Guillaume Faury (CEO d'Airbus) : "Il me semble peu probable que les départs volontaires suffiront"

Dans une nouvelle lettre adressée aux salariés, le CEO d'Airbus, Guillaume Faury, évoque "une crise plus profonde et plus longue que ne le laissaient supposer les précédents scénarios" et mentionne la forte probabilité de départs contraints. Ce courrier suscite l'incompréhension de Force ouvrière pour qui les licenciements secs restent "une ligne rouge". Le syndicat regrette aussi que la direction "ne laisse pas partir tous les volontaires".
Guillaume Faury, CEO d'Airbus.
Guillaume Faury, CEO d'Airbus. (Crédits : Airbus)

"La reprise du trafic aérien pendant l'été n'a pas été à la hauteur des attentes du secteur aéronautique. Nous devons donc nous préparer à une crise probablement plus profonde et plus longue que ne le laissaient supposer les précédents scénarios".

Après un premier courrier en avril, puis une nouvelle missive courant juin où il mentionnait des "décisions difficiles", "amères" à venir,  le CEO d'Airbus, Guillaume Faury, s'est une nouvelle fois adressé aux salariés du groupe vendredi 11 septembre dans un mail que s'est procuré La Tribune.

Pour mémoire, Airbus a annoncé le 30 juin dernier vouloir supprimer "au plus tard à l'été 2021" 15 000 postes dans sa division avions commerciaux (sur 90.000), dont 5 000 en France.

"Nous devons retrouver notre équilibre industriel et financier le plus rapidement possible. Les résultats semestriels que nous avons publiés fin juillet ont montré que nos coûts avaient largement dépassé nos revenus pendant cette crise. Nous prenons des mesures visant à rétablir notre équilibre en adaptant notre production, nos achats, nos projets, nos investissements et, malheureusement aussi nos effectifs", justifie le dirigeant.

Avant de lancer :

"L'équipe de direction travaille en concertation avec les partenaires sociaux sur les modalités de notre plan d'adaptation. Mais je veux être transparent avec vous ici : il me semble peu probable que les départs volontaires suffiront".

"On ne veut même pas laisser partir tous les volontaires", regrette FO

Cette dernière phrase suscite l'incompréhension chez les syndicats alors que les négociations autour du plan social battent leur plein.

"Notre ligne rouge à Force ouvrière depuis le départ, c'est zéro licenciement contraint. C'était d'ailleurs le mot d'ordre de la manifestation organisée début juillet (qui a rassemblé plusieurs milliers de salariés à Toulouse, ndlr)", explique Jean-François Knepper, délégué syndical central FO Airbus. Nos dirigeants ne lâchent pas sur ce point. C'est assez surprenant sachant que tous les autres grands groupes du secteur aéronautique et spatial sont parvenus à des accords sans licenciement contraint".

Lire aussi : Plusieurs milliers de salariés d'Airbus manifestent à Toulouse contre le plan social

Le syndicat regrette par ailleurs que la direction n'envisage pas d'étendre l'activité partielle longue durée pour "les fonctions support aux compagnies aériennes et d'ingénierie", mais surtout que tous les départs volontaires ne soient pas acceptés.

"Plus de 1500 salariés sont disposés à partir en retraite anticipée mais la direction nous explique qu'il ne sera pas possible d'en faire partir plus de 650. Quand 700 personnes sont volontaires pour quitter l'entreprise et s'engager dans une autre voie, on nous dit que seulement 400 à 500 pourront partir. On ne veut même pas laisser partir tous les volontaires. Ce double discours veut bien dire que la seule motivation de ce plan est de faire des économies financières face à une crise qui reste conjoncturelle", conclut Jean-François Knepper.

Pour autant, le syndicat veut "continuer le jeu de la négociation" et ne désespère pas d'arriver à un accord signé avec la direction.

Lire aussi : Airbus taille drastiquement dans sa filiale d'aménagement cabine

L'intégralité de la lettre de Guillaume Faury :

Chers collègues,

J'espère que vous êtes tous en bonne santé et que vous avez réussi à prendre un peu de temps cet été pour vous ressourcer après un début d'année particulièrement anxiogène.

La plupart d'entre nous étant maintenant de retour sur site, j'aimerais commencer par vous dire à quel point je suis fier de ce que nous avons accompli ensemble depuis le début de la pandémie de COVID-19. Je vous remercie et vous félicite sincèrement pour tout ce que vous avez fait pour Airbus face à ces défis sans précédent. Vos efforts nous ont permis de respecter, jusqu'à présent, notre feuille de route visant à adapter l'entreprise à ce nouvel environnement.

Malheureusement, la reprise du trafic aérien pendant l'été n'a pas été à la hauteur des attentes du secteur aéronautique. Nous devons donc nous préparer à une crise probablement plus profonde et plus longue que ne le laissaient supposer les précédents scénarios.

Je souhaite aujourd'hui, à travers ce message, regarder avec vous l'avenir au-delà du COVID-19.  En tant qu'employés d'Airbus, gardons à l'esprit ce que nous sommes et le rôle majeur que nous jouons au service de la société.

À commencer par notre raison d'être : être les pionniers d'une industrie aérospatiale durable pour un monde plus sûr et plus uni. Elle est plus pertinente que jamais.

Ces derniers mois ont souligné l'importance du transport aérien et de la libre circulation par-delà les frontières. En avoir été privé nous a rappelé leur valeur. Le voyage par les airs élargit notre horizon culturel et intellectuel. Il rapproche les habitants de la planète, nous permettant d'apprendre les uns des autres, de mieux nous comprendre, pour trouver ensemble des réponses à nos problèmes communs, qu'il s'agisse du COVID-19, du changement climatique ou de la protection des personnes. C'est incontestablement ce que nous avons expérimenté au sein d'Airbus, entreprise mondiale, fortement ancrée en Europe et présente sur le continent américain, en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique et en Océanie. Une entreprise riche de sa diversité et de ses employés de toutes origines.

Le transport aérien est l'oxygène du multilatéralisme, de la diplomatie et des valeurs humaines, considérés pour beaucoup comme acquis depuis la seconde moitié du XXe siècle. L'année 2020 a montré qu'un monde moins connecté risque davantage de voir renaître le protectionnisme, le nationalisme et l'instabilité géopolitique. En rapprochant les peuples et les cultures, l'aviation atténue les tensions susceptibles de provoquer des conflits.

Airbus et le secteur aérospatial joueront un rôle important dans la reprise économique. Le secteur aérospatial mondial est un moteur pour l'emploi, l'innovation et la prospérité. Avant la crise, plus d'un tiers du commerce mondial en valeur se faisait par voie aérienne, et l'aviation générait 2 700 milliards de dollars d'activité économique dans le monde. En outre, l'absence de liaisons aériennes entraîne la déconnexion des pays et des régions plus pauvres et géographiquement isolés, limitant encore davantage leurs perspectives de développement économique.

D'autre part, les ambitions d'Airbus en matière de développement durable contribueront à faire de la décennie qui s'ouvre une période d'innovation inédite dans l'histoire de l'aviation. Nous voulons construire le premier avion au monde de ligne zéro émission d'ici à 2035 et être à l'avant-garde de la décarbonisation du secteur. La crise donne une nouvelle impulsion à ces ambitions car les gouvernements s'engagent à financer davantage la recherche dans le domaine de l'aviation durable. Nous nous engageons pleinement à développer des technologies et des avions qui feront de la décarbonisation une réalité.

Chez Airbus, nous encourageons la compréhension mutuelle au-delà des frontières. Mais nous ne pouvons ignorer les tensions internationales croissantes. Airbus aide l'Europe à défendre ses valeurs sur la scène mondiale. Dans ce monde plus incertain, l'Europe entend renforcer sa souveraineté en matière de défense en devenant une puissance aérospatiale indépendante. Les innovations d'Airbus, de l'A330 MRTT aux hélicoptères, en passant par les satellites et l'Eurodrone, soutiennent cette ambition. À plus long terme, le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) dotera l'Europe d'une nouvelle génération de systèmes militaires interconnectés dans un combat cloud. Il s'agira d'un système intelligent et connecté, reliant satellites, drones, navires et aéronefs, ainsi qu'un nouvel avion de combat.

Nous avons tant de raisons d'être fiers de notre entreprise, même en ces temps difficiles. Dans le domaine des hélicoptères, le nouveau H145 à cinq pales et le H160 ont tous deux été certifiés par l'EASA au début de l'année. À la pointe des hélicoptères de nouvelle génération, ils sont les premiers produits de notre système industriel modernisé. Le H160 a également enregistré de nouvelles commandes de gouvernements désireux de soutenir l'aéronautique pendant la crise du COVID-19.

Defence and Space a obtenu cette année un soutien bienvenu de la part du gouvernement allemand pour l'Eurofighter. Par ailleurs, la flotte paneuropéenne de ravitailleurs a commencé à prendre forme avec la récente livraison du premier de ses A330 MRTT. Dans le même temps, notre activité spatiale remporte d'importants succès, notamment le contrat Skynet-6A du ministère britannique de la Défense et de nouvelles commandes de satellites passées ces dernières semaines par des opérateurs du Moyen-Orient. En ce qui concerne les avions commerciaux, Airbus sera bien placé pour profiter de la reprise de la demande lorsqu'elle se produira, grâce à une gamme moderne de produits efficients.

Il est toutefois indéniable que les années à venir seront difficiles. Le virus continue de circuler et fait payer un lourd tribut à l'économie mondiale. L'aviation commerciale est confrontée à un ralentissement profond et prolongé. Je ne fais pas ici preuve de pessimisme. Il est simplement important de faire face à la réalité.

Ainsi, si elles sont douloureuses à court terme, nos mesures d'adaptation n'en restent pas moins une nécessité. Nous devons retrouver notre équilibre industriel et financier le plus rapidement possible. Les résultats semestriels que nous avons publiés fin juillet ont montré que nos coûts avaient largement dépassé nos revenus pendant cette crise. Nous prenons des mesures visant à rétablir notre équilibre en adaptant notre production, nos achats, nos projets, nos investissements et, malheureusement aussi nos effectifs.

L'équipe de direction travaille en concertation avec les partenaires sociaux sur les modalités de notre plan d'adaptation.  Mais je veux être transparent avec vous ici: il me semble peu probable que les départs volontaires suffiront.  Nous nous employons à minimiser autant que possible l'impact humain de cette adaptation.  Et nous veillerons à ce que les collègues qui quittent Airbus bénéficient de tout le soutien possible.

Comme vous, cette situation me pèse.  Mais mon rôle est aussi de faire ce qui est nécessaire maintenant pour protéger l'avenir d'Airbus.

Je terminerai en revenant sur la raison d'être et les valeurs de notre entreprise. Je suis certain que nous n'oublierons jamais la manière dont nous avons uni nos forces et agi ensemble au plus profond de la crise. Nous avons fabriqué des ventilateurs pour les hôpitaux, transporté par avion des millions de masques depuis la Chine vers les pays qui en avaient besoin et contribué à l'élaboration de nouvelles normes sanitaires pour l'aviation commerciale. Il aurait été plus facile d'en faire moins, mais nous avons choisi de nous engager en cohérence avec  nos valeurs.

Notre raison d'être n'offre pas seulement à Airbus une voie pour traverser cette crise. Je pense qu'elle nous motive également à servir la société dans son ensemble : « chez Airbus, nous sommes les pionniers d'une industrie aérospatiale durable pour un monde plus sûr et plus uni ».

Prenez soin de vous.

Guillaume Faury

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Commentaires 7
à écrit le 15/09/2020 à 13:28
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Airbus à Toulouse a trop longtemps confondu les genres avec le syndicat FO . Le réveil va etre douloureux pour les deux .

à écrit le 14/09/2020 à 18:39
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vu que c'est une ligne rouge, il faut force FO a reprendre les employes qui vont etre licencies........ ils en ont les moyens eux, avec leur argent des ce, leurs chateaux, et leur parc immobilier je propose meme a titre social qu'ils leurs augmente...

le 14/09/2020 à 21:13
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Oui et n'oubliez pas la CGT, la CGC et la CFDT toutes ces organisations qui font rien que pomper l'argent du gentil contribuable français. D'ailleurs le mieux ce serait que tout le monde travaille gratis en conservant son job elle serait pas belle la...

le 15/09/2020 à 7:52
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Réponse à churchill : ça va pas mieux vous, dites moi...

à écrit le 14/09/2020 à 13:37
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"une crise plus profonde et plus longue que ne le laissaient supposer les précédents scénarios"" Au lieu de regarder sans cesse leurs comptes en banque ils devraient regarder le ciel de temps en temps nos dirigeants, ils verraient les vols au moi...

le 14/09/2020 à 20:03
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Le PDG d’Airbus a renoncé à la part variable de son salaire dés le début de la crise. Avez-vous également réduit votre salaire?

le 14/09/2020 à 23:11
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"Au lieu de regarder sans cesse leurs comptes en banque ils devraient regarder le ciel de temps en temps nos dirigeants, " Vous bossez chez Airbus?

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