Aéronautique : comment expliquer "la vague de consolidations" chez les PME du Sud-Ouest ?

Cet été, la PME ariégeoise Mapaero annonçait son rachat par un groupe hollandais. Le dernier d'une longue série depuis quelques années dans la filière aéronautique de la région toulousaine. Entretien avec Raphaël Petit, cofondateur du bureau toulousain de la banque de conseil en fusions-acquisitions Oaklins, pour décrypter cette tendance de fond.
Raphaël Petit, cofondateur du bureau toulousain de la banque de conseil en fusions-acquisitions Oaklins, a négocié plusieurs consolidations dans la supply chain aéronautique.
Raphaël Petit, cofondateur du bureau toulousain de la banque de conseil en fusions-acquisitions Oaklins, a négocié plusieurs consolidations dans la supply chain aéronautique. (Crédits : Reuters)

Votre banque d'affaires a négocié deux acquisitions récentes de PME aéronautiques de la région toulousaine par des sociétés étrangères, Mapaero et Agiliteam. Pouvez-vous rappeler dans quel contexte ont eu lieu ces opérations ?

Raphaël Petit : Agiliteam (sous-traitant aéronautique spécialisé dans l'usinage de pièces de petites dimensions, ndlr) est une société de 70 personnes qui dispose d'une usine principale près de Tarbes dans les Hautes-Pyrénées et d'un site plus petit à Bordeaux. Les dirigeants avaient envie de passer à autre chose et avaient bien compris qu'avec la vague de consolidations en cours dans le secteur aéronautique, c'était la vente ou l'avenir serait plus sombre. Nous avons déniché Jinpao, un groupe familial thaïlandais qui fait 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et qui cherchait à prendre des positions aéronautiques dans des métiers complémentaires à ses activités, dans le Sud-Ouest pour être près d'Airbus.

Pour Mapaero (PME ariégeoise spécialisée dans la fabrication de peintures pour l'aéronautique, 31 millions de CA en 2018, ndlr), l'un des fondateurs qui arrivait à l'âge de la retraite avait commencé à passer les commandes à l'équipe de management. Notre expertise consiste à présenter sous son jour le plus favorable la société et d'aller chercher les acteurs les plus pertinents. C'est ainsi que le groupe hollandais AkzoNobel, leader mondial des peintures et revêtements est entré en juillet 2019 en négociations exclusives pour le rachat de Mapaero. Cette acquisition devrait permettre au groupe de renforcer sa position sur le marché aéronautique et tout particulièrement sur le segment spécifique des peintures cabine.

Vous parlez de vague de consolidations dans la filière aéronautique actuellement. Comment l'expliquer ?

La période est très active et propice puisque cela fait dix ans que les résultats s'améliorent dans les entreprises. Il existe une disponibilité d'argent et de financement à des conditions très bonnes. Les banques prêtent à des taux très bas.

Mais la consolidation dans la partie fabrication de pièces élémentaires a vraiment lieu parce qu'Airbus a changé sa politique dans les attributions de marché et les petits acteurs n'ont plus accès aux appels d'offres en direct qui sont réservés à des sociétés d'une certaine taille. Il existe une vraie réflexion industrielle chez Airbus pour considérer qu'il est plus efficace d'avoir une chaîne de fournisseurs bien structurée avec de gros acteurs de rang 1 sur lesquels on peut partager les coûts de développement des programmes commerciaux (via le concept de risk-sharing partner).

Or en passant de sous-traitant de rang 1 à rang 2 (sous-traitant de sous-traitant, ndlr), ou de rang 2 à rang 3, l'entreprise perd de la marge au passage et est confrontée à plus de volatilité des clients. Pour conserver leur positionnement historique, certains fournisseurs sont obligés de vendre.

En quoi la montée des cadences joue-t-elle un rôle dans ce phénomène ?

Ces consolidations sont beaucoup liées à la montée en cadence car dans une activité très capitaliste que représente la fabrication de pièces, il faut de gros moyens industriels donc financiers. Les retours sur investissement dépendent de programmes avec des temps de développement très longs, donc il faut avoir une trésorerie suffisante.

Tout le monde est sous pression commercialement. Airbus a besoin de baisser ses coûts pour rester compétitif, cette baisse est répercutée sur les fournisseurs. Ces derniers ont deux solutions. La première est de s'améliorer pour continuer à produire en France en investissant dans de l'automatisation et de l'amélioration des processus industriels. Oaklins a accompagné par exemple l'ouverture de capital du groupe Rossi aéro. Pour construire une usine flambant neuve, cette société avait besoin de capitaux propres pour ne pas tout porter en endettement bancaire.

La deuxième option est d'installer des usines en pays best-cost. Beaucoup d'investissements ont été réalisés vers la Tunisie ou plus récemment vers le Maroc, mais aussi au Mexique ou en Inde.

Lire aussi : Bourget 2019 : Airbus et ses sous-traitants en quête d'un modèle XXL

Début septembre, le groupe toulousain Latécoère a d'ailleurs inauguré une usine en Inde...

Oui, et là on touche une autre particularité du secteur. Les contrats avec les avionneurs s'accompagnent d'"offset", autrement dit l'Inde prévoit en achetant tant de Rafale d'en faire bénéficier l'économie locale en améliorant les savoir-faire. Avec la vente d'appareils vient l'obligation de créer des usines sur place. Les fournisseurs de ces avionneurs se retrouvent dans des projets d'implantation à l'étranger.

Quels sont les pays qui s'intéressent en particulier à la supply chain du Sud-Ouest pour investir ?

Plusieurs pays veulent faire émerger une vraie filière aéronautique nationale. L'Inde en fait partie. La Chine ne cache pas non plus son ambition de devenir l'un des premiers avionneurs mondiaux à côté d'Airbus et de Boeing. Et comme les Chinois achètent 30% des avions d'Airbus, le géant européen fait construire une usine là-bas et déplace une partie de la fabrication des pièces sur les fournisseurs chinois. Dans l'exemple de Jinpao, l'entreprise se dit que depuis la Thaïlande, c'est compliqué de renforcer son poids dans l'aéronautique. L'idée est de se rapprocher de "là où cela se passe".

Vous parlez des consolidations dans la fabrication de pièces élémentaires. Les autres segments de la filière aéronautique sont moins concernés ?

Les équipementiers ont déjà beaucoup consolidé. Aux États-Unis, la fusion de Rockwell Collins et d'UTC Aerospace Systems a donné naissance à Collins Aerospace (les deux entreprises avaient un chiffre d'affaires cumulé de 65 milliards de dollars, ndlr) qui tutoie Airbus. Ce n'était pas le cas jusqu'à récemment dans les pièces élémentaires où l'on avait plusieurs centaines d'entreprises différentes. Sur la partie maintenance, la consolidation se poursuit et n'est pas finie. Pour eux, l'enjeu est la globalisation des acteurs qui demande aux entreprises de pouvoir offrir leurs services partout dans le monde.

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