inquiétude dans les mairies et aux sièges des intercommunalités, ce n'est pas un excès de pessimisme mal placé. L'inflation, en plus de grever les budgets locaux, va contribuer à porter le taux du livret A vers 3,9 %, si ce n'est plus, et alourdir encore les intérêts payés.

Est-il normal que l'autonomie financière des collectivités devienne la variable d'ajustement d'une situation où il est impossible de se financer à long terme pour un exécutif local ? Est-il acceptable que l'impossibilité de se financer amène une commune comme celle de Caissargues (Gard) à reporter des investissements d'un an, à réduire le chauffage des bâtiments communaux et à couper l'éclairage public pendant la nuit ? Est-il entendable, pour un élu, de risquer le procès en incompétence pour avoir, quinze ans après la crise Dexia, souscrit à des produits qui sans être structurés placent leur collectivité dans une situation d'incertitude à l'horizon d'une ou deux générations ?

Poser ces questions, c'est déjà en partie y répondre. Et pourtant on constate une amplification des offres indexées sur le livret A proposées aux collectivités, sur des durées de plusieurs décennies, et à la lisibilité aléatoire. C'est seulement à ce prix que certains acteurs peuvent se présenter comme financeurs des communes dans les transitions, mais ce prix est bel et bien payé par les collectivités clientes.

A l'heure où la transition écologique s'impose à nous, à l'heure où les collectivités font face à des enjeux cruciaux, à l'heure où les besoins en investissements sont massifs, la hausse du taux du livret A est-elle la réponse proposée au monde local ? Comment ne pas s'interroger sur l'incitation à souscrire des taux variables au cours des dernières années, alors que les taux fixes étaient alors quasiment à 0% ?

Le monde local a besoin de vraies solutions

Les collectivités ont alerté, elles ont reçu du gouvernement des réponses dilatoires : décalage du paiement des intérêts, ou de la variation effective. Ces mesures opèrent à la marge sans rien régler du fond du problème.

Tous les risques de l'emprunt à taux variable sont bien connus des collectivités locales. C'est précisément pour s'en prémunir qu'elles ont défini les principes de fonctionnement de l'Agence France Locale, la banque qu'elles ont créée et qu'elles administrent : financement de tous les projets de ses collectivités membres, refus de prêter à taux variable pour les collectivités de moins de 3 500 habitants, réinvestissement des bénéfices pour continuer à proposer des prêts les plus bas sur des durées pouvant atteindre plus de 40 ans

La crise du livret A aura une conséquence catastrophique sur l'investissement et donc sur la croissance et l'emploi. Si le gouvernement veut compter sur les collectivités pour investir et moderniser tous les territoires, il doit aujourd'hui apporter une réponse claire en cessant d'inciter les collectivités à souscrire à des prêts à taux variable qui ne sont rien d'autre qu'une corde de pendu.

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