LA TRIBUNE - Votre banque d'affaires a négocié plusieurs acquisitions récentes de PME aéronautiques de la région toulousaine par des sociétés étrangères à l'image de Gillis Aerospace (fabricant de fixations et vis aéronautiques) ou Mapaero (traitement de surface). Entrevoyez-vous une reprise imminente des transactions ?
RAPHAEL PETIT - Nous sommes passés en une semaine du firmament au purgatoire. Avant la crise, nous avions dix ans de croissance devant nous et des besoins d'investissements pour faire face à la hausse des cadences. Notre dernier deal avant le confinement, c'était le 4 mars avec Gillis Aerospace. Du jour au lendemain, le trafic aérien s'est arrêté et les chiffres d'affaires dans toute la filière sont toujours impactés de 30 à 50%.
Financièrement, les entreprises ont eu un effet ciseaux assez redoutable. Elles ont souscrit à des PGE en augmentant leur dette mais leur EBITDA (bénéfice avant impôts, ndlr) a dégringolé parce que la baisse de chiffre d'affaires est significative. Le marché des transactions et des opérations est grippé. Personne n'a envie de vendre sa boîte quand elle vaut un euro. Les dirigeants cherchent plutôt à faire de bonnes affaires en misant sur des acquisitions intelligentes d'un point de vue industriel qu'ils ne paieraient pas cher puisque les entreprises ne valent rien en ce moment. Quand tous les chefs d'entreprise ont cette stratégie, il y a assez peu de transactions.
Les opérations sont gelées depuis le mois de mars sauf dans deux cas. Le premier survient quand il faut un rachat ou sinon c'est la mort de la société. Quelques opérations ont eu lieu à l'image de l'entreprise nantaise ACB, passée à la barre et reprise par ACE management. Le deuxième cas de figure concerne le segment militaire, le seul segment qui résiste. Citons par exemple Sabena technics qui vient de faire des acquisitions dans la maintenance militaire.
À quel horizon entrevoyez-vous une reprise de la vague de consolidation de la supply chain entamée avant la crise ? Il y a eu un frémissement à la rentrée avec par exemple le sous-traitant lotois Figeac Aéro qui s'est dit prêt à un rapprochement ou une fusion. Mais depuis tout semble en stand by...
Ce type de consolidation était envisagé dans l'hypothèse d'un rebond rapide de l'activité dès cet été et cela n'a pas été le cas. Je vois désormais plutôt un retour de la consolidation courant 2021, probablement au deuxième semestre. Les sociétés vont retrouver de la croissance et du chiffre d'affaires et une base de coûts réduite au minimum, cela va leur permettre de réafficher des bonnes marges.
La consolidation appelée déjà avant la crise par Airbus, qui voulait des acteurs plus gros et moins nombreux, est encore plus d'actualité. Le manque de consolidation est un facteur de fragilité, comme a pu le montrer cette crise. Il est important de faire cette mutation industrielle pour se rapprocher de ce que l'on peut voir aux Etats-Unis avec les sous-traitants de rang 1 atteignant le milliard de chiffre d'affaires. Cette étape reste à mener mais elle ne pourra pas avoir lieu avant que les sociétés aient retrouvé des couleurs.
Reprenons l'exemple de Figeac Aéro. Ce sous-traitant de 445 millions d'euros de chiffre d'affaires explique qu'il est trop petit dans le marché des pièces élémentaires. Est-ce le seul segment aéronautique concerné par la consolidation ?
L'usinage de pièces élémentaires regroupe une myriade de sociétés trop petites et trop nombreuses qui doivent se regrouper. Même des sous-traitants de rang 1 comme Latécoère ou Figeac Aéro ont des tailles insuffisantes et doivent terminer la consolidation. Il faut maintenant passer au cran au-dessus en atteignant au minimum 500 millions d'euros voire plus vraisemblablement un milliard d'euros de CA. L'idée est de constituer des Spirit Aerosystems (industriel américain qui produit des éléments de structures d'avions) ou des Triumph (fabricant américain d'aérostructures).
Si l'usinage de métaux est le segment le plus visible, tous les secteurs sont concernés. Le traitement de surface était déjà ciblé par les donneurs d'ordre et c'est encore plus le cas aujourd'hui.
Avant la crise, la supply chain aéronautique française intéressait en particulier des investisseurs chinois et indiens. Est-ce toujours le cas ?
Les investisseurs ont fui le secteur depuis le mois de mars en particulier ceux qui le connaissaient peu et qui étaient attirés par les carnets de commandes pleins et la croissance continue. Cette conviction a été sérieusement ébranlée. Beaucoup de fonds et de banques ne veulent plus du tout s'engager dans des sociétés aéronautiques. Il y a donc beaucoup moins d'argent disponible. Certains investisseurs étrangers peuvent être tentés de profiter de la situation. Quelques sociétés ont d'ailleurs été approchées. Les pouvoirs publics y sont très sensibilisés. L'exemple de Photonis a fait la une de la presse. L'arrivée du fonds américain Searchlight au sein de Latécoère avait aussi créé un débat. C'est la raison pour laquelle des fonds dédiés à la filière aéronautique française comme ACE Aéro partenaires prennent tout leur sens.
Pour autant, la Chine n'a pas abandonné son objectif d'être le troisième acteur de l'aviation civile dans le monde. Pour y parvenir les investisseurs chinois sont toujours à l'affût de bonnes affaires dans le secteur. En Asie, notamment en Chine, le trafic a dépassé son niveau d'avant Covid. Et cela entraîne tous le reste du secteur aéronautique.
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