Marion Smeyers, la femme qui doit faire décoller la nouvelle usine d'A320 d'Airbus à Toulouse

À L'AFFICHE. À 40 ans, Marion Smeyers a été propulsée à la tête de la nouvelle ligne d'assemblage d'Airbus inaugurée ce lundi à Toulouse. Cette dernière devra apporter sa contribution à la montée en cadence spectaculaire attendue sur la famille A320 NEO et en particulier l'envol de l'A321 NEO, le nouveau best-seller de l'avionneur européen.
(Crédits : Montage Laurent Lequien La Tribune / Photo : Frédéric Scheiber)

« J'adore le job que je fais, c'est à la fois difficile et enthousiasmant. Nous sommes quand même en train d'imaginer à quoi ressemblera le futur de la production de la famille A320 à Toulouse », confie Marion Smeyers. C'est à cette ingénieure de 40 ans, dont 17 passés au sein d'Airbus que l'avionneur européen a confié les rênes de sa nouvelle ligne d'assemblage inaugurée ce lundi 10 juillet à Toulouse. Construite au sein de l'imposante usine Lagardère, bâtie initialement pour l'A380, elle doit accompagner la montée en cadence spectaculaire attendue sur la famille A320 NEO.

Le programme star d'Airbus - l'A320 est l'avion commercial le plus vendu au monde - fait l'objet d'un carnet de commandes phénoménal, qui n'a cessé de se gonfler ces dernières semaines avec les contrats pharaoniques signés au salon du Bourget avec des compagnies indiennes. L'avionneur dispose de plus de 6.000 avions à livrer sur le programme A320neo, soit plus de dix ans de production avec les cadences actuelles.

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« Un pur produit Airbus » pour piloter la nouvelle FAL

Pour répondre à cette demande sans précédent mais aussi pour pouvoir proposer des temps de livraisons plus courts aux potentiels nouveaux acheteurs l'avionneur européen doit désormais se mettre en ordre de bataille et atteindre des niveaux de production inédits (un objectif de 75 A320 par mois au milieu de la décennie alors que depuis le début de l'année Airbus a livré 281 avions sur ce programme soit un peu plus de 46 par mois). La nouvelle FAL (final assembly line) toulousaine devra apporter sa contribution à ce ramp-up avec à terme 10 chaînes dans le monde capables de produire l'ensemble de la famille A320 : deux à Tianjin, deux à Mobile aux États-Unis, deux à Toulouse et quatre à Hambourg en Allemagne.

Un défi qui ne fait pas peur à Marion Smeyers. L'ingénieure s'est intéressée tardivement au secteur aéronautique même si son père, Jacques Smeyers, a fondé une entreprise sous-traitante d'Airbus.

« Mon père avait une planche à dessin dans le garage de notre maison. Il réalisait des dessins "à la pige" pour Airbus. Bien avant que je sois née, il a créé une entreprise, devenue aujourd'hui Latecis, qui livre des systèmes d'outillage essentiellement pour Airbus. Mais jusqu'à mes études d'ingénieur à l'école Centrale Paris, je n'avais pas vraiment compris ce qu'il faisait. A l'origine, je n'étais pas passionnée d'avion, je suis avant tout arrivée chez Airbus pour intégrer une industrie aux valeurs européennes », se souvient-elle.

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Marion Smeyers est depuis 17 ans au sein d'Airbus (Crédits : Frédéric Scheiber).

Après son école d'ingénieurs, elle a occupé pendant 15 ans des fonctions de production au sein du constructeur européen : « J'ai travaillé pendant huit ans à Saint-Eloi, l'usine où l'on assemble les mâts réacteurs. C'est vraiment une excellente école avec une usine plus petite mais où sont rassemblés tous les métiers de la production du groupe et qui accueille d'ailleurs le Lycée Professionnel Airbus. J'ai ensuite passé cinq ans à Stevenage (Royaume-Uni) côté Airbus Defence and Space où j'étais responsable de la production des systèmes de propulsion des satellites. »

En 2020, elle rentre en France pour devenir pendant deux années l'assistante exécutive de Guillaume Faury. « J'ai pu voir de très près comment notre président exécutif a géré cette crise sanitaire durant laquelle son action a été largement reconnue. J'ai également été aux premières loges au moment où Airbus a pris des décisions majeures pour décarboner l'aviation et a défini à quoi ressemble ce virage que nous prenons. J'aimerais m'inspirer de sa capacité à donner une direction claire et inspirante, de sa capacité à focaliser les équipes dans une direction », relève Marion Smeyers.

Une deuxième ligne en vue

Aujourd'hui, la nouvelle ligne toulousaine emploie 500 collaborateurs avec pour le moment quasiment autant de cols bleus que de cols blancs. Les effectifs composant la nouvelle ligne sont principalement issus de la mobilité interne au sein des sites d'Airbus mais aussi de créations nettes d'emplois dans le cadre du plan global de recrutement de l'avionneur européen qui projette 13.000 embauches  dans le monde cette année dont un peu plus de 2.000 à Toulouse. La principale priorité de Marion Smeyers est désormais de peaufiner le système industriel de la FAL pour pouvoir entrer à pleine capacité fin 2025 avec un effectif de 700 personnes.

 « Le premier avion sera livré début 2024. Nous avons déjà mis en service deux postes pour la jonction du fuselage et des ailes. Au début, l'assemblage des premiers aéronefs prendra plus de temps sur cette nouvelle ligne car nous sommes en train de poser des fondations très solides pour réussir la montée en cadence. Il faut détecter tous les petits cailloux dans la chaussure et les corriger avant de faire grandir le système industriel », explique la dirigeante.

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A320 fal

La nouvelle ligne d'assemblage entrera à pleine capacité en 2025 et une seconde FAL, parallèle à la première, sera lancée. (Crédits : Frédéric Scheiber)

Avant de confirmer qu'Airbus prévoit déjà de mettre en service une deuxième ligne d'assemblage au sein de l'usine Jean-Luc Lagardère avec à terme environ 1.400 personnes sur site pour remplacer progressivement les FAL historiques de Saint-Martin-du Touch (qui n'étaient pas dimensionnées pour produire l'A321NEO).

Dans un premier temps, la FAL (final assembly line) sera dédiée uniquement à la production d'A321 NEO, la version la plus grande de la famille A320 NEO qui est devenue le nouveau best-seller d'Airbus. Alors qu'avant crise, l'A321 représentait 40% du carnet de commandes des avions de la famille A320 NEO, la tendance s'est inversée à tel point que les ventes d'A321 NEO ont dépassé celles de l'A320 NEO et représentent plus de 60% des commandes.

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La nouvelle ligne pourra soutenir en cas de besoin la production de l'A321 XLR, une version à long rayon d'action de ce monocouloir créé à l'origine pour des moyen-courriers, capable d'assurer des vols de 8.700 km, et dont la mise en service est attendue à partir de 2024. Le nouvel appareil permettra notamment aux compagnies low-cost de proposer de nouvelles liaisons long-courrier à moindre coût et en étant plus sobres en kérosène qu'avec les longs courriers traditionnels. L'avion s'est déjà accaparé une part importante de ce marché longtemps convoité par Boeing avec son concept de « New midsize aircraft » ( NMA) pour occuper le « Middle-of-the-market » autrefois dévolu aux 757 et 767.

Cette adaptation à ces avions plus grands demande aussi des ajustements au sein de la production. « L'A321 peut accueillir entre 180 et 220 passagers en configuration deux classes et jusqu'à 240 avec une seule classe ; c'est à comparer avec la capacité de l'A320neo située entre 160 et 180 passagers. Avec ces avions plus grands, les compagnies aériennes nous demandent des aménagements cabine plus complexes et nous devons répondre à ces nouveaux besoins du marché, à Toulouse comme dans nos autres lignes d'assemblage dans le monde », indique Marion Smeyers

Zéro papier et logistique automatisée

La responsable mise sur « une ligne nouvelle génération » pour atteindre les objectifs de montée en cadence.

« Cela veut dire une ligne d'assemblage digitale donc zéro papier. Tous les compagnons ont des téléphones et des tablettes sur lesquels leurs activités sont décrites. Ils peuvent aussi, s'ils détectent des non conformités, prendre des photos et déclarer des points bloquants. Cela signifie qu'à tout moment, les fonctions transverses, comme par exemple la logistique, la qualité, le bureau de préparation, mais aussi les managers peuvent avoir les informations dont ils ont besoin pour soutenir les compagnons de façon réactive », décrit Marion Smeyers.

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La ligne d'assemblage sera dotée d'une logistique automatisée. (Crédits : Frédéric Scheiber)

La chaîne d'assemblage toulousaine va être également la première au monde au sein d'Airbus à déployer un système de logistique automatisée. Toutes les pièces et les équipements sont livrés par des robots au poste de travail des opérateurs. « Les compagnons n'auront plus besoin de porter les outillages et de se déplacer avec dans les escaliers, ce qui réduit aussi l'exposition à un risque de chute », mentionne la dirigeante. L'usine toulousaine est également la première FAL à tester un robot chargé de percer l'avion avant le rivetage pour faire la jonction entre la section avant et arrière du fuselage de l'aéronef.

Enfin, Marion Smeyers, très attachée « à la bienveillance dans le management », croit d'« une ligne d'assemblage centrée sur l'humain » : les compagnons ont eu accès à un jumeau numérique de l'usine via des lunettes de réalité augmentée et ont pu fournir des suggestions en matière d'ergonomie. Le site a aussi troqué une organisation du travail en 3x8 pour un planning en 2x9 « plus avantageux en termes de qualité de vie et intéressant industriellement ».

Féminisation : « Il existe beaucoup d'autocensure »

Sur le plan RH, la directrice de la FAL met un point d'honneur à mettre en pratique la politique de féminisation des effectifs portée par le groupe. Dans son équipe de direction, elle compte un tiers de femmes même si le rééquilibrage reste plus délicat sur des fonctions de production avec 12% de femmes sur l'ensemble des lignes toulousaines. « Il y a quelques années, je n'étais pas très à l'aise avec l'idée de regarder spécifiquement des candidatures féminines. Mais aujourd'hui, je me dis que si l'on continue à faire toujours pareil, rien ne va changer. Des politiques en rupture sont parfois nécessaires », témoigne-t-elle.

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 Marion Smeyers mentore une dizaine de salariés au sein d'Airbus. (Crédits : Frédéric Scheiber).

L'ingénieure a elle-même choisi lors de ses études de s'orienter vers la production industrielle en rencontrant une femme qui était responsable d'une ligne de production pour les parfums Dior. « Personnellement, je suis convaincue que rendre visible des exemples de femmes dans l'industrie peut inspirer », confie-t-elle. Raison pour laquelle, Marion Smeyers a témoigné lors du Salon du Bourget sur le stand Féminisons d'Air emploi. Elle qui a bénéficié d'un programme d'accompagnement féminin au sein d'Airbus mentore à son tour actuellement une dizaine de collaboratrices du groupe.

« Il existe surtout beaucoup d'autocensure. Pendant des années, je n'osais pas énoncer que mon job de rêve c'était de devenir responsable d'un site de production. J'ai commencé à le dire en rougissant. Alors qu'en réalité, c'est ok d'avoir une forme d'ambition et ce n'est pas contradictoire avec une certaine humilité. L'autre message que je fais passer, c'est de moins se poser de questions sur la conciliation entre vie privée et professionnelle. Rien n'est incompatible, c'est juste une question d'organisation du temps et aussi une forme de courage pour respecter ce qui est important pour soi», estime Marion Smeyers.

Briser l'autocensure, c'est aussi l'un des messages que la maman veut transmettre à ses deux filles de 9 et 12 ans.

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Commentaire 1
à écrit le 10/07/2023 à 10:37
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On nous parle des "avions" comme si cela étaient l'avenir mais, ce n'est qu'un moyen pour éviter le désinvestissement trop rapide ! ;-)

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