Spatial : en pleine "adolescence", le marché des smallsats en quête de rentabilité

Le marché des satellites de moins de 500 kg a explosé en l'espace de quelques années et près de 14.000 petits satellites devraient être envoyés en orbite dans les dix prochaines années. Mais derrière les effets d'annonce, les nouveaux acteurs sont désormais "confrontés au mur de la réalité", a alerté Maxime Puteaux d'Euroconsult à l'occasion de l'événement Smallsats day organisé à Toulouse. Face à un marché concentré autour de quelques acteurs américains, la concurrence est rude pour les projets européens avant d'atteindre le seuil de rentabilité.
(Crédits : Joe Skipper)

"Jamais nous n'avions lancé autant de smallsats que l'année dernière", pointe Maxime Puteaux, conseiller principal d'Euroconsult sur le marché des satellites. Dans un rapport publié au printemps dernier, le cabinet indépendant estime que près de 3.000 satellites de moins de 500 kg ont été envoyés en orbite sur la période 2011-2020. Ce chiffre est appelé à exploser dans les prochaines années avec près de 14.000 smallsats qui devraient être lancés dans l'espace d'ici à 2030.

Difficile équation économique

Mais derrière cette progression exponentielle se cache une réalité plus contrastée. "50% de la demande est concentrée par deux mégaconstellaltions, celle de SpaceX avec Starlink et d'Amazon avec Kuiper", rappelle Maxime Puteaux à l'occasion du Smallsats Day organisé par la PME Hemeria à Toulouse le 11 octobre.

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À lui seul, SpaceX projette une constellation de 42.000 satellites quand Amazon prévoit d'envoyer 3.236 satellites en orbite. Face à cette hégémonie américaine, les acteurs européens pourraient espérer décrocher seulement 20 à 30% des parts de marché restantes. Un marché où la concurrence devient très rude alors que SpaceX casse les prix avec des satellites de 250 kg lancés à partir d'un million de dollars. "Tous les clients nous demandent la même chose", remarque Grégory Pradels directeur du développement de Hemeria.

Après l'effervescence, l'heure est venue pour les nouveaux acteurs de "se confronter au mur de la réalité", complète Maxime Puteaux.

"Nous sommes vraiment dans l'adolescence des smallsats avec tous les problèmes que cela comporte. Maintenant que les infrastructures sont déployées ou partiellement déployées, il va falloir générer de l'argent. Et on s'aperçoit que pour certains acteurs, être en orbite ne résout que la moitié du problème. C'est le cas de OneWeb qui a fait faillite avant de revenir", ajoute-t-il.

Après avoir fait faillite au printemps 2020, la société américaine OneWeb a été rachetée par un conglomérat anglo-indien et a déjà déployé près de la moitié de sa constellation.

Un marché des microlanceurs surcoté ?

Le même équilibre précaire est observé du côté des microlanceurs taillés pour envoyer en orbite ces petits satellites.

"Un microlanceur nécessite entre 200 et 400 millions d'euros d'investissement, ce qui va induire un besoin de chiffre d'affaires assez important de 200 à 300 millions d'euros par an et nécessite donc d'avoir un marché en face. Or parmi les acteurs les plus crédibles au sein des microlanceurs, par exemple l'Allemand Isar Aerospace compte adresser un chiffre d'affaires qui correspond à 100% du marché accessible au niveau mondial. De la même manière, le microlanceur américain Astra annonce de 300 lancements par an pour être rentable. Trouver un modèle économique viable représente la principale difficulté pour ces microlanceurs", souligne Jérémie Hassin, expert innovation au sein du CNES.

Une vision qui rejoint l'analyse dressée par Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au CNES lors de la dernière édition du Paris Air Forum organisé par La Tribune. Ce dernier estimait à seulement dix lancements par an le segment des micro-lanceurs, de moins de 300 kg de charge utile.

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D'où le risque de déconvenues financières importantes dans les années à venir. "Le monde des smallsats est en train de se financiariser avec énormément de levées de fonds l'année dernière. Cela représente 200 millions d'euros rien que sur le segment européen. Mais l'on peut s'interroger autour de l'emballement en Bourse observé aux États-Unis autour des SPACs, ces introductions en Bourse plus ou moins déguisées avec une coquille vide qui fusionne avec une société. Souvent, des projets qui ne sont pas encore opérationnels sont introduits en Bourse. Quand ces acteurs seront amenés à rendre des comptes aux investisseurs, ils seront confrontés à ce mur de la réalité", alerte Maxime Puteaux. L'autre menace selon lui est celle d'une délocalisation à terme des petits satellites conçus en Occident mais produits dans des pays où la main d'oeuvre est moins chère.

Autre défi pour les smallsats, développer des usages suffisamment attractifs et compétitifs pour convaincre des clients. Un pionnier à l'instar de l'Américain Planet s'est imposé sur le champ de la revisite quotidienne de la Terre à basse résolution. En matière d'observation de la Terre, les pépites du spatial ont tout intérêt à se différencier en proposant par exemple une meilleure qualité d'image.

Beaucoup de potentiel sur le marché institutionnel

Pour se développer, les nouveaux acteurs devront répondre aux besoins des institutionnels qui représentent encore aujourd'hui deux tiers de la demande en matière de smallsats. Des acteurs historiques qui sont très intéressés par les potentialités offertes par les petits satellites.

"Le taux de revisite important a un intérêt dans le domaine du renseignement. Ensuite, les services d'internet des objets peuvent nous aider dans le positionnement de combattants sur un théâtre d'opérations ou à des fins de logistique ou de maintenance de suivre les différents matériels qui sont déployés dans des zones qui ne sont pas forcément connectées à Orange ou des réseaux classiques. En Afghanistan ou au milieu du désert du Sahara, c'est plus compliqué d'avoir un accès Internet d'où la plus-value apportée par l'internet des objets. Concernant la surveillance de l'espace, de petits satellites permettent de manière assez simple de localiser certains objets", liste Thierry Blanc, adjoint au commandant de l'espace.

Pour Lionel Suchet, directeur général délégué du CNES, les petits satellites apportent des usages complémentaires aux plus grands modèles.

"Dans certaines missions scientifiques, il y a un vaisseau mère avec un grand satellite et des petits satellites qui gravitent autour. Les nanosatellites peuvent approcher au plus près d'un astéroïde ou d'une comète, en prenant des risques, voire en se crashant sur la cible, alors que le vaisseau mère continue sa mission d'inspection. Sur le programme franco-chinois Svom, qui vise à faire de l'exploration des phénomènes de hautes énergies dans le cosmos, on pourrait imaginer que des nanosatellites soient utilisés pour faire des alertes rapides sur des mesures", avance-t-il.

Pour autant, Lionel Suchet rappelle que "les petits satellites ne pourront pas tout faire ce que font les autres satellites" : "Dès qu'il faut de la grande précision au sol et qu'on veut faire ce qu'on réalise avec Pléiades (les satellites fabriqués par Airbus et capables de fournir des images avec une résolution de 30 cm, ndlr), un petit satellite ne peut parvenir à fournir l'équivalent se heurtant à des limites physiques", conclut-il.

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