Plongée dans l'Aveyron, une terre meurtrie par la transformation de l'automobile

SAM, Bosch, Verkor.... Les déconvenues sociales et économiques ne cessent de se multiplier dans ce territoire autrefois minier. Un contexte qui plonge les représentants de l'Aveyron et ses habitants dans l'inquiétude, sans réelle certitude pour l'avenir du département à terme. Pour relancer l'activité économique, le ministère de l'Industrie vient d'annoncer un soutien "expérimental" à destination de Rodez. Immersion au sein de ce département à la recherche de sa boussole.
L'Aveyron traverse deux drames sociaux ces derniers mois, où 1000 emplois sont en jeu.
L'Aveyron traverse deux drames sociaux ces derniers mois, où 1000 emplois sont en jeu. (Crédits : Pierrick Merlet)

"#JeSuisSAM". Depuis quelques temps, ce hashtag a fait son apparition sur les réseaux  sociaux. Si cette appellation rappelle sans aucun doute un effroyable attentat contre un média satirique en région parisienne, cette mutation reflète tout autant un drame, cette fois-ci d'ordre économique, 600 kilomètres plus au sud.

Dans le département de l'Aveyron, une fonderie de Decazeville est dans toutes les têtes de cette commune de près de 6.000 âmes. Pour le comprendre, il suffit de compter les nombreuses banderoles, pancartes et affiches, dès l'entrée de la ville en faveur de SAM. Elles sont les vestiges de ces derniers jours, durant lesquels élus locaux, associations et habitants n'ont cessé de battre le pavé pour montrer leur soutien et leur attachement à cette entreprise, dédiée à l'industrie automobile. Rien que dimanche 25 avril, ils étaient plus de 3.000, selon les organisateurs, à manifester pour la cause de cette société qui emploie près de 350 personnes.

Lire aussi : Automobile : peut-on encore sauver les fonderies françaises ?

"La SAM à Decazeville, c'est l'équivalent de ce que représente Airbus à Toulouse, malgré les proportions différentes, comme l'est Bosch pour Rodez. Sur le bassin decazevillois, il n'y a pas de grandes perspectives d'embauche. C'est surtout un territoire en grande difficulté depuis une cinquantaine d'années après l'abandon des activités minières et la fermeture de Vallourec, où était transformé l'acier", raconte Dominique Costes, le président de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Aveyron.

SAM

La fonderie SAM est à l'arrêt depuis le 14 avril, suite à un blocage de ses salariés, qui exigent un repreneur (Crédits : Pierrick Merlet).

Difficile de dire s'il arrivera le même sort prochainement à cette fonderie qui travaille exclusivement pour Renault, mais elle se trouve en mauvaise posture pour espérer un avenir radieux. Suite à un premier redressement judiciaire en 2017, la fonderie est arrivée aux mains de l'investisseur chinois Jinjiang, qui a lui-même fait défaut et poussé la SAM dans un second redressement judiciaire en 2019. Preuve de l'inquiétude, c'est un collectif associatif "Tous ensemble pour le bassin de Decazeville", qui mène la lutte populaire dans ce dossier pour le moins inquiétant.

"Une ville, une usine"

En 18 mois, seulement un seul candidat s'est déclaré intéressé pour la reprise de cette fonderie spécialisée dans la production de pièces en aluminium, à savoir CIE Automotive. Mais ce dernier ne proposait que 170 emplois repris malgré les bonnes perspectives d'affaires de l'usine. Inacceptable pour les représentants du personnel alors que Renault promet plus de commandes et que l'État et les collectivités locales affirment vouloir soutenir financièrement les investissements du repreneur. La lumière pourrait venir d'un candidat (français) déjà propriétaire d'une fonderie, mais aucune offre n'est encore sur la table des administrateurs judiciaires.

Lire aussi : Automobile : la SAM, dans l'Aveyron, bientôt reprise par une autre fonderie française ?

Dans le même temps, les partenaires sociaux mènent un autre combat à moins d'une heure de route de la SAM, dans la capitale ruthénoise. Après plusieurs mois, voire plusieurs années de négociations sans relâche entre le gouvernement français et la direction allemande de l'équipementier Bosch, cette dernière vient d'annoncer (comme redouté par le personnel) la suppression de 700 emplois sur 1.200 d'ici à 2025 dans son usine de Rodez, victime de la chute du marché du diesel selon sa direction.

Lire aussi : Usine Bosch de Rodez : le site maintenu avec 700 emplois supprimés (sur 1.200)

"C'est un coup de massue terrible pour Rodez et sa région. Une fermeture à terme, comme le craignent les salariés, serait un énorme gâchis. La Covid-19 et la voiture électrique ne peuvent tout expliquer et justifier. Ce savoir-faire historique ne peut être rayé de la carte de cette manière. Néanmoins, à l'époque où j'ai rencontré les ouvriers du site (en 2011, ndlr), certains s'inquiétaient déjà de cette mono-industrie autour des moteurs diesel", raconte Pierre-Marie Terral, l'auteur du livre "Bosch Rodez : une ville, une usine" aux éditions Privat.

Bosch Rodez

En quelques années, les effectifs de Bosch à Rodez ont été divisés par deux et ce n'est pas terminé (Crédits : Pierrick Merlet).

Désormais, le groupe allemand annonce vouloir faire de ce site un lieu pilote dans la conception d'éléments, et notamment d'une pile à combustible, pour la mobilité à hydrogène. Mais le flou autour du projet industriel, de la méthode et des investissements prévus ne rassure guère l'écrivain qui se remémore comment "la Bosch" a dynamisé le territoire ruthénois.

Lire aussi : Reconversion de l'usine Bosch à Rodez : un projet qui ne convainc personne

"Avec le temps, le mot Bosch était prononcé avec respect sur le territoire. L'usine représentait l'aristocratie ouvrière du département de l'Aveyron. Avoir été ou être de la Bosch est une fierté qui a aussi provoqué des jalousies, à tort ou à raison. Quand l'usine recrutait par vagues, des files interminables se dressaient devant ses portes au point de pousser la préfecture à intervenir car les autres filières se retrouvaient dépeuplées. Par ailleurs, moi qui suis aussi enseignant, dans toutes mes classes j'ai toujours eu un enfant de parents qui travaillent ou travaillaient dans cette usine. Des couples se sont formés dans cette entreprise, des mariages ont émané de la Bosch et des familles s'y sont formées. Nous voyons même des enfants qui apprennent l'allemand dans l'espoir d'avoir un avenir dans ce groupe industriel. Les familles y travaillent de génération en génération. Pour toutes ces personnes, c'est terrible ce qui se passe actuellement", ajoute Pierre-Marie Terral.

L'État au chevet de Rodez

Par un simple décompte, et en seulement quelques semaines, ce sont pas moins de 1.000 emplois industriels qui ont été placés en sursis dans le territoire de l'Aveyron sur le premier trimestre de l'année 2021. "En 2017, des experts de la direction générale des entreprises ont fait savoir dans un rapport qu'un salarié de la Bosch pèse pour quatre emplois induits sur le territoire", ajoute Dominique Costes sans volonté de corser l'addition. Surtout, la tempête sociale qui vient frapper ces deux phares s'accompagnent d'autres déconvenues pour le territoire. Le sous-traitant aéronautique Sofop est aussi fragilisé par la crise sanitaire, comme toute la filière aéronautique et surtout, Rodez a vu filer de son nez le projet de gigafactory Verkor et ses 2000 emplois directs pour la production de batteries à destination de véhicules électriques. Autant de mauvaises nouvelles qui ne font tout de même pas faiblir l'optimiste du porte-parole départemental des entreprises.

Lire aussi : La gigafactory dédiée aux batteries de Verkor ne s'installera pas à Rodez

"La chance de notre département est qu'il bénéficie d'une économie assez diversifiée, malgré la pleine lumière de ces deux dossiers emblématiques. Les secteurs du bâtiment, de l'agroalimentaire, de l'agriculture ou du bois fonctionnent très bien et nous permettent d'amortir le choc. Et même mieux, beaucoup de chefs d'entreprises viennent me voir en me disant qu'ils ont du mal à recruter malgré les postes à pourvoir. Avec mes amis des autres réseaux consulaires, dès demain matin je peux vous mettre 200 à 300 emplois disponibles sur la table", lance le président de la CCI Aveyron.

Dans le lot, figure le projet Phénix de la SNAM à Decazeville. Cette entreprise travaille sur un projet de recyclage des batteries des véhicules électriques, l'une des principales problématiques de la mobilité de demain. "Demain, ce projet sera certainement créateur de dizaines voire centaines d'emplois", estime Dominique Costes. Pour permettre l'éclosion de projets créateurs de richesses et d'emplois sur l'Aveyron comme celui-ci, l'État va accompagner tout particulièrement la région avec le dispositif "Territoires d'industrie".

"Nous allons mettre en place un accompagnement exceptionnel et expérimental pour Rodez afin de résorber le choc industriel provoqué par les annonces de Bosch. Cette aide a pour objectif d'apporter un coup de boost à l'économie locale (...) Concrètement, nous allons fournir un appui sous forme de conseil aux collectivités avec l'arrivée de trois consultants sur place tout prochainement et ce, pour une durée de 145 jours", annonce le ministère chargé de l'Industrie à La Tribune.

Dans les faits, ce trio devra rencontrer des dirigeants et entrepreneurs pour identifier des projets économiques créateurs d'emplois sur le territoire, avant de les aider dans un second temps par de la subvention afin d'aboutir. "Notre ambition est de faire rentrer le territoire ruthénois dans une logique d'écosystème via le groupement de plusieurs acteurs", précise Bercy. À titre de comparaison, le territoire de Béthune bénéficie actuellement du même accompagnement et en quelques mois, sur les 80 projets d'investissement identifiés, une vingtaine ont été accompagnés. Le lot a obtenu un total de 11 millions d'euros de subventions pour 30 millions d'investissements productifs, et va générer 150 emplois dans cette ville orpheline de son usine Bridgestone. Pour ce qui est de Rodez, la ministre Agnès Pannier-Runacher a prévu de se rendre sur place à la fin du mois de juin pour faire un premier bilan de cet accompagnement cousu main.

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Commentaires 10
à écrit le 04/05/2021 à 8:38
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C'était quand même prévisible, la route entre Figeac et Decazeville était il y a trente ans bordée de collines artificielles de déchets liés à l'exploitation minière, toute noire, maintenant ces collines sont d'un beau vert tout clair, la nature ayan...

le 04/05/2021 à 10:56
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Le problème de la plupart des élus français c est : leur logiciel intellectuel: ils fonctionnent avec des vieilles recettes qui n’ont aucun effet depuis 40 ans. ( état, taxes etc..) Le personnel politique est «  fonctionnarisé «  puisqu’ils y font...

le 04/05/2021 à 19:56
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Par ailleurs le citoyen étant devenu consommateur, de moins en moins sont aptes à prendre en mesure tous les éléments indispensables à des décisions aussi importantes. La vie actuelle, est un frein à des élus locaux éclairés sans parler de l'aléa éle...

à écrit le 03/05/2021 à 21:54
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Carlos Tavares avait averti le gouvernement LREM sur son laxisme devant les exigences des écolos du gouvernement, Mme Pompili par exemple... Il dit : Vous voulez des voitures électriques quoiqu’il en coutera aux français pour gonfler votre prestige ...

le 04/05/2021 à 10:47
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Nous ne faisons que suivre une évolution inexorable des besoins des consommateurs qui ne veut plus de diesel ( voir les ventes). De plus c’est stratégique :Quand les voitures chinoises électriques envahiront le marché européen elles détruiront tous...

le 04/05/2021 à 10:48
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Nous ne faisons que suivre une évolution inexorable des besoins des consommateurs qui ne veut plus de diesel ( voir les ventes). De plus c’est stratégique :Quand les voitures chinoises électriques envahiront le marché européen elles détruiront tous...

le 04/05/2021 à 10:49
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Nous ne faisons que suivre une évolution inexorable des besoins des consommateurs qui ne veut plus de diesel ( voir les ventes). De plus c’est stratégique :Quand les voitures chinoises électriques envahiront le marché européen elles détruiront tous...

le 04/05/2021 à 10:49
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Nous ne faisons que suivre une évolution inexorable des besoins des consommateurs qui ne veut plus de diesel ( voir les ventes). De plus c’est stratégique :Quand les voitures chinoises électriques envahiront le marché européen elles détruiront tous...

à écrit le 03/05/2021 à 20:58
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Le problème est structurel. L’Aveyron comme beaucoup de territoires excentres perd ses emplois.En Suisse les cantons défavorisés par leur situation se rattrapent en diminuant leur fiscalité des entreprises.Mais en France impossible car la France est ...

à écrit le 03/05/2021 à 19:38
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j'adore ces syndicalistes qui votent a gauche pour des gens qui vont couler leur boite avec des normes des lois et des contraintes ( ecolo, mais pas que), et qui adoubent leurs amis elus quand ils viennent les soutenir contre le mechant patronat expl...

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