À Toulouse, les discothèques vont-elles revivre une hécatombe ?

Alors que le déconfinement est amorcé, les gérants de discothèques ne savent toujours pas quand ils pourront rouvrir leurs établissements. Une situation qui suscite beaucoup d'inquiétudes à Toulouse, où certains propriétaires d'établissements sont couverts de dettes. Le secteur demande un allongement des aides allouées et s'interroge sur la réouverture des bars, craignant une quatrième vague qui serait "catastrophique" pour leur business.
Les patrons de discothèques toulousaines appellent l'Etat à un soutien financier supplémentaire et à une vigilance vis-à-vis des bars clandestins pour prévenir une quatrième vague de Covid-19.
Les patrons de discothèques toulousaines appellent l'Etat à un soutien financier supplémentaire et à une vigilance vis-à-vis des bars clandestins pour prévenir une quatrième vague de Covid-19. (Crédits : Reuters)

Deux mois après le début du premier confinement, en mai 2020, la discothèque l'Esméralda avait déjà sa trésorerie à sec. Depuis, les pertes se sont accumulées et l'endettement de l'établissement culmine à 200.000 euros. "La situation financière de mon établissement va mal. Nous avons des aides, mais elles ne couvrent pas les charges, donc on va redémarrer avec un certain nombre de dettes", confie René Viteur, à la tête de l'établissement de nuit toulousain Esméralda. Il dit avoir pourtant pu compter sur l'indulgence de son bailleur pour amoindrir ses frais locatifs. Une situation financière qu'il affirme vivre difficilement, tout comme l'isolement qu'il subit du fait de l'arrêt de son activité.

"Je n'ai plus rien, nous sommes coupés de tout. Nous n'avons pas de revenus et pas de perspectives d'avenir. Aucune date de réouverture ne se profile réellement, donc cela devient un peu dramatique. [...] Malgré tout, c'est mon métier, je n'ai pas envie de tout arrêter pour un incident comme la Covid", dit-il amèrement.

Pour l'heure, aucune discothèque toulousaine ne semble avoir déposé le bilan.

"Nous avons besoin de fonds supplémentaires pour redémarrer"

Ceux qui se décrivent comme "les oubliés de cette crise" ne contestent pas le soutien financier apporté par l'Etat au travers du prêt garanti par l'Etat ou des diverses subventions qui leur ont été accordées progressivement depuis le début de la crise sanitaire. Mais ils condamnent une situation "d'attente, sous perfusion" selon Yvo Danaf, président de l'Umih31, le syndicat de l'Union des métiers et de l'industrie de l'hôtellerie en Haute-Garonne.

En Occitanie, les syndicats rapportent de forts sentiments d'injustice et de manque de respect partagés par la profession à la découverte de leur absence du calendrier de déconfinement du gouvernement. Un émoi généralisé qui s'explique par l'envie de retrouver une situation professionnelle stable, mais aussi par la crainte de l'arrêt des subventions covid au moment de la réouverture des discothèques.

"Nous sommes prêts à prendre toutes les mesures qu'il faut pour que la situation épidémiologique s'améliore, mais nous avons besoin de fonds supplémentaires pour pouvoir redémarrer, nous adapter, réinvestir", explique Francis Aribaud, délégué 31 du SNDLL et dirigeant de la discothèque Le Planète Rock.

Le SNDLL (Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs) ne souhaite effectivement pas une réouverture des établissements sans un soutien financier de l'Etat, au risque que certains dirigeants mettent la clé sous la porte. Raison pour laquelle Patrick Malvaës, le président du syndicat, plaide pour une prolongation des aides pendant six mois après la réouverture des établissements. Un allongement de la distribution des subventions qui permettrait d'accompagner économiquement le secteur pendant la reprise, alors que certains s'interrogent sur les conséquences qu'aura la crise sur la fréquentation des discothèques.

"Une génération va en discothèque pendant trois ans environ. Or là, nous avons une génération qui aura passé deux ans sans discothèques, qui n'aura pas d'histoire avec notre milieu. Est-ce qu'ils vont aller vers un produit qui n'a pas d'historicité, de référence culturelle pour eux ? Ce n'est pas si évident, même si je pense que ça va le faire", se questionne Patrick Malvaës, président du SNDLL.

D'autant que les bars, tout comme les cafés et restaurants, devraient eux rouvrir leurs intérieurs le 9 juin 2021 en respectant un protocole sanitaire strict. La situation est donc semblable à celle de l'été 2020, et c'est bien ce qui pose problème au président du SNDLL.

La peur d'une quatrième vague après l'été

Patrick Malvaës redoute qu'une partie des gérants de bars ne respecte pas les jauges d'accueil et autres règles sanitaires, comme cela a déjà pu se produire en juillet et en août 2020. Il dit être prêt à organiser des "opérations commando" dans ces établissements pour éviter une quatrième vague de Covid, qui repousserait de nouveau la réouverture des discothèques.

"Les bistros, restaurants et salles de spectacles qui pouvaient ouvrir l'été dernier se sont tous transformés en discothèque sans le dire. En septembre, on nous a annoncé une deuxième vague et on nous a dit que nous ne pourrions pas rouvrir. Mais la deuxième vague a été créée par ce laxisme ! Je fais actuellement évaluer une requête devant le Conseil d'Etat pour inégalité de traitement et entrave à la concurrence. Dès qu'il y aura des abus, nous porterons plainte. Ensuite, nous n'excluons pas de faire des opérations commando de propriétaires de discothèques qui iront interférer lorsqu'il y aura une manifestation comme cela", détaille-t-il.

Le patron de l'Esméralda partage l'inquiétude de Patrick Malvaës liée au non-respect des jauges d'accueil dans les bars et pointe un nombre de contrôles insuffisants l'an dernier. Un constat soutenu également par Yvo Danaf, qui nuance cependant la question de l'entrave à la concurrence :

"Normalement la question de la concurrence ne se pose pas puisqu'avec toutes les normes sanitaires qui sont mises en place aujourd'hui, ils seront obligés de faire un service au bar, assis. Maintenant, si des bars transgressent la règle, je n'appelle pas cela de la concurrence, j'appelle cela transgresser les règles...", commente le président de l'Umih31 et gérant du Purple.

Le délégué du SNDLL 31 dit en tout cas être vigilant sur ce sujet et fait remonter les interrogations qu'il suscite auprès de la mairie de Toulouse. Il considère néanmoins les bars comme complémentaires et s'inquiète surtout des "établissements qui font plus ou moins notre métier", au dépend de ceux qui restent fermés. Car avant la Covid, il existait selon lui un "parcours de la nuit" bien établi par les Toulousains, et les discothèques étaient dans une bonne situation.

"On n'a pas attendu la crise sanitaire pour décaniller dans le secteur"

Selon les syndicats, le marché avait fini par s'équilibrer ces dernières années après des années 2000 difficiles qui ont entraîné la fermeture de nombreux établissements. Car de 4.000 en 1981, la France ne compte plus que 1.600 discothèques selon le SNDLL, dont une soixantaine dans la région toulousaine. Une hécatombe qui s'explique par divers phénomènes selon le président du syndicat.

"Le pouvoir d'achat, la pyramide des âges (le vieillissement de la population, ndlr.) et l'apparition d'une génération de retraités de la discothèque ont entraîné l'émergence des bars dansants. Ils pouvaient pratiquer des prix qui étaient inférieurs à ceux des discothèques. Les charges sur notre secteur ont empêché une élasticité de l'offre et de la vente. Nous étions obligés de rester un produit un peu cher et confidentiel, au contraire des bars qui n'ont pas les mêmes contraintes que nous", explique Patrick Malvaës, président du SNDLL.

Le délégué du syndicat dans le département de la Haute-Garonne, Francis Aribaud, ajoute que certaines discothèques ont manqué de modernisme pendant un temps : "Désormais, il faut faire des transformations régulièrement. Ce sont des choses que nous ne faisions pas avant. Les propriétaires de discothèques l'ont compris, notre devoir c'est d'évoluer, d'investir". Pour certains d'entre eux comme René Viteur (Esméralda), cela sera impossible avant d'avoir payé les dettes accumulées depuis mars 2020.

Dans le Sud-Ouest, la profession se dit préoccupée par les effets engendrés par la crise. Pour autant, elle ne s'attend pas à une hécatombe semblable à celle connue pendant les années 2000.

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